D'où vient le fait de "lactofermenter" le tofu ?
Question d'origine :
Bonjour,
Aujourd'hui, il est possible d'acheter du tofu lactofermenté. Je me demandais si le fait de lactofermenter le tofu est une technique pratiquée dans les pays d'où est originaire le tofu, et s'il s'agit d'une pratique ancienne ? Merci
Réponse du Guichet
Le tofu lactofermenté est une recette ancienne, réalisée dans différents pays d'Asie comme le Japon, l'Indonésie où il est appelé tempeh ou la Chine, dont le premier traité d'agriculture chinois daté du VIe siècle de notre ère rapporte le processus fermantaire.
Bonjour,
Vous souhaitez savoir d'où vient le tofu lactofermenté et si cette préparation culinaire est une pratique ancienne mais voyons d'abord ce qu'est le tofu.
L'ouvrage Miso, tempeh et tofu fermenté également consultable sur Google livres explique que
Le tofu est un caillé de soja obtenu à partir de jus de soja jaune et de nigari (Chlorure de magnésium). Ce caillage provient d'une réaction chimique qui se produit au contact du nigari : le tofu classique ne contient pas de probiotiques.
Il est précisé ensuite qu'il existe "des tofus obtenus à partir de jus de soja lactofermenté, ce qui signifie que le "lait" de soja est ensemencé par des ferments lactiques avant d'être caillé" :
Sa saveur est légèrement acidulée est sa texture, dense et friable, rappelle un peu celle de fromages comme la feta ou le halloumi. On est d'ailleurs presque dans l'univers de la fromagerie avec ce soja dont la saveur a été travaillée par l'action de bactéries bienfaitrices, exactement comme un fromage frais. Notez bien que la lactofermentation n'implique aucunement l'utilisation de lait animal, il s'agit donc bien d'un "fromage" 100% végétal.
Comme dans le cas du miso, les sucres du soja ont été prédigérés par l'action des ferments et ses protéines sont devenues beaucoup plus assimilables. Le tofu lactofermenté est donc plus digeste que le tofu classique et apporte à notre microbiote tous les bienfaits des ferments, à condition d'éviter de le cuire. Le tout quasiment sans glucides et avec très peu de matières grasses.
Mais quelle est l'origine du tofu et plus encore, celle du tofu lactofermenté ?
Dans Le Japon : des samouraïs à Fukushima, consultable partiellement sur Google livres, les auteurs, Lionel Babicz, Jean-Marie Bouissou et Guillaume Carré, notent que :
parmi les produits alimentaires populaires consommés depuis l'Antiquité, il faut citer le soja qui, sous ses diverses préparations, forme un élément caractéristique de la cuisine japonaise : sauce à base de soja fermenté (shôyu), pâte de soja (miso), différentes sortes de fromages de soja fermenté (tôfu).
Mais il est aussi question de tempeh, dans Médecines complémentaires et alternatives de Caroline Daviau et dans Épicerie bio de Clémence Roquefort, consultables partiellement sur Google livres, qui serait du soja fermenté d'origine indonésienne.
D'après Wikipédia (Tofu fermenté), le tofu fermenté serait un condiment originaire de Chine et "fabriqué suivant diverses méthodes en Asie Orientale". Son nom vient du chinois 腐乳, fǔrǔ, « lait fermenté », abréviation de doufuru (豆腐乳, dòufǔrǔ, « tofu lacto ». Il existe un autre terme pour le désigner : sufu.
La première mention connue de fermentation du tofu dans les textes anciens, se trouve dans un texte du XVIe – XVIIe siècle, le Penglong ye hua 蓬栊夜话 « Discours nocturnes des Monts Penglong » de Li Rihua 李日华 (+1565, 1635) :
« Les gens du district de Yi [dans l'Anhui] aiment faire fermenter le tofu durant l'automne. Ils attendent que le morceau de tofu change de couleur et soit couvert de filaments. Puis ils enlèvent les poils, le sèche et le plonge dans l'huile bouillante comme pour faire une pâtisserie san 馓, et laisse s'égoutter l'huile. Il est cuit avec d'autre aliments » (adapté de la traduction de Huang 2000)
À la fin du XVIIe siècle, on trouve un texte donnant une description précise du procédé de fermentation du tofu avec salage et macération, tout à fait semblable à la procédure traditionnelle donnée dans une section précédente. Il s'agit du Shi Xian Hong Mi 食宪鸿秘 de +1680. Ce texte utilise en outre, pour la première fois, les termes contemporains de furu et rufu.
Enfin, d'après Annie Hubert et Françoise Sabban, autrices du chapitre Des produits traditionnels an Asie du Sud-Est : Des aliments fermentés et des boissons en particulier, dans l'ouvrage Les fermentations au service des produits de terroir coordonné par Marie-Christine Montel, Claude Béranger et Joseph Bonnemaire
Le continent asiatique recèle une infinie variété de cuisines, de produits et de procédés. Parmi ces derniers la fermentation est utilisée depuis des millénaires. Il est impossible ici de recenser toutes les tendances, tous les produits toutes les variations, entre l'Orient extrême du Japon jusqu'aux abords de l'Inde.
[...]
L'usage de la fermentation a considérablement élargi le répertoire alimentaire et gastronomique de l'humanité. Nous ne saurons jamais comment nos lointains ancêtres ont découvert que l'on pouvait apprivoiser ce phénomène naturel et tout à fait extraordinaire. Savaient-ils déjà que, tout le temps et dans tous les milieux naturels, des matières se transforment sous l'action de micro-organismes ? Que ce processus sauvage permet de produire d'excellentes et savoureuses nourritures, sans parler des possibilités de conservation ? Quoi qu'il en soit, toutes les cultures culinaires ont fait appel à cette manière de transformer des aliments, pour leur plus grand bonheur.
Dans un autre chapitre, Les fermentations alimentaires dans le monde chinois, Françoise Sabban donne ces précisions :
... tout indique que les Chinois savaient préparer des boissons alcooliques par fermentation il y a déjà quelque 4000 ans, puisqu'on a retrouvé dans des fouilles archéologiques de Shandong de nombreux ensembles de poteries dont les pièces devaient vraisemblablement servir à l'usage de boissons alcooliques. il ne s'agissait probablement pas de bières au sens où l'entendent les archéologues spécialistes de l'Egypte et de la Mésopotamie ancienne, mais de boissons alcooliques dont le processus de fermentation seraient spécifiques à cette aire géographique.
[...]
Le premier traité d'agriculture chinois (le Qimin yaoshu ou qmys, Techniques essentielles pour le peuple de Qi, voir Miao, 1982), conservé dans son intégralité, et daté du VIe siècle de notre ère, est par chance un véritable traité d'économie domestique, dont le quart du contenu est dédié aux activités péri-agricoles, et notamment à la fabrication de produits alimentaires de conserve, des condiments, et de boissons alcooliques dont la spécificité commune est de nécessiter la mise en œuvre de processus fermentaires.
[...]
Les condiments
Ils sont de deux types : les jiang à base de toutes sortes de produits végétaux, animaux et marins dont la fermentation est lancée par l'un des ferments jaunes, et les chi, à base de graines de soja, obtenus par fermentation naturelle sans ajout de ferment...
[...]
Les étapes de base du processus de fermentation
Malgré l'ancienneté de cet ouvrage d'agriculture chinois, on constate que la maîtrise des opérations de fermentation était assez remarquable, si l'on en croit la précision avec laquelle chaque opération est décrite dans ses diverses étapes et articulations identifiées. Le modèle en est à peu près identique pour chaque confection, et on peut les énumérer comme suit :
- choix du bon moment,
- choix du lieu adéquat,
- soin apporté dans la sélection des ingrédients de base,
- souci des bonnes proportions,
- règle d'hygiène,
- recommandations d'ordre magique,
- durée de maturation et de conservation spécifiée,
- conseils divers sur l'usage et la façon de conserver.
Pour chacune de ces étapes, les opérations à effectuer sont détaillées en incluant les éventuelles difficultés que l'on peut rencontrer, et parfois le moyen d'y remédier. De nombreuses recommandations concernant les précautions à prendre dans l'exécution des diverse manipulations laissent à penser que ces préparations étaient en quelques sorte risquées, et qu'on pouvait ne pas réussir ; c'est pourquoi toute une batterie de tests est évoquée pour prévenir l'échec éventuel...
Bonne journée