Qu'est ce qui distingue les peuples Russes et Ukrainiens ?
Question d'origine :
Qu'est ce qui distingue les peuples Russes et Ukrainiens, leurs particularité , étant donné qu'on leur a dit qu'il étaient "frères" de langues Slaves etc....
Quand les frontières ont été définies et par quel traité historique....
Merci pour la réponse
Chr .E
Réponse du Guichet
La guerre en Ukraine a ravivé la bataille des identités entre russes et ukrainiens. Si les deux peuples parlent des langues proches et partagent une longue histoire commune, celle-ci est faite autant de tensions que de rapprochements.
Bonjour,
Vous vous demandez ce qui différencie les peuples Russes et Ukrainiens, et pourquoi ceux-ci sont parfois définis comme des peuples «frères».
Tout d’abord, concernant les rapports entre les langues Russe et Ukrainienne, il s’agit bien de deux langues slaves, mais l’Ukrainien n’est pas un dérivé du Russe, comme l’affirment certains nationalistes Russes.
Comme l’explique Phillip M. Carter, professeur associé de Linguistique à la Florida International University dans un article du site The conversation, l’Ukrainien est bien une langue distincte du Russe, comme peuvent l’être l’Espagnol et le Portugais. Elles auraient évolué depuis une langue commune, le protoslave, parlée aux environs de 500 avant JC dans une région qui correspondrait à l’Ukraine Occidentale. Ses locuteurs se seraient ensuite déplacés vers le nord, l’ouest et le sud, donnant naissance aux différentes langues slaves que sont l’ukrainien et le russe donc, mais aussi le polonais ou le serbe par exemple.
Un article sur le blog de la société de traduction AbroadLink revient plus en détail sur les différences entre les deux langues aux niveaux grammatical, alphabétique et de la prononciation.
Concernant l’histoire des relations historiques entre les deux pays, de nombreuses publications ont traité cette question, que ce soit sous forme d’articles de presse ou d’ouvrages.
Nous pouvons vous renvoyer à cette précédente réponse du Guichet du savoir, qui portait sur les prétextes historiques mobilisés par Vladimir Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine. Elle comporte de nombreuses références qui vous permettrons d’en savoir plus sur les relations entre Ukraine et Russie.
Parmi elles, nous attirons votre attention sur la synthèse réalisée par Timothy Snyder, historien américain spécialiste de l’Europe centrale, lors d’une conférence donnée récemment au département d’études ukrainiennes de l’université d’Harvard (en version originale ici, traduite en français pour le magazine en ligne AOC, accessible dans les bibliothèques de Lyon).
Nous citions également l’ouvrage Histoire partagée, mémoires divisées, proposé en accès libre par les éditions Antipodes. Il rassemble des contributions de spécialistes consacrées aux relations entre Russie, Pologne et Ukraine et à la construction mémorielle de chacun de ces pays.
Son introduction brosse un panorama synthétique de l’histoire de la région :
Au XIe siècle, l’État kiévien, la Rous, marque l’intégration des Slaves de l’Est à l’histoire européenne. Anna Iaroslavna (ou Anne de Kiev) en est un symbole : fille de Iaroslav, dit le Sage, prince de Kiev (1036-1054), et d’Ingigerd de Suède, elle épouse le roi des Francs, Henri Ier, un Capétien. Au XIIIe siècle, la crise interne de la Rous de Kiev et l’invasion tataro-mongole met fin à l’histoire commune des Slaves orientaux. À l’ouest de cet espace, les principautés de Galicie et de Volynie développent des liens avec la Lituanie et la Pologne, et l’aristocratie orthodoxe finit par se fondre dans la République des Deux Nations (ou République polono-lituanienne), grande puissance européenne jusqu’au XVIIIe siècle. Plus à l’est, les principautés russes connaissent un lent processus de centralisation étatique dont l’adoption officielle du titre de « tsar » par Ivan IV dit le Terrible lors de son couronnement en 1547 est une étape marquante. Entre l’affirmation d’une puissance russe à l’est, la République polono-lituanienne à l’ouest – qui s’étend de la mer Baltique à la mer Noire –, et l’Empire ottoman – qui domine la Crimée au sud –, une vaste zone de contacts et de conflits s’est ouverte, qui correspond largement à l’Ukraine actuelle. Le contrôle des confins méridionaux de la Pologne-Lituanie est confié aux cosaques zaporogues, que le statut d’hommes libres transforme en des soldats potentiellement rebelles pour l’État qui les emploie. En 1648, leur grande révolte dirigée par Bohdan Khmelnytsky est le début du « déluge » qui emportera la puissance polono-lituanienne. Les trois partages de la Pologne-Lituanie à la fin du XVIIIe siècle entre les puissances de l’Europe centrale et orientale de l’époque, la Prusse, l’Autriche et la Russie, en sont l’épilogue tragique. Dans un mouvement d’expansion vers l’ouest, la Russie, qui a déjà intégré la rive gauche du Dniepr à l’occasion des troubles du XVIIe siècle, contrôle désormais également la rive droite jusqu’à la Volynie (la Galicie étant devenue autrichienne). La situation est ainsi fixée pour tout le XIXe siècle. La disparition de la Russie des tsars en 1917 ne met pas fin à cette histoire partagée. Si la Pologne a regagné son indépendance à la suite de la désintégration de l’Empire russe en 1917, l’Ukraine, qui a tenté de faire de même, est finalement soviétisée dans la foulée de la guerre civile de 1918-1920. La lutte des deux nouveaux États, soviétique et polonais, prend la forme, en 1919-1920, d’une guerre presque permanente qui s’est soldée par une défaite soviétique permettant une importante avancée de l’État polonais en direction de l’est, sur des terres ukrainiennes. En 1939, dans le cadre du Pacte germano-soviétique, des protocoles secrets répartissant pays et territoires entre les signataires donnent aux Soviétiques les territoires orientaux de l’État polonais. La Seconde Guerre mondiale engendre un long cortège de massacres de masse (notamment Katyn en 1940, l’extermination des Juifs, le massacre des Polonais en Volynie en 1943). Les violences se sont perpétuées sous d’autres formes après la guerre : « déplacement » de la Pologne en 1945 et déportations de populations (jusqu’à « l’opération Vistule » en 1947). Durant la guerre froide, l’URSS étouffe les aspirations nationales ukrainiennes et polonaises, et si les frontières bougent, c’est de façon pacifique, comme en ce qui concerne la Crimée en 1954, dont le rattachement à la République soviétique d’Ukraine constitue un symbole fort. Ce changement sera lourd de problèmes – insoupçonnés sur le moment – entre les futures Russie et Ukraine postsoviétiques. Et pourtant, en cette même année 1954, le 300e anniversaire de la « réunification » des peuples ukrainien et russe donne libre cours au discours russocentriste, perceptible dans l’interprétation du mouvement cosaque de Bohdan Khmelnytsky, utilisé par le pouvoir de Moscou pour souligner le caractère positif de la « réunion » des deux peuples. Sous Leonid Brejnev, on constate à la fois l’émergence d’un discours grand-russe de plus en plus assumé et une « ukrainisation » (de l’histoire notamment), initiée au plus haut niveau par Petro Chelest, dirigeant du Parti communiste d’Ukraine de 1963 à 1972. Il faut néanmoins attendre la perestroïka et la désintégration de l’Union soviétique en 1989-1991 pour que la boîte de Pandore de la mémoire historique s’ouvre. Elle ne s’est toujours pas refermée aujourd’hui.
Nous vous conseillons également la lecture de l’ouvrage Russes et Ukrainiens, les frères inégaux : du Moyen Age à nos jours, d’Andreas Kappeler, édité par Cnrs éditions depuis notre précédente réponse. L'auteur y analyse finement l'évolution des rapports entre l'Ukraine et la Russie depuis le Moyen Âge.
Nous vous souhaitons bonne lecture,
Le département civilisation