Existe-t-il un pays qui désigne ses élus nationaux ou locaux par tirage au sort ?
Question d'origine :
Existe-t-il une démocratie dans le monde qui désigne une partie de ses élus nationaux ou locaux par tirage au sort ?
Réponse du Guichet
"De nos jours [le tirage au sort] est utilisé pour former des jurys populaires aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni et en Belgique. Il fut même utilisé pour désigner en 2011 l’assemblée constituante en Islande. D’autres expériences de tirage au sort sont également en développement" (le-démocrate.fr). La Belgique, l'Irlande, la Colombie Britannique l'ont également expérimenté.
Bonjour,
Faut-il donner le pouvoir à ceux qui le veulent ou bien est-il préférable de laisser jouer le hasard ? Y a-t-il une ou plusieurs démocraties qui utilisent le tirage au sort pour désigner ses représentants ?
Sur le portail d'informations sur la démocratie, le-démocrate.fr, nous pouvons lire
De nos jours il [le tirage au sort] est utilisé pour former des jurys populaires aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni et en Belgique. Il fut même utilisé pour désigner en 2011 l’assemblée constituante en Islande. D’autres expériences de tirage au sort sont également en développement.
En 2019, la Belgique a connu "un petit bouleversement. Lors de sa séance plénière lundi soir, le parlement de la communauté germanophone de Belgique (troisième communauté du pays avec 76 000 habitants) a voté un décret concernant la création pérenne d'un conseil de 24 citoyens tirés au sort pour s'impliquer dans la vie politique." Source : En Belgique, la démocratie par tirage au sort !, Louis Chahuneau, Le Point, 2019.
Wikipédia explique que le tirage au sort
en politique, permet de désigner des représentants exécutifs, législatifs et judiciaires, aujourd'hui principalement des jurés et magistrats, au moyen du hasard et parmi un ensemble de candidats universel ou restreint. Dans le cas de la désignation d'une assemblée (échantillon large), le tirage au sort a la particularité d'assurer une représentativité plus importante que le vote. Il est de ce fait couramment promu, en complément des référendums, par les partisans de la démocratie directe.
En 1998 Roger de Sizif introduit le terme stochocratie pour désigner ce mode d'élection. Dans son "texte faussement sérieux où point, derrière l'ironie du propos, le plaidoyer pour un sursaut de la citoyenneté", La Stochocratie, il "propose de supprimer les élections pour les remplacer par un système de tirage au sort profondément égalitariste," (Source éditeur).
Le mot est forgé sur les racines grecques kratein (gouverner) et stokhastikos (aléatoire). Ainsi forgé comme démo-cratie, le mot stocho-cratie est ambigu car ce mot crée la confusion entre une forme de gouvernement de la cité qui laisserait aux mains du hasard les décisions politiques (jouant, par exemple, la guerre à pile ou face) et une forme de gouvernement dans laquelle un parlement de représentants tirés au sort, en nombre suffisant pour être représentatifs sociologiquement de la population, prendrait les décisions lui incombant (vote de loi, contrôle de l’exécutif et/ou d’autre pouvoirs, ou pour une assemblée constituante écriture de la Constitution).
Imaginé à la fin du xxe siècle, dans le cadre d’une réflexion politique, le mot désigne bien une modalité électorale qui n’est ni neuve ni réservée au domaine politique. Dans la méthode développée par Roger de Sizif, la stochocratie consiste à tirer au sort les assemblées (Sénat et Chambre des députés). Ce tirage au sort, portant sur des groupes de l’ordre de 500 à 600 personnes, doit aboutir à composer aléatoirement des assemblées représentatives sociologiquement de la population de référence (comme cela se fait pour composer un échantillon par méthode aléatoire pour un sondage). Du fait de leur représentativité, ces assemblées prendraient des décisions proches de celles que prendrait le peuple entier, conférant ainsi à ce mode de désignation le caractère démocratique que n’offre pas l’élection de représentants souvent plus éduqués, plus riches et plus carriéristes que des citoyens tirés au sort (pour une durée limitée). Dans un second temps, ces assemblées sont chargées de choisir en leur sein les responsables de l’exécutif (président et premier ministre). De Sizif ne propose pas de choisir les dirigeants par tirage au sort, mais de tirer au sort une assemblée de représentants qui choisit ensuite les principaux dirigeants.
La stochocratie ne se confond pas avec la démocratie directe, qui est une forme de gouvernement où le peuple, détenteur du pouvoir, s’exprime directement, sans l’intermédiaire d’un parlement. Or, une démocratie parlementaire pourrait décider de choisir les membres de son parlement par tirage au sort.
Source : le-démocrate.fr
Aujourd'hui, "les mises en cause du fonctionnement des démocraties représentatives modernes se multiplient" écrit Alain Chatriot, professeur au centre d'histoire de Sciences Po" sur la page de Vie publique, Le tirage au sort : un juste moyen de sélection ?
Elles émanent aussi bien de promoteurs de régimes refusant les élections pluralistes que de défenseurs d’approches radicales qui rêvent de démocratie "directe". Dans ce cadre, la question du tirage au sort a retrouvé une actualité politique depuis plusieurs décennies, par le biais de quelques expériences ainsi que de réflexions en sciences sociales et en théorie politique. Le tirage au sort constitue en effet, avec l’élection et le concours, l’un des moyens de sélection possibles des représentants politiques.
Lié à l’imaginaire démocratique car il postule pour partie l’égalité des individus parmi lesquels s’opère la sélection, il a été néanmoins longtemps mis à distance au profit du vote, considéré comme le seul moyen d’exprimer un choix démocratique.
Pratiqué sous l'Antiquité pendant la démocratie athénienne à l'aide d’un klèrôtèrion, une "machine à tirer au sort", mais aussi dans la République romaine, il "renaît" en Italie au XIIIe siècle. Il a également été utilisé "pour les jurys en Angleterre, dans les colonies anglaises des Amériques, avant que la Révolution française ne généralise la procédure pour les jurys d’assises" (Chatriot).
La machine qui tirait au sort les citoyens d’Athènes, CNRS
"La question s’est de nouveau posée vers la fin du XXe siècle avec une nouvelle pratique, celle de l’échantillon représentatif" (Chatriot).
Les jurys citoyens apparus en Allemagne et aux États-Unis dans les années 1970, les conférences de citoyens (ou de consensus) nées au Danemark à la fin de la décennie 1980 et les sondages délibératifs introduits dès les années 1970, en particulier aux États-Unis, sont autant de pratiques qui mobilisent le tirage au sort. Leur point commun est de s’adresser à chaque fois à des "minipublics" rassemblés pour des durées limitées sur des objets précis, et ne disposant pas le plus souvent du pouvoir de décision final.
Une série – certes réduite – d’expériences à une échelle plus importante a été lancée au début du XXIe siècle. En Colombie-Britannique, vaste province du Canada, une assemblée citoyenne tirée au sort à partir des listes électorales s’est réunie en 2004 pour débattre d’une réforme du mode de scrutin. Le tirage au sort a ainsi permis d’éviter les soupçons qui entachent souvent ce type de réforme lorsqu'elle est encouragée par un ou des partis politiques. Les résultats des travaux de cette assemblée ont été approuvés par référendum en mai 2005 mais avec un nombre de voix insuffisant compte tenu des règles de majorité contraignantes. Après la quasi-faillite du pays qui a suivi la crise économique de 2008, l’Islande a également tenté l’expérience d’une assemblée citoyenne en 2010, lors d’une crise politique majeure, afin de modifier la Constitution, mais les partis politiques traditionnels ont finalement bloqué le processus.
Plus récemment, l’expérience menée en Irlande a donné un résultat plus abouti : trois assemblées citoyennes se sont réunies successivement afin de réformer la Constitution de 1937 en fonction des évolutions de la société. Mise en place en 2012, la première assemblée se composait de 66 citoyens tirés au sort et de 33 élus issus des différents partis ; l’intervention d’experts était également prévue mais ils ne participaient pas aux délibérations. Seules certaines des nombreuses propositions émises par l’assemblée ont été retenues, la plus symbolique étant la légalisation du mariage pour les couples de même sexe, largement approuvée par référendum en mai 2015 (avec 62% de "oui"). Une deuxième assemblée citoyenne a été mise sur pied à l’automne 2016 ; les 99 citoyens tirés au sort qui la composaient avaient une mission plus précise, centrée sur cinq enjeux, dont une question dominante : celle de la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), très controversée dans le pays. À la suite des travaux et des délibérations de l’assemblée citoyenne, un référendum a entériné à 66,4% la légalisation de l’IVG, mettant ainsi en lumière l’importance des processus de délibération dans une situation bloquée pour les partis politiques.
Forces et faiblesses du tirage au sort
À chaque fois qu’il a été utilisé, il est apparu comme une solution possible pour remédier à des crises politiques de grande ampleur ou à des blocages liés aux forces partisanes traditionnelles. Parmi les défenseurs de ce mode de sélection figurent aussi tous ceux qui, au sein des assemblées élues, dénoncent la pauvreté des formes de délibération et le défaut de représentativité ; ils stigmatisent en particulier le déséquilibre en genres, la faible représentation des minorités et la très forte homogénéité sociale des élus. Le tirage au sort sur la base d’échantillons représentatifs pourrait dépasser ces divers blocages. Toutefois, il fait aussi l’objet de critiques car :> il ne permet pas l’exercice classique de la "responsabilité politique", c’est-à-dire la faculté de sanctionner un représentant en refusant de le réélire ;
> l’organisation des procédures nécessite une ingénierie importante : la délimitation du périmètre de la population au sein de laquelle le tirage est effectué est toujours délicate ;
> il pose la question de la contrainte : peut-on obliger une personne tirée au sort à accepter sa charge ?
Le risque éventuel d’une professionnalisation des "tirés au sort" n’est pas exclu si l’assemblée citoyenne siège pendant une longue durée.
Source : Vie publique, Le tirage au sort : un juste moyen de sélection ?
Sous sa vidéo Trois différents usages politiques du tirage au sort, à bien distinguer (les chambres de contrôle, l'assemblée législative, l'assemblée constituante), Etienne Chouard, militant politique, expose 11 vertus du tirage au sort :
1. La procédure du tirage au sort est impartiale et équitable : elle garantit une justice distributive (conséquence logique du principe d’égalité politique affirmé comme objectif central de la démocratie).
2. Le tirage au sort empêche la corruption (il dissuade même les corrupteurs : il est impossible et donc inutile de tricher, on évite les intrigues) : ne laissant pas de place à la volonté, ni des uns ni des autres, il n’accorde aucune chance à la tromperie, à la manipulation des volontés.
3. Le tirage au sort ne crée jamais de rancunes : pas de vanité d’avoir été choisi ; pas de ressentiment à ne pas avoir été choisi : il a des vertus pacifiantes pour la Cité, de façon systémique.
4. Tous les participants, représentants et représentés sont mis sur un réel pied d’égalité.
5. Le hasard, reproduisant rarement deux fois le même choix, pousse naturellement à la rotation des charges et empêche mécaniquement la formation d’une classe politicienne toujours portée à tirer vanité de sa condition et cherchant toujours à jouir de privilèges. Le principe protecteur majeur est celui-ci : les gouvernants sont plus respectueux des gouvernés quand ils savent avec certitude qu’ils reviendront bientôt eux-mêmes à la condition ordinaire de gouvernés.
6. Le tirage au sort est facile, rapide et économique.
7. Le hasard et les grands nombres composent naturellement, mécaniquement, un échantillon représentatif. Rien de mieux que le tirage au sort pour composer une assemblée qui ressemble trait pour trait au peuple à représenter. Pas besoin de quotas, pas de risque d’intrigues.
8. Savoir qu’il peut être tiré au sort incite chaque citoyen à s’instruire et à participer aux controverses publiques : c’est un moyen pédagogique d’émancipation intellectuelle.
9. Avoir été tiré au sort pousse chaque citoyen à s’extraire de ses préoccupations personnelles et à se préoccuper du monde commun ; sa désignation et le regard public posé sur lui le poussent à s’instruire et à développer ses compétences par son travail, exactement comme cela se passe pour les élus : c’est un moyen pédagogique de responsabilisation des citoyens, de tous les citoyens.
10. Préférer le tirage au sort, c’est refuser d’abandonner le pouvoir du suffrage direct à l’Assemblée, et c’est tenir à des contrôles réels de tous les représentants : donc, le tirage au sort portant avec lui des contrôles drastiques à tous les étages, il est mieux adapté que l’élection (qui suppose que les électeurs connaissent bien les élus et leurs actes quotidiens) pour les entités de grande taille. (Alors qu’on entend dire généralement le contraire.)
11. DE FAIT, pendant 200 ans de tirage au sort quotidien (au Ve et IVe siècle av. JC à Athènes), les riches n’ont JAMAIS gouverné, et les pauvres toujours. (Les riches vivaient très confortablement, rassurez-vous, mais ils ne pouvaient pas tout rafler sans limite, faute d’emprise politique.) Ceci est essentiel : mécaniquement, infailliblement, irrésistiblement, le tirage au sort DÉSYNCHRONISE le pouvoir politique du pouvoir économique. C’est une façon très astucieuse d’affaiblir les pouvoirs pour éviter qu’ils n’abusent. On est donc tenté de penser que c’est l’élection des acteurs politiques qui a rendu possible le capitalisme, et que le tirage au sort retirerait aux capitalistes leur principal moyen de domination.
Voici également un lien ou sont présentées les objections contre une Assemblée Constituante Tirée au Sort et les objections contre le Tirage au Sort dans la Vie Politique.
Pour approffondir la question, vous pouvez lire :
- Le tirage au sort : intérêt et limites, Pierre Khalfa, ATTAC, 2020
- Cervera-Marzal, Manuel, et Yohan Dubigeon. « Démocratie radicale et tirage au sort. Au-delà du libéralisme », Raisons politiques, vol. 50, no. 2, 2013, pp. 157-176.
- Le tirage au sort peut-il sauver la démocratie?, Béatrice Mabilon-Bonfils, Slate, 2019
- Tirage au sort, la démocratie du citoyen ordinaire, Claire Legors, Le Monde, 2020
- Comment le tirage au sort peut-il relancer notre démocratie ?, Sénat citoyen (Collectif de citoyens défendant le tirage au sort pour approfondir notre démocratie), Socialter, 2019
- Le retour du tirage au sort en politique, Gil delanoi, Fondapol, 2010
- Le tirage au sort en politique, Arthur Massicot, République éclairée
- Le tirage au sort [Livre] : comment l'utiliser ? / Gil Delannoi, 2019
- Tirage au sort et politique [Livre] : une histoire suisse / Maxime Mellina, Aurèle Dupuis, Antoine Chollet, 2020
- La démocratie c'est vous ! [Livre] : pour le tirage au sort en politique / Paul Le Fèvre, 2019
- Sur la « nature » du tirage au sort en politique : dialogue entre hasard et élection, Hugo Bonin, Erudit, 2017
- Petite histoire de l'expérimentation démocratique [Livre] : tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours / Yves Sintomer, 2011
- Le Tirage au Sort meilleur que l’Élection ?, La revue de démocratie
et/ou écouter le podcast Le tirage au sort, démocratique ?, 2020
et/ou regarder la vidéo Le tirage au sort au service de la démocratie. De la machine antique aux enjeux actuels, Conférence illustrée du 5 février 2020, à l'occasion de l'arrivée du klèrôtèrion au Musée des Moulages de l'Université Lumière Lyon 2.
Bonne journée.