Comment les dessins numériques peuvent-ils entrer dans le monde de l'art ?
Question d'origine :
Comment les dessins numériques peuvent-ils entrer dans le monde de l'art ? Y a-t-il une façon de les sécuriser ? Quelles sont les tendances pour fabriquer des objets (tableaux et photocollage ? Impressions sur des matériaux innovants...).
Réponse du Guichet
Avec la multiplication des oeuvres numériques, la question de leur sécurisation et de la lutte contre le piratage s'est rapidement posée. Aujourd'hui, les NFT ( "jetons non fongibles") représentent un tiers des ventes d'œuvres en ligne, soit 2 % du marché global de l'art. Cette technologie de sécurisation des oeuvres basée sur une blockchain dope le monde de l’art.
Bonjour,
Répondons tout d'abord à votre première interrogation sur les rapports entre le dessin numérique et le monde de l'art.
Commençons par un petit rappel historique :
En France, les œuvres utilisant les nouvelles technologies (en particulier l’ordinateur) pâtirent d’un manque de reconnaissance jusque dans les années 1990. La défiance des institutions artistiques à l’égard des outils jusqu’alors réservés aux laboratoires scientifiques, ou cantonnés dans la sphère de l’entreprise, se manifestait par une indifférence ou, au mieux, par une condescendance envers des pratiques dont les finalités ne semblaient pas pouvoir rejoindre celles de l’art.
Pendant ces années fondatrices, l’enjeu de l’invention de l’art numérique était d’assurer, notamment à tous les nouveaux artistes et théoriciens, comme à leurs productions, la place qu’ils estimaient mériter dans le « monde de l’art ». Il fallait donc que ces derniers unissent leurs forces et soulèvent des problématiques transversales et fédératrices. Comme l’écrivait Howard S. Becker, lorsque « les théories existantes n’homologuent pas les œuvres concernées, il faut élaborer une nouvelle esthétique, un nouveau style de critique, et énoncer de nouveaux critères de jugement ». C’est selon cet objectif que de nombreux acteurs de cet art alors émergent entreprirent de fonder ce que le sociologue américain appelle un « monde de l’art », c’est-à-dire un domaine indépendant doté de ses propres règles et intervenants, une partie du « monde de l’art » en général . Or, puisque ces acteurs étaient d’origines et de cultures différentes, cela ne s’est pas fait par le biais d’une action symbolique commune, mais plutôt par une série d’interventions dont l’accumulation a produit un « effet de manifeste ».
Plusieurs expositions ont été montées pour faire connaître cet art en France : Electra en 1983 à Paris, la biennale Artifices à saint Denis, les festivals Exit à Créteil ou du Cube à Issy-les-moulineaux, etc. Elles s’accompagnaient souvent de conférences (festival ISEA 2000), dont un des objectifs était de faire se rencontrer les acteurs de ce monde de l’art en formation, afin qu’ils en dessinent ensemble les contours. Vitrines de l’avenir d’un art promu et prophétisé, ces expositions ressemblaient souvent à une sorte de fourre-tout, mélangeant installations, performances, spectacles et objets hybrides, transdisciplinarité obligée oscillant entre art et démonstrations technologiques (dont beaucoup n’étaient pas au point, ce qui n’était pas le moindre de leurs charmes). [...]
source : L’« art numérique » L’effet manifeste des théories Digital art Manifesting theories / Célio Paillard
Nous vous laissons poursuivre la lecture de cet article dans son intégralité.
Un article datant de 2013 abordait l'état de l'art numérique à cette époque. La reconnaissance de l'art numérique se traduisait par la multiplication des aides publiques à la création numérique et par l'intégration de formations à la création numérique dans les écoles d'art. Voici un extrait de sa conclusion :
Les arts numériques, en tant que forme d’art émergent, présentent un certain nombre de caractéristiques : reconnaissance encore limitée de la part des pouvoirs publics, des institutions artistiques, des galeries, du marché et du grand public ; statut souvent précaire des artistes, par ailleurs peu nombreux…
Ce contexte accentue l’un des problèmes centraux des arts numériques : celui de la conservation des œuvres créées, d’autant plus que le support numérique est lui-même soumis à une obsolescence très rapide et nécessite des mises à jour régulières et coûteuses.
Une autre caractéristique liée au médium utilisé est son caractère très international (déjà fort marqué dans le domaine de l’art contemporain), avec la présence de quelques artistes connus internationalement du milieu spécialisé des arts numériques dans de nombreux événements, festivals ou expositions.
Un des modes de développement et de familiarisation de cette discipline avec le public est d’ailleurs la multiplication de ces festivals et événements, ainsi que la présence des arts numériques dans l’espace public.
Il n’existe pas encore de réel marché des arts numériques en dehors des soutiens des pouvoirs publics : rares sont les galeries qui les proposent (et encore plus les galeries en ligne), d’autant plus que les acheteurs restent attachés aux objets. La logique des tirages limités entre par ailleurs en contradiction avec l’un des axes de la philosophie des arts numériques, qui est celui de l’accès et de la culture libre.
Pourtant, les arts numériques se situent à l’avant-garde de la convergence entre arts et sciences et donc de l’exploration de nouvelles pistes de réflexion. Ils concrétisent aussi une possibilité de renouveau du tissu économique d’une ville ou d’une région par l’intégration des industries créatives dans le reste de l’économie et des structures d’enseignement artistique et scientifique. C’est, par exemple, le pari posé par la ville de Lyon, en France, en tant que ville des arts numériques, tant en termes d’image qu’en termes de mise en place de synergies. C’est également celui lancé par la Commission européenne dans le cadre du Programme Europe créative pour les quatre prochaines années.
La Communauté française est le pouvoir public compétent pour le soutien aux arts numériques et pour l’enseignement supérieur artistique. Dans ce domaine, quelques rapprochements sont à souligner, comme celui ayant abouti à la création de l’École supérieure des arts à Mons (Arts2), et des collaborations établies avec la Faculté polytechnique.
Par ailleurs, trois structures d’accompagnement spécifiques (Transcultures, iMAL et CECN) jouent un rôle actif dans la promotion du secteur, tandis que Numediart est spécialisée dans la formation en technologies des arts numériques.
En Communauté française, malgré un certain cloisonnement des disciplines artistiques, un financement a pu être trouvé pour les arts numériques ; il a progressé de façon importante ces dernières années. La limitation des montants disponibles s’est traduite récemment par des efforts en vue d’améliorer la visibilité de cette discipline.
D’autres aides existent dans le contexte de logiques différentes, que ce soit au niveau européen ou régional, ou encore au niveau communal, où certains centres culturels et académies jouent un rôle actif.
source : DIOUF Laurent, VINCENT Anne, WORMS Anne-Cécile, « Les arts numériques », Dossiers du CRISP, 2013/1 (N° 81), p. 9-84.
Voici quelques articles au sujet des arts numériques à consulter en plus de ces ouvrages sur l'Art numérique :
- DIOUF Laurent, VINCENT Anne, WORMS Anne-Cécile, «Les arts numériques», Dossiers du CRISP, 2013/1 (N° 81), p. 9-84.
- Edmond Couchot & Norbert Hilaire, L’Art numérique. Comment la technologievient au monde de l’art,Flammarion, coll. Champs, 2005 / Maria Antonia Manetta
- Fourmentraux Jean-Paul. Fréquenter l'art numérique : configurations techniques et rituels sociaux. In: Quaderni, n°64, Automne 2007. Environnement et expertise : entre science et politique, quelle légitimité ? pp. 89-96.
- TUDURI Claude, « Pour un art des images numériques », Études, 2005/10 (Tome 403), p. 363-373.
Un livre de référence : L'art numérique : Comment la technologie vient au monde de l'art / Edmond Couchot, Norbert Hillaire
Et une émission radio France Culture : L’art numérique existe-t-il ? du Samedi 1 juin 2013.
La situation a bien changé car aujourd'hui on assiste à l'explosion du marché des NFT, ces œuvres d’art numériques qui voient leur valeur sans cesse multipliée. Un musée vient d'ailleurs d'ouvrir ses portes à Seattle : NFT : ouverture d’un musée entièrement dédié aux œuvres de crypto-art à Seattle.
Que sont les NFT, ces œuvres numériques qui bouleversent le monde de l’art ? / France Culture explique :
Longtemps, les artistes travaillent conventionnellement, au pinceau, au burin, etc... Puis, avec l'apparition de l'ordinateur, les techniques changent. On utilise dorénavant l'ordinateur pour faire des images, produire des objets numériques, virtuels. Tout ça va évoluer très rapidement avec l'arrivée d'internet dans les années 1990 et, sans rentrer dans les détails, l'irruption des réseaux sociaux. Qu'est-ce qui se produit ? La question qui se pose pour les artistes qui produisent avec les ordinateurs, c'est celle du piratage, de la duplication : n'importe quelle œuvre peut être dupliquée, n'importe qui peut s'emparer d'une création que vous avez faite et mise en circulation. C'est quelque chose qui pose une question de droit à une époque où l'esprit "open-source" commence à être discuté.
Protéger les œuvres numériques du piratage
Vous faites un dessin numérique, vous le mettez sur Internet, on vous le vole. Vous faites le même dessin numérique et vous le convertissez en ce qu'on appelle un jeton non fongible, c'est-à-dire personnalisé. Cette œuvre, vous ne pouvez y accéder en tant que propriétaire que si vous avez le code sur la blockchain. Donc, ça veut dire que l'œuvre peut continuer à circuler, être dupliquée, mais du point de vue de la propriété, elle vous appartient et elle appartient à celui qui vous l'achètera, puisque vous lui donnerez le code de la blockchain.
Vendues pour des millions de dollars, et souvent créées par des artistes inconnus au bataillon, elles font plus que rivaliser avec le marché de l’art traditionnel, et sont en passe de devenir incontournables.
Que signifie NFT et comment est-ce que cela fonctionne ?
Littéralement, NFT signifie Non Fungible Token, soit jeton non fongible. Le terme pique déjà la curiosité. Il s’agit en réalité de jetons numériques uniques en leur genre, et impossibles à dupliquer dans leur entièreté. Ils fonctionnent sur le même principe que la crypto monnaie, soit basés sur une blockchain. Autre question qui surgit alors, qu’est-ce qu’une blockchain ? Il s’agit d’une technologie à la fois de stockage et de transmission de données qui se veut transparente, mais aussi sécurisée, et fonctionnant sans la nécessité d’un organe de contrôle général. Ces NFT sont donc des œuvres d’art numériques stockées sur ces chaines qui peuvent être achetées, pour des sommes loin d’être modiques. Pour résumer, un NFT c’est un objet numérique, qui peut être une oeuvre d’art mais aussi une vidéo, ou un GIF, et qui se vend sur internet via des transactions de crypto monnaies (bitcoins) résultant en un commerce très lucratif.
source : Les NFT, futur du monde de l'art / Aurore de Granier
Comment fonctionne techniquement ce système de sécurisation des oeuvres ?
Les oeuvres d'art numérique sont certifiées par des jetons appelés non fongibles (non interchangeables) qui tracent et certifient les créations. Explications :
Dieter Shirley, cofondateur de Dapper Labs (les Cryptokitties) est à l'origine de la norme ERC-721 qui a établi les règles propres aux NFT. On peut assimiler un NFT à un certificat d'authenticité inviolable puisque inscrit sur une blockchain.
Pour les artistes du numérique, la donne a été intégralement changée. Puisque le NFT certifie qu'une œuvre est liée à son créateur, et qu'il identifie la chaîne des acheteurs successifs, il est devenu possible d'attribuer une valeur à des JPG, des clips vidéo, des animations interactives, des œuvres issues de l'intelligence artificielle... Des plateformes comme Rarible ou OpenSea ont permis à n'importe qui de mettre en ligne des œuvres ainsi protégées et de fixer soi-même le prix de vente, le nombre d'exemplaires disponibles.
source : Comment les NFT révolutionnent le marché de l’art / Daniel Ichbiah - Futura Sciences - 14 juillet 2022
Pour en savoir plus, quelques articles :
Bulle spéculative NFT : l’or d’œuvres numériques / Lucie Ronfaut - Libération - 27 septembre 2021
CORNELISSEN Adrien, «Art et création: à qui profite l’émergence des NFT?», Nectart, 2022/2 (N° 15), p. 138-147.
BONIN Laurie, CORVER Julie, «L’art numérique, à la frontière entre le réel et le virtuel», Inflexions, 2022/2 (N° 50), p. 17-23.
Tout savoir sur les NFT / Repaper by ISKN
Voir les articles du magazine Connaissance des arts et notamment celui qui explique Comment investir dans les NFTs d’art ?
Contrairement à ce qui est indiqué dans notre charte, vous nous avez posé plusieurs questions en une. Nous répondrons ultérieurement à votre dernière interrogation.
Bonne journée.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Concernant les "tendances", le magazine Elle mentionne le textile comme Médium, Art Jasper note l'usage toujours plus grand des animations graphiques en 3D lorsque le site artmajeur.com s'intéresse à l'emploi du recyclage.
Vous retrouverez un certain nombre d'articles consacrés aux dernières tendances de l'art sur le site de L'observatoire de l'art contemporain.
L'article d'Ashley Lee Wong, Comment se confronter au marché : les nouveaux médias face au marché de l’art (Marges 28|2019) pourrait également vous intéresser.
Enfin, nous ne pouvons que vous inviter à consulter l'ouvrage Le paradigme de l'art contemporain : structures d'une révolution artistique de Nathalie Heinich (2022), interviewée dans le journal Le Figaro.