Comment fonctionnent les mécanismes de la faim et de la satiété ?
Question d'origine :
Je m'intéresse aux sensations de faim et de satiété. Souvent, cette question est abordée en vue d'une perte de poids pour inviter les personnes ne pas manger plus que leurs besoins, dans le cas où la sensation de satiété n'est pas attendue ni respectée. Pour ma part, je m'intéresse à un phénomène différent, voire contraire. Je pense aux cas où sensation de faim est diminuée et celle de satiété anticipée, par rapport à la satisfaction des besoins énergétiques de la personne, ce qui peut entraîner une perte de poids involontaire, indésirée et dangereuse, alors même que la personne est "à l'écoute" de son corps.
Comment fonctionnent les mécanismes de la faim et de la satiété ? Comment expliquer que les sensations de faim et de satiété peuvent ne pas correspondre aux besoins énergétiques ? Comment expliquer un tel dérèglement ? Et y a-t-il des pistes avancées par la recherche médicale pour rétablir une juste adéquation ?
Merci pour votre attention,
Réponse du Guichet
Les mécanismes de la faim et de la satiété obéissent à une mécanique complexe liée à la production d'hormones telles que la ghréline, la leptine et l'insuline, lesquelles se fixent sur une partie du cerveau appelée l'hypothalamus. On sait depuis longtemps que le déséquilibre de ces hormones est une des raisons de l'obésité. Il est possible qu'à l'inverse, il puisse être responsable de certaines formes d'anorexie, mais nous n'avons pas trouvé de sources mettant en évidence une cause physiologique au manque d'appétit.
Bonjour,
Les mécanismes de la faim et de la satiété sont extrêmement complexes et encore mal compris. Le centre de gravité se situent toutefois dans le cerveau :
Les centres qui contrôlent la prise alimentaire se situent dans le système nerveux central et plus précisément :
- dans l'hypothalamus : le noyau arqué contenant des neurones à NPY et AGRP (molécules qui stimulent la prise alimentaire) et des neurones à αMSH et CART (qui inhibent la prise alimentaire ; le noyau paraventriculaire, qui représente le centre intégrateur ; le noyau ventro-médian, centre de la satiété, contenant des récepteurs de leptine ; le noyau dorso-médian, qui initie la prise alimentaire et l'hypothalamus latéral, centre de la faim, avec des récepteurs à NPY et des neurones sensibles au glucose ;
- dans d'autres régions du cortex : thalamus, lobe temporal, système limbique...
Ces centres nerveux sont sensibles à des signaux de contrôle de la prise alimentaire à court terme (informations sensorielles élaborées pendant la prise alimentaire) et à long terme (signaux hormonaux liés à l'adiposité).
La faim se déclenche lorsque la glycémie diminue d'environ 10 à 12 %. Puis, quand l'individu mange, le système nerveux reçoit différents messages liés à :
- la distension de l'estomac : les aliments dans l'estomac stimulent des mécanorécepteurs qui vont informer le système nerveux central par la voie vagale ;
- des hormones et peptides qui limitent la prise alimentaire : insuline, cholécystokinine fabriquée par des entérocytes lorsqu'arrivent lipides et protéines dans l'intestin, le peptide PYY sécrété par le tube digestif ;
- les nutriments qui stimulent des chémorécepteurs de l'intestin grêle, induisant la satiété.
Leptine et insuline : le contrôle de la prise alimentaire à long terme
Certains facteurs réduisent la prise alimentaire à long terme :
- l'insuline, dont la concentration dans le sang dépend du tissu adipeux blanc ;
- la leptine qui est un indicateur de la masse adipeuse et du niveau des stocks énergétiques. Les personnes obèses ont un taux de leptine plus élevé, mais celle-ci serait inefficace par une sorte de phénomène de résistance à la leptine. La leptine réduit la prise alimentaire et favorise la dépense énergétique en agissant sur l'hypothalamus par les voies POMC et NPY/AGRP.
La ghréline, quant à elle, a l'effet inverse : ce peptide fabriqué par l'estomac et le duodénum stimule la prise alimentaire. Sa concentration est réduite chez les personnes obèses mais des travaux parus en 2013 montrent que la ghréline est protégée chez les personnes obèses, ce qui fait qu'elle agit plus longtemps. Elle agit sur l'hypothalamus en activant les neurones à NPY et en s'opposant à l'action de la leptine.
(Source :Futura sciences)
On le voit, deux hormones principales entrent en jeu : alors que la ghréline agit sur le déclenchement de la faim, la leptine influe sur l'impression de satiété :
La leptine est une hormone de type peptidique, composée de 167 acides aminés et découverte chez des souris obèses.
Synthétisée par les adipocytes plutôt que par une glande endocrine, la leptine n'est pas une hormone à proprement parler, mais son action de type hormonal permet de la classer comme telle.
Cette hormone régule la satiété et le métabolisme, en se fixant sur un récepteur situé sur l'hypothalamus.
Le niveau de leptine dans le sang est directement proportionnel au taux de graisse du corps.
(Source : Futura-sciences)
On sait maintenant depuis des années quel rôle la déficience en leptine joue dans les causes de l'obésité :
L’obésité témoigne d’une mise en échec du système de régulation des réserves énergétiques par des facteurs externes (modes de vie, environnement) ou interne (psychologiques ou biologiques en particulier génétique). Il y a maintenant plus de dix ans qu’un élément clé de la régulation de la masse grasse a été identifié : la leptine [18]. La leptine est un signal d’adiposité pour le cerveau. Chez les souris ob/ob, dépourvues de signal leptine, l’obésité se développe rapidement et massivement en rapport avec une hyperphagie majeure. Chez la souris db/db dépourvue de récepteur à la leptine, il en est de même. En physiologie, des taux bas de leptine, tels qu’observés dans les situations de jeune ou de dénutrition, déclenchent des réactions adaptatives de prise alimentaire.
(Source : Académie nationale de médecine)
A l'inverse, un article de l'Inserm sur l'anorexie mentale suggère un lien possible entre le dérèglement de la leptine et ce trouble alimentaire :
Enfin, les dérèglements hormonaux sont suspectés. La ghréline, hormone stimulatrice de l'appétit fait par exemple l'objet de travaux car son taux plasmatique est anormalement élevé chez les patients anorexiques. Les scientifiques émettent deux hypothèses : selon la première, la sensibilité à l'hormone serait diminuée chez ces personnes, au moins de façon transitoire. Selon la seconde l'hormone jouerait un rôle actif dans la maladie. La concentration élevée de ghréline pourrait contribuer à l'aversion alimentaire, via la stimulation chronique de structures cérébrales et la libération de neurotransmetteurs responsables du vécu d'anxiété des patients lors de la prise alimentaire.
La leptine et l'insuline peuvent également tenir un rôle encore non élucidé dans ces dérèglements, par "leur action sur certaines structures cérébrales", notamment le système de récompense.
Selon le même article, une corrélation entre l'anorexie et une altération de l'équilibre du microbiote intestinal (ou flore intestinale) a également été mise au jour, sans qu'on sache actuellement si ces anomalies précèdent la maladie ou en sont la conséquence. On constate en tout cas la dégradation de certaines espèces bactériennes bénéfiques et l'augmentation de la population de bactéries plus nocives pour la paroi intestinale. Certaines espèces d'Escherichia coli "productrices de CIpB", une hormone ayant "une forte analogie structurale" avec la leptine, provoquant une réponse immunitaire ciblant également cette dernière. C'est en tout cas l'hypothèse d'une équipe de chercheurs de l'Inserm de Rouen.
Le document de l'Académie de médecine cité plus haut souligne la rareté des "déficits complets en leptine" chez l'homme, contrairement aux déficits partiels. Un haut taux de leptine peut être relevé chez des patients obèses, ce qui suggère plutôt des formes de "leptino-résistance". Par ailleurs, la leptine tendrait à amenuiser l'efficacité de certains traitements anti-cancers.
Par ailleurs, aucun lien direct n'a été identitié entre un déficit en ghréline et l'anorexie :
Parfois, cette hormone vient à manquer dans l'organisme, entrainant un déficit d'appétit."Pour autant, aucun lien direct n'a été établi avec un trouble alimentaire, comme une anorexie. Des dosages de ghréline chez les anorexiques sont souvent normaux, voire augmentés,indique notre expert.Il y a donc d'autres facteurs qui interviennent comme l'équilibre ghréline/leptine ou encore l'activation de la production de dopamine (hormone de la récompense et du plaisir) au niveau du cerveau selon le type d'aliments consommés, en particulier les sucres".
Cependant, comme l'explique Jean-Marc Cheylan dans sa thèse "Régulation de l'appétit et prise en charge des troubles alimentaires" soutenue en 2017 à la Faculté de pharmacie de Marseille et consultable sur dumas.ccsd.cnrs.fr, l'anorexie n'est pas une perte d'appétit :
L’anorexie provient du grec « o rexis » signifiant « absence d’appétit » 18, cependant les personnes souffrant d’anorexies possèdent les mêmes signaux de faim et de satiété que les individus non touchés par cette maladie, ce qui signifie qu’ils ont toujours une sensation d’appétit et non pas une absence d’appétit comme pourrait le laisser penser l’origine de ce mot. Les personnes anorexiques sont plutôt dans la lutte contre la prise d’aliments avec un contrôle restrictif de leur prise alimentaire dans le but de perdre du poids ou du moins de ne pas en prendre.
Le manque d'appétit, ou hyporexie, aurait quant à lui plutôt des causes d'ordre psychique, comme la dépression saisonnière, le syndrome anxio-dépressif, ou encore les psychoses.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter nos documents sur les troubles alimentaires et l'endocrinologie, lectures que vous pourriez compléter avec les ressources en ligne suivantes :
Entrée "Prise alimentaire" de l'Encyclopaedia universalis, consultable en ligne avec l'abonnement BmL
Bertrand Duvillié, "Recherche de nouvelles cibles de la leptine dans les neurones hypothalamiques", Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition, 2018, consultable sur Edimark
Collège des enseignants en nutrition, "Régulation physiologique du comportement alimentaire" sur campus.cerimes.fr
Bonne journée.
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