Pourquoi les ceintures de perles sont elles considérées comme favorisant la fertilité ?
Question d'origine :
Bonjour
Pourquoi les ceintures de perles portées en Afrique notamment sont elles considérées comme favorisant la fertilité et aidant à la procréation ?
Bien cordialement.
Réponse du Guichet
On retrouve dans de nombreuses cultures d'Afrique noire une présence des perles dans les cérémonies liées au féminin, au mariage et à la sexualité. Certains auteurs y voient une association visuelle entre l'huître et le sexe féminin, mais des anthropologues spécialistes lient plutôt la perle à l'idée de richesse, d'opulence, et, par là, de fécondité.
Bonjour,
L'Afrique est en effet un grand continent, riche de milliers de cultures traditionnelles, qui, si elles n'ont cessé d'interagir et d'échanger au cours des siècles, ont chacune ses spécificités que nous ne pourrons pas aborder une à une ici... surtout que les perles ont, dans les cultures d'Afrique noire, des rôles très divers, souvent liés au monde féminin, au passage à l'âge adulte, au mariage ou à la sexualité.
Dans le beau livre de Carol Beckwith et Angela Fisher Cérémonies d'Afrique, on peut découvrir un corset de perles porté par une jeune Dinka du Soudan "qui signifie son éligibilité au mariage", une jeune Ndébélé (Afrique du Sud) portant "de gros anneaux de perles" autour de la taille, reçu comme cadeau de noces, ou de jeunes femmes Bassari du Sénégal à la tête ceinte de perles dans le cadre d'une cérémonie initiatique de passage à un nouvel âge.
Dans l'article Perles magiques à Madagascar, paru en 1959 dans le Jourdal des africanistes et disponible sur Persée, S. Bernard-Thierry rattache la perle à la notion de fécondité incluse dans une conception plus générale de richesse, d'opulence :
Les petites perles dites tongarivo \ « qui arrive à mille », sont des perles de richesse. Très communes, elles se présentent généralement enfilées sur des brins de raphia. Cylindriques, courtes, variant d'une forme quasi annulaire à une forme tubulaire, elles sont irrégulières, à sections rarement droites, parfois renflées en leur partie médiane. La pâte de verre opaque offre des couleurs diverses, la caractéristique immuable étant le décor à rayures blanches longitudinales sur fond uni. Notre collection comprend : 1° un enfilage de 6 tongarivo rouges; 2° 8 tongarivo de grosseurs et couleurs différentes : noir, orange, vert, rouge clair, toutes à raies blanches plus ou moins larges et espacées.
L'appellation de tongarivo évoque la prospérité, la fécondité. Arivo, qui signifie « mille », est aussi une sorte de superlatif, l'indice du maximum, et se retrouve dans quantité de noms de lieux de Madagascar 2. Tongarivo veut donc dire « parvenu à la plénitude ». Pages distingue deux types de ces perles : « L'une est difforme, écrit-il, de couleur noire, portant tout autour d'elle et dans le sens de la longueur de nombreuses raies blanches. L'autre, beaucoup plus petite, de couleur bleu outremer et de forme ronde, porte aussi des raies blanches longitudinales ». Renel la décrit de son côté comme « bleue à raies blanches verticales » 4. Il semble donc que les couleurs se soient diversifiées, les raies blanches ayant seules une valeur significative.
D'après les Tantara, la tongarivo est utilisée « comme offrande pour l'enfant né sous le destin d'Adizaoza », avec notamment un coquillage, de l'eau pesée avec une balance et de jeunes pousses roulées en spirales. Comme sikidy en main, il faut « des perles tongarivo avec des taches pour que tout ce que nous faisons arrive à bien ». Pour Pages, « c'est au destin d'Adimizana qu'appartient la petite perle, destin majeur dont l'emplacement est celui de la porte par où entre et sort le bien comme le mal ».
Mais l'auteur va plus loin : certaines perles, plus spécifiquement liées à la fécondité, sont qualifiées par des noms qui évoquent l'oeuf, en raison de leur forme.
Dans Perles d’Afrique, des données archéologiques aux objets actuels : utilisations et symbolisme à travers l’exemple des perles du Cameroun, Archéologie et Préhistoire. Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 2016, Mathilde Buratti insiste toutefois sur le lien fait, en Afrique de l'ouest, entre la fécondité et la richesse. Ce peut être matérialisé par des poupées perlées, offertes en gage de fiançailles :
Hormis ces usages magico-religieux, les perles sont utilisées comme gage de fiançailles. Elle a des effets sur les fiancés mais aussi sur les tiers puisque la poupée arborée par la jeune femme montre son désir de s'unir à l'homme qui lui a offert cet objet perlé. Outre l'aspect financier qui montre le sérieux du jeune homme, les perles servent aussi d'information visible par tous, ce qui est facteur de stabilité sociale. La demoiselle ne peut pas s'unir à plusieurs hommes simultanément, évitant ainsi une source de conflits possibles. Etant donné que les poupées de fertilité sont des objets connus de tous les peuples des monts Mandara et Atlantika, l'information est compréhensible au-delà d'une seule communauté. Il s'agit donc d'un langage visuel largement compris.
L'origine de ces rites remonterait à une époque où les perles servaient de monnaie :
L’abondance englobe les notions de richesse, de générosité et de fécondité. Les perles servaient de monnaie ; aussi ont-elles gardé une symbolique de richesse. D’après les Kotoko, les perles en terre cuite Sao seraient des représentations de monnaie (Lebeuf, 1970). Ainsi, les perles ont eu, dès la culture sao, une vocation à être l’image de la richesse.
Les offrandes d’objets perlés symbolisent la générosité du donateur. Elles peuvent être destinées à des alliés politiques, au culte des ancêtres, à sa fiancée ou à la famille de la mariée. Ces pratiques semblent anciennes d’après l’interprétation des données archéologiques des sépultures sao.
Les poupées perlées sont supposées renforcer la fécondité des femmes qui les portent. De même, les rites de fertilité de l’ensemble du pays contiennent des danses où les pratiquants sont ornés de perles.
A. Félix Iroko, dans l'intéressant article Les perles au-delà du décoratif dans le golfe du Bénin à travers les âges, Civilisations, 1993, disponible en ligne sur OpenEdition, explique qu'au Bénin, les perles, également utilisées autrefois comme monnaie, connotent prioritairement la richesse, mais qu'elles ont également une fonction importante de parure érotique :
Les fonctions sociales à caractère profane des perles sont multiples et elles le sont autant que les autres fonctions ; néanmoins, nous renonçons dans le cadre de cette approche rapide, à l'étude de leur rôle de décoration, de parure qui, sans manquer d'intérêt, n'a plus aujourd'hui l'avantage de la nouveauté, l'Afrique n'ayant pas par ailleurs le monopole de l'exclusivité en ce domaine. En revanche, nous insisterons sur la place accordée aux perles dans le domaine de l'amour. En effet l'un des canons de beauté chez les femmes de la plupart des groupes ethniques du Golfe du Bénin consistait à porter des filières de perles aux jarrets et aux reins. Malgré l'harmonie de l'agencement de ces perles, leur fonction n'est jamais prioritairement l'esthétique, mais l'érotisme : elles sont essentiellement destinées à exciter la sensualité, l'appétit sexuel des hommes qui savent les apprécier à leur juste valeur : les jarretières de perles donnent davantage de relief aux mollets que les hommes éprouvent du plaisir à caresser en même temps que les perles multicolores. Quant aux perles portées aux reins, elles sont de taille extrêmement variable : des plus fines aux plus grosses en passant par celles de taille moyenne. Cependant, les plus appréciées étaient celles qui sont dites bébé ou abébé dans les aires culturelles yoruba et ajatado : ce sont des perles discoïdes minces et plates, à très courte perforation centrale de couleur noire, bleue ou rouge ; elles étaient assez fragiles et ne résistaient pas à l'épreuve du feu comme les nana. Il en fallait un très grand nombre pour une rangée destinée à faire le tour de ceinture d'une femme. Enfilées, elles se présentent sous l'aspect d'une grosse ceinture. Selon leur goût, les femmes peuvent enfiler soit exclusivement des perles noires, soit des perles rouges, soit des bleues, soit panacher les trois. De même, elles peuvent porter soit uniquement des enfilades d'une seule couleur, soit des rangées de chacune des couleurs. Certaines cependant se contentent d'enfilades d'un seul coloris non pas pour une question de goût, mais à cause des interdits en liaison avec leur destinée.
Discrètement portées sous leurs pagnes par les femmes, ces grosses rangées de perles donnent de l'extérieur plus d'embonpoint à leur hanche, ce qui est très apprécié dans ces milieux où la stéatogypie est perçue comme un des éléments d'attrait d'une femme. En outre, dans des conditions d'intimité avec un homme, celle qui porte ces rangées de perles est censée être plus sensuelle que celle qui en est dépourvue. Jusque dans la première moitié du XXe siècle, il était rare qu'une femme ne porte pas de perles sous ses pagnes. Cela a inspiré les Fon dans l'une de leurs manières de dire qu'un homme s'est rendu coupable d'adultère avec une femme : é ha jè do alin ni : littéralement : il lui a compté les perles aux reins. Cette forme d'euphémisme découle du fait qu'il faudrait être dans la plus grande intimité avec une femme pour être en mesure, non pas seulement de voir les perles qu'elle a aux reins sous ses vêtements et les toucher, mais aussi de les compter. Cela ne signifie nullement qu'avoir des relations intimes coupables avec une femme passe par le dénombrement des innombrables perles des enfilades qu'elle porte mais c'est une manière plus élégante d'exprimer un adultère, en se fondant sur le port de perles par les femmes.
Ces conceptions des perles ne se limitent d'ailleurs pas à l'Afrique noire : dans Le dictionnaire des symboles musulmans, à l’entrée « Coquillage » Malek Chebel explique qu’à "l'échelle universelle, le coquillage participe de deux symbolismes complémentaires : sexualité et fécondité", tandis que dans Images et symboles : Essais sur le symbolisme magico-religieux , Mircea Eliade voit une ressemblance entre la coquille marine et les organes génitaux de la femme symbolisme partagé par les cauris, les huîtres et... l'escargot : « La croyance aux vertus magiques des huîtres et des coquillages, ajoute l'auteur, se retrouve dans le monde entier, de la préhistoire aux temps modernes. »
Bonne journée.