Que signifie le terme "transculturel" ?
Question d'origine :
Que veut dire le mot transculturel
Réponse du Guichet
Le sens du terme « transculturel » varie selon les époques et les points de vue mais il a pour point de départ l’idée d’une déculturalisation du passé, pour inventer une nouvelle culture commune et ainsi penser l’altérité.
Bonjour,
Définir la notion « transculturelle » s’avère particulièrement complexe et diffère selon les périodes, les domaines étudiés et plus généralement selon les points de vue. Cette notion, grâce à la contribution de l’intellectuel Fernando Ortiz, émerge en 1940 pour être employée par les chercheurs canadiens.
Ainsi, Dans Mehrsprachigkeit und Transkulturalität in frankophonen Räumen: Modelle, Sara Demuth et Fabienne Leconte abordent le sujet « conceptualiser en Français langue seconde : pour une pédagogie transculturelle de la philosophie » et précisent ce que l’on entend par « transculturalisme » :
On attribue le terme « transculturalisme » (ou plutôt « transculoturacion à l’intellectuel Fernando Ortiz [1940]), qui le définit comme la synthèse d’un déculturalisation du passé et un métissage du présent. L’invention d’une nouvelle culture commune se base alors sur la rencontre et le métissage de différents peuples et cultures. Selon Lamberto Tassinari (directeur du journal transculturel montréalais, Vice Versa), qui s’intéressa comme Ortiz aux questions d’identité, le transculturalisme est une nouvelle forme de l’humanisme qui se base sur l’idée d’abandonner les identités traditionnelles et de surpasser les limites des vieux héritages culturels. Le nouvel humanisme se base sur une reconnaissance de l’autre, sur un métissage des cultures et s’oppose à une culture singulière et traditionnelle de l’état-nation en promouvant une citoyenneté cosmopolite (voir Erfurt 2021, 114-117)/ Dans ce sens, le transculturalisme est une posture et une activité. Elle présuppose un certain volontarisme de la part des acteur.e.s.
Mais le transculturalisme comme prisme de l’analyse est aussi une façon de regarder des changements culturels qui prennent leur origine dans l’interaction et les dynamiques de la (dé-re-) valorisation dans des contextes marqués par la mobilité, le contact et l’hétérogénéité, et cela partout où les individus entrent en contact (Erfurt, 2021,97). Le transculturalisme comme théorie de l’échange linguistique favorise la recherche sur les pratiques hétérogènes et hybrides, mais elle doit être consciente de leur marginalisation par rapport aux formes ayant du pouvoir (Lewis 1998).
Angela Buono approfondit ce concept en l’intégrant dans divers champs d’études :
« La notion du transculturel fait désormais partie du langage courant, ainsi qu’en témoigne l’inclusion du terme dans les principaux dictionnaires. Néanmoins, les définitions qu’ils en donnent ne rendent pas tout à fait compte des implications du mot. Si dans Le Grand Robert l’on indique de façon générique que transculturel c’est ce « qui concerne les transitions entre cultures différentes » (ad vocem), dans Le Petit Larousse l’idée même de mouvement et de passage entre les cultures est ramenée à la simple pluralité culturelle. Dans l’édition de 2003 on peut lire que transculturel c’est ce « qui concerne les relations entre plusieurs cultures » (ad vocem), tandis que dans une édition plus récente du dictionnaire en ligne (2009) on trouve la définition suivante : « se dit d’un phénomène social qui concerne plusieurs cultures, plusieurs civilisations différentes » (ad vocem).
Cette dernière formulation n’apporte guère davantage de précisions sur la spécificité du transculturel et, qui plus est, ces définitions ne permettent point de bien démarquer le transculturel des notions voisines du pluriculturel, de l’interculturel et du multiculturel. Pour ce faire, il convient de se rapporter aux définitions proposées par le Conseil de l’Europe. Dans le Cadre européen commun de référence pour les langues, la dimension pluriculturelle est définie en ces termes :
Les différentes cultures (nationale, régionale, sociale) auxquelles quelqu’un a accédé ne coexistent pas simplement côte à côte dans sa compétence culturelle. Elles se comparent, s’opposent et interagissent activement pour produire une compétence pluriculturelle enrichie et intégrée dont la compétence plurilingue est l’une des composantes, elle-même interagissant avec d’autres composantes.Afin de bien saisir la prégnance de la notion de transculturel, il convient d’en retracer l’évolution. On fait remonter sa naissance à la réflexion de l’anthropologue cubain Fernando Ortiz : en 1940, dans son ouvrage Contrapunteo cubano del tabaco y el azúcar, il introduit le mot « transculturation » en substitution du terme « acculturation », pour mieux rendre compte de la complexité ethnique et de l’évolution ethnoculturelle dans l’île de Cuba[1]. Ainsi que l’a expliqué Jean Lamore :
À cette époque, la notion d’acculturation est très en vogue : chère aux Nord-Américains, elle débouche sur l’idée d’assimilation [...] : fondée sur un fait éminemment eurocentriste, elle impliquait que l’indigène, le « sauvage », le « barbare » devait obligatoirement « s’assimiler », ou encore « se civiliser ». Or, Ortiz, en étudiant le processus de formation ethnoculturelle de Cuba, définit un processus totalement différent : la transculturation, qui se caractérise par le choc. L’« ex-culturation » des peuples conquis, soumis ou exploités, n’empêche pas certains syncrétismes : le conquérant prend lui aussi une part de sa culture. Il y a aussi « inculturation », c’est-à-dire une acquisition réciproque d’éléments culturels.
Tout en dépassant la perspective eurocentrique dominante, le néologisme imaginé par Ortiz résume les implications multiples des transferts culturels, comme ce passage, ici rapporté dans la traduction qu’en offre Jean Lamore, met bien en évidence :
Le vocable « transculturation » exprime mieux les différentes phases du processus de transition d’une culture à l’autre, car celui-ci ne consiste pas seulement à acquérir une culture distincte – ce qui est en toute rigueur ce qu’exprime le mot anglo-américain d’ « acculturation » – mais que le processus implique aussi nécessairement la perte ou le déracinement d’une culture antérieure, – ce qu’on pourrait appeler « déculturation », et en outre, signifie la création consécutive de nouveaux phénomènes culturels que l’on pourrait dénommer « néo-culturation ». [...]
Au Québec, l’application du transculturel à l’expérience migrante a été le fait, au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du siècle dernier, du groupe d’intellectuels d’origine italienne rassemblés autour du magazine Vice Versa, proposant un projet transculturel dont Fulvio Caccia et Lamberto Tassinari ont été les porte-parole :
Le terme transculturel a une dimension politique car ce mot implique la traversée d’une seule culture en même temps que son dépassement. L’unité qu’il sous-tend n’a pas la même résonance que celle qu’évoquent le termes « inter-culturel » ou « multi-culturel ». Ceux-ci définissent un ensemble et le circonscrivent dans un espace et un temps, alors que le transculturel ne possède pas de périmètre. C’est le passage et l’implication totale à travers et au-delà des cultures
(…)
La dimension transversale au niveau du temps et de l’espace du projet transculturel tel que le conçoivent les intellectuels italo-québécois confère à sa portée politique un caractère utopique, se réclamant de cette « utopie nord-américaine » que Jean-Michel Lacroix et Fulvio Caccia, dans leur introduction au volume Métamorphoses d’une utopie, définissent comme l’idéal fondant « [...] une nouvelle humanité. Humanité enfin dépouillée de son eurocentrisme, débarrassée du carcan de l’Histoire, où il serait possible de réinventer la culture en saisissant l’absence, l’entre-deux qui conduit à l’altérité créatrice » (p. 12).
Chez Hédi Bouraoui le transculturel accomplit une autre étape de son parcours, en manifestant sa force de création sur le double plan de l’identité et de l’esthétique.
(…)
En appliquant à la culture les concepts de traversée, transition, transformation qu’entraîne la notion du transculturel, Bouraoui a élaboré une vision culturelle dynamique à même de refléter la réalité et traduire les enjeux du monde actuel. D’après lui, « l’émigration redéfinit l’ontologie de l’être contemporain »
Source : Angela Buono, Le transculturalisme : de l’origine du mot à « l’identité de la différence » chez Hédi Bouraoui, International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes, numéro 43, 2011, p. 7–22.
Par ailleurs, dans Le Canada, une culture du métissage / Transcultural Canada, Paul D. Morris (2019) rappelle que :
Afef Benessaieh dans « six theses on Transculturality : a view from the new world », clarifie la portée du transculturalisme [et qu’il ]« trace les contours conceptuels du transculturalisme en faisant ressortir les racines du terme dans les développements théoriques de l’anthropologie culturelle du XXe siècle (…)
Selon l’auteure, le transculturalisme est capable de répondre aux besoins d’une sociologie culturelle contemporaine à deux niveaux d’envergure : mondial, national ou encore individuel. En fin de compte Benessaieh cherche à démontrer comment le transculturalisme arrive à s’implanter comme un état d’esprit ou une disposition qui promeut la fécondité et la mutabilité des cultures dans des processus de contact et d’évolution permanents.
Pour approfondir la question nous vous suggérons les lectures suivantes :
- Borders, memory and transculturality : an annotated bibliography on the European discourse / edited by Angela Vaupel, 2017.
- Heidelberg studies on transculturality / 2015
- Canada and the Americas : multidisciplinary perspectives on transculturality : proceedings from the International, Multi-lingual Colloquium, Glendon College, York University, Toronto, Canada, April 24-25, 2008 = Le Canada et les Amériques : perspectives pluri-disciplinaires sur la t[r]ansculturalité : actes du Colloque International Multi-langue / Afef Benessaiah, 2008.