Le film "CARAVAGE" qui vient de sortir en salle reflète-t-il la réalité ?
Question d'origine :
Le film "CARAVAGE" qui vient de sortir en salle reflète t il la réalité? Notamment sa mort? Comment est il mort?
Réponse du Guichet
Le film se présente comme un biopic centré sur la dernière année de la vie du peintre. Fortement documenté et avec comme objectif annoncé de restituer «toute l’authenticité du peintre», le réalisateur fait également le choix d’une grande liberté, notamment en ce qui concerne la mort de l’artiste.
Caravage, sorti en France le 28 décembre dernier, est un film de Michele Placido qui raconte la dernière année du peintre.
Nous sommes en 1609. Accusé de meurtre, Michelangelo Merisi, dit Le Caravage (1571–1610) a fui Rome et s’est réfugié à Naples. Soutenu par la puissante famille Colonna, Le Caravage tente d’obtenir la grâce de l’Église pour revenir à Rome.
Ce que nous dit l'histoire
En 1610, le Caravage tente donc de regagner Rome où le pape semble prêt à lui accorder sa grâce. Mais, après avoir raté son bateau, le peintre fait un malaise dans le petit port italien de Porto Ercole, en Toscane, au nord de Rome. En proie à un délire et à une forte fièvre, il est transporté dans un hôpital voisin et succombe le 18 juillet, à l’âge de 38 ans.
La mort du peintre a longtemps nourri l’imaginaire : insolation, paludisme, meurtre, empoisonnement au plomb contenu dans sa peinture… De nombreuses hypothèses ont été avancées sur la cause de son décès, certaines alimentant la face sombre de l’artiste.
Jusqu’au jour où son corps est retrouvé dans un ancien cimetière près de l’hôpital où il est décédé.
« Grâce à une coopération avec des anthropologues italiens et avec le microbiologiste Giuseppe Cornaglia, nous avons obtenu plusieurs dents prélevées sur le squelette du Caravage »
déclare le Pr Didier Raoult, directeur de l’Institut Hospitalier Universitaire (IHU)-Méditerranée Infection à Marseille (oui : lui-même).
Les équipes du Pr Michel Darcourt et du Pr Didier Raoult ont alors extrait la pulpe dentaire des dents collectées.
« Du vivant d’un individu, la pulpe dentaire est riche en vaisseaux sanguins. Ceux-ci se dessèchent après la mort. Si le sang contient des germes pathogènes, comme c’est le cas lorsqu’un patient meurt d’une septicémie, il est possible détecter des traces, même plusieurs siècles plus tard en utilisant plusieurs techniques de biologie moléculaire »
explique le Pr Raoult.
Les analyses scientifiques et comparaisons d’ADN menées par les deux professeurs permettent de conclure que le peintre serait mort des suites d’une septicémie à staphylocoque doré. Conséquence d’une infection osseuse, elle-même serait due à une blessure à la jambe survenue quelques jours auparavant, lors d’une bagarre à Naples !
L’étude complète est parue le 17 septembre 2018 dans la revue Lancet Infectious Diseases:
Le propos du film
En lisant la note d’intention du réalisateur, nous comprenons que son projet, au-delà de dessiner le portrait réaliste et « véridique » du peintre, était plutôt de rendre sensible cet espace-temps, cette ville monde qui proposait autant de beauté que d’horreur.
«… [tout juste arrivé à Rome et alors étudiant au Conservatoire], je rêvais à des projets futurs ayant pour cadre cette période historique et cette ville-monde dans laquelle coexistaient la papauté, la noblesse et les misérables, où Caravage cherchait sa place…»
Il s’agit donc plutôt de rendre un hommage sensible, artistique et historique que de restituer avec exactitude une réalité alors pleine de zones d’ombre.
« Le film que j’avais en tête rendrait toute l’authenticité du peintre avec ses vices et ses vertus, son humanité profonde et viscérale, et en même temps toute la vérité de son époque.»
Le propos serait donc de livrer au spectateur d’aujourd’hui une authenticité sensible (« viscérale»), de proposer une lecture émotive de la vie de l’artiste.
Le réalisateur précise que son film
« imagine le célèbre peintre comme un artiste pop, menant la vie tourbillonnante qu’il mènerait aujourd’hui à New York ou à Londres ».
Un parti pris assumé qui laisse donc entrevoir les libertés prises avec le réel.
En conclusion
Si le réalisateur propose une lecture tout à la fois réaliste (chronologie, événements ponctuant le récit, restitution des lieux, des toiles…), il fait également le choix de s’éloigner de la vérité historique pour livrer une version de ce qu’aurait pu être l’histoire.
Le personnage interprété par Louis Garrel, l’Ombre, seul personnage fictif du film, joue en ce sens un rôle métaphorique assez fort.
La mort du peintre, elle aussi, rend compte d’une liberté narrative qui répond sans doute à une volonté « romanesque » du scénario.
On peut d’ailleurs imaginer qu’au moment où se concrétise la production du film, l’analyse n’a pas encore livré ses conclusions et que la mort de l’artiste est encore auréolée d’un mystère ténébreux.
Pour aller plus loin
A propos du film
A propos du peintre
Livres
Ouvrages de référence
Caravage sous la direction de Mina Gregori
Le Caravage par Roberto Longhi (traduit de l'italien Gérard-Julien Salvy)
Caravage par Catherine Puglisi (traduit de l'anglais par Denis-Armand Canal)
Biographies du Caravage
Michelangelo Merisi dit Le Caravage, (1571-1610) par Laurent Bolard
Documentaires
Caravage : une vie en clair-obscur / réal. de Valérie Manuel
Caravage : un génie en fuite (collection Les grands Maitres de la peinture)
En ligne
Le Caravage : itinéraire d’un peintre assassin par Joséphine Bindé (Dossier Beaux arts Magazine - accès libre)
Réalités Biomédicales – La mort du Caravage, par Marc Gozlan (Le Monde, 20 septembre 2018 - accès libre)