Quel statut juridique permet à la Suède de juger des faits ayant eu lieu à l'étranger ?
Question d'origine :
Bonjour
Je viens de lire un certain nombre d'articles concernant le procès Hamid Noury en Suède.
Malgré mes recherches je n'ai réussi à trouver quel est le statut juridique exact de la Suède lui permettant de juger des faits ayant eu lieu à l'étranger.
Ce statut est il différent de celui de la cour pénale internationale ?
D'autres pays autres que la Suède ont ils également cette compétence ?
Merci
Réponse du Guichet
Dans le procès Noury, comme dans l'enquête qu'elle mène actuellement en Ukraine, la Suède agit en vertu du principe de compétence universelle, principe permettant à tout Etat de juger des suspects de certains crimes tels que les crimes de guerre, contre l'humanité ou les génocides.
Bonjour,
Comme nous l'apprennent Le Monde, L'Express ou encore Reporters sans frontières, Hamid Noury est actuellement jugé en Suède pour des exécutions sommaires perpétrées en Iran en 1988. La nature des faits reprochés à l'accusé, qualifiés de "crime aggravé, crime contre le droit international et meurtre" et de "crimes de guerre", expliquent pourquoi la Suède, pays où il était en voyage lorsqu'il a été arrêté, se juge compétente.
Par ailleurs, la Suède a annoncé le 5 avril dernier l'ouverture d'une "enquête préliminaire sur de possibles crimes de guerre en Ukraine", et visant " à collecter des preuves pour de futures procédures judiciaires, «soit en Suède, devant un tribunal d'un autre État ou devant un tribunal international tel que la Cour pénale internationale (CPI)», " comme le rapporte le Figaro.
Le processus de reconnaissance d'un crime de guerre implique non seulement des enquêtes des institutions internationales, mais également des Etats. C'est ce que nous apprend l'article de TV5 monde Crimes de guerre en Ukraine : comment se met en place une enquête internationale ? :
La procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova affirme que « plus de 4 000 crimes de guerre ont déjà été enregistrés. » Trois juridictions sont aptes à enquêter : la CPI, la justice ukrainienne et celle de tous les pays. Pour ce dernier cas de figure, c’est la notion de « compétence universelle » qui s’applique. En Europe, la Suède, l’Allemagne et l’Espagne ont ouvert des enquêtes. Le 2 mars, la CPI ouvre une enquête sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Ukraine depuis novembre 2013. Les massacres commis à Boutcha s’ajoutent à la liste.
De fait, comme l'indique France TV info, la Cour pénale internationale a également lancé une investigation, de même que de nombreux Etats :
Des juridictions nationales enquêtent, elles aussi. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé lundi 4 avril qu'un "mécanisme spécial" allait être créé pour "enquêter sur tous les crimes des occupants dans [le] pays et les poursuivre". Celui-ci reposera sur un "travail commun d'experts nationaux et internationaux".
Ailleurs en Europe, la Suède, l'Allemagne ou encore la France ont ouvert des enquêtes, en vertu de la "compétence universelle" qui s'applique en droit pour les crimes de guerre. "Face aux crimes les plus graves, les Etats peuvent lancer des procédures sur des faits commis à l'étranger sur leurs ressortissants", expose Emmanuel Daoud, avocat pénaliste à la CPI.
En France, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a ouvert une enquête en mars après la mort d'un journaliste franco-irlandais, puis trois nouvelles enquêtes en avril pour des crimes de guerre susceptibles d'avoir été commis contre des ressortissants français. Les investigations ont été confiées à l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH). "Des enquêteurs et des magistrats français vont aller en Ukraine en soutien à la CPI avec une commission rogatoire internationale. Ils travailleront en même temps pour les enquêtes ouvertes en France", détaille l'ex-patron de l'OCLCH, Eric Emeraux.
Les Etats agissent en vertu du principe de compétence universelle, qui s'applique aux crimes de guerre, entre autres :
La compétence universelle est, en droit, la compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où le crime est commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes.
Ce genre de disposition légale sert à empêcher l'impunité de crimes graves, en particulier les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, qui seraient commis dans des régions particulièrement instables dont les habitants, citoyens du monde, ne bénéficieraient pas de protection légale adéquate.
[...]
La compétence universelle est obligatoire aux yeux du droit international, dans une certaine mesure et pour certains crimes seulement. En effet, les pays qui ont adhéré à différentes conventions de protections de droits fondamentaux se retrouvent obligés par ces mêmes conventions de réprimer les crimes les plus graves :
- Les crimes de guerres : rechercher les suspects présents sur le territoire et les poursuivre ou les dénoncer à d'autres juridictions qui les poursuivront sous des charges suffisantes (Convention de Genève, art. commun 49/50/129/146).
- Les crimes contre l'humanité doivent être réprimés là où ils sont commis. L'État du lieu d’arrestation est titulaire de l’obligation d’assurer les poursuites s’il n’extrade pas l’auteur vers un autre État.
- Les crimes de génocide : seuls les États où a eu lieu le génocide doivent poursuivre, les autres États n’ont d’autre obligation que celle d’extrader ces auteurs vers l’État du lieu du crime (article VII de la Convention de Paris pour la prévention et la répression du crime de génocide). La jurisprudence de la Cour internationale de justice ne limite pas l'obligation qu'a ainsi chaque État de prévenir et de réprimer le crime de génocide territorialement.
- Les crimes économique, et écologique, national, transnational et planétaire
(Source : Wikipédia)
Notons que, selon un Rapport de la commission du Droit international de l'ONU, ce principe constitue un particularisme du droit international :
Le principe de « compétence universelle » ou « principe d’universalité » est un fondement de compétence en droit international qui peut permettre à un État d’exercer sa juridiction à l’égard de certains crimes dans l’intérêt de la communauté internationale. Il n’existe pas de définition de ce principe qui fasse l’unanimité, mais il évoque, grosso modo, la compétence pénale fondée uniquement sur la nature de l’infraction, ni le lieu où elle a été commise, ni la nationalité de celui qui en est accusé ou en a été reconnu coupable, ni la nationalité de la victime, ni aucun autre lien avec l’État exerçant la compétence n’étant pris en considération1274. Cela signifie que celui-ci peut se prévaloir de la compétence universelle à l’égard d’un crime commis par un étranger contre un autre étranger hors de son territoire. Cette compétence diffère sensiblement de celle qui repose sur les fondements traditionnels du droit international, qui exigent généralement un certain lien, par exemple quant au territoire ou à la nationalité, entre l’État exerçant la compétence et le comportement incriminé.
En d'autres termes, comme l'explique Amnesty international, "La compétence universelle signifie que l’État est compétent pour la poursuite et le jugement d’une infraction, lorsque celle-ci n’a pas été commise sur son territoire, qu’elle a été commise par une personne étrangère, à l’encontre d’une victime étrangère, et sans que cet Etat soit la victime de l’infraction."
La compétence universelle n'est pas une innovation due à l'invasion de l'Ukraine : l'article de FranceTVinfo cité plus haut souligne que " la France, la Suède, la Belgique ou le Canada ont condamné des responsables du génocide rwandais". La Suède a également jugé des auteurs présumés de crimes dans le cadre du conflit Syrien.
Bonne journée.