Documents au format papier vs documents au format numérique, quel est le plus écologique ?
Question d'origine :
Lorsque l'on a besoin de travailler et collaborer en groupe. Et d'utiliser un ensemble de documents pour ce travail, a partager, lire etc...
Il y a les adeptes du numerique et ceux qui préfèrent avoir tout les documents en papier..
Ma question est, entre utiliser des documents en format papier et les mêmes document en format numerique , quel est le plus écologique ?
Réponse du Guichet
Les sources consultées se rejoignent à propos de l’impact environnemental considérable des TIC (dont l'utilisation de documents numériques) mais aussi sur celui du papier. "Entre les deux filières, les impacts les plus forts ne se situent pas au même endroit." Parfois il est à la fois fait usage du numérique et du papier. Il est cependant essentiel que chacun·e apprenne à réduire son empreinte carbone liée aux outils digitaux.
Bonjour,
Dans l'article qui s'intéresse aux "contradictions dans les représentations qu’ont les utilisateurs des liens entre TIC et développement « durable », ainsi qu’aux incohérences relevées chez certaines personnes entre une attitude écologique revendiquée et des comportements écologiquement non responsables", « TIC et/ou développement durable : le paradoxe écologique vécu par les utilisateurs », Annales des Mines - Gérer et comprendre, vol. 128, no. 2, 2017, pp. 48-61, les auteurs dont Angélique et Florence Rodhain, écrivent :
Aujourd’hui, les chiffres ne manquent plus pour montrer l’impact considérable des TIC sur l’environnement : les technologies numériques représentent le premier poste de consommation électrique spécifique des Français (BREUIL et al., 2008) : elles sont aussi polluantes en gaz à effet de serre que tout le transport aérien (GARNER GROOP 2007). Des e-déchets en provenance des pays riches sont déchargés en toute illégalité en Inde ou en Afrique pour y être démontés par des enfants dans des conditions inacceptables, tout en polluant les nappes phréatiques (AIT DAOUD, BOURDON et RODHAIN, 2012). En République Démocratique du Congo, l’extraction artisanale et illégale de la colombite-tantalite (coltan) nécessaire aux condensateurs de nos appareils électroniques est au cœur de la guerre du Kivu ...
Un doute insidieux s’est installé et les slogans radieux de la « société de l’immatériel » commencent à être timidement remis en cause. Certes, les chercheurs remarquent bien que les TIC ne permettent pas d’atteindre le « zéro papier » promis (ERKMAN, 1998 ; HUWS, 1999 ; RODHAIN et FALLERY, 2010), qu’elles ne se substituent pas aux déplacements, mais créent en fait d’autres opportunités de se déplacer (CLAISSE, 1983 ; MOKHTARIAN, 1997 ; FLIPO et al., 2012), et qu’elles sont très loin d’être des outils immatériels et sans déchets (FICHTER, 2003)… Une revue aussi prestigieuse que la Management Information Systems Quarterly (MISQ) considère désormais que les Information Systems for Environmental Sustainability sont un thème central de débats et de recherches : Melville (2010) y a recensé 35 articles depuis 2000 et Malhorta et al. (2012), 23 articles depuis 2008.
Florence Rodhain dans La nouvelle religion du numérique : le numérique est-il écologique ? publié en 2019, "fait l'état des lieux des idées préconstruites sur les changements apportés par les technologies numériques dans la société, notamment concernant l'écologie. Elle montre que l'industrie numérique est l'un des secteurs les plus polluants de la planète et dénonce les circuits d'informations qui mettent de côté la réalité complexe des données scientifiques", (source : Electre). La chronique 19 de la 1ère partie intitulée Il faut 30 ans pour amortir une liseuse... Le livre papier plus écologique que le livre numérique est éloquente :
L'émission carbone d'un livre se chiffre à 1,3 kg de CO2. Celle d'une tablette à 178 kg de CO2 (en prenant la moyenne des émissions de trois tablettes : Sony, Ipad et Kindle), ce qui correspond à 137 livres.
Ainsi, une liseuse est "rentabilisée" d'un point de vue environnemental à partir de la lecture de 137 livres. Sous ce seuil, soucieux d'écologie, il vaut mieux lire des livres sous format papier.
D'après Hachette, un lecteur français assidu s'offre 4,5 livres par an. Un calcul rapide montre qu'il faudrait donc 30 ans à un lecteur moyen pour amortir une tablette (137/4,5).
Au rythme des sorties des nouvelles tablettes et de l'obsolescence programmée, on peut supposer que les tablettes et liseuses aient une durée de vie de 2 ans. 137 livres étant le seuil de basculement, il faudrait que le lecteur lise 137/2 = 68 livres par an pour être "écolo-rentable".
Cependant, même si les calculs d'émission carbone prennent en compte dans leurs hypothèses différents facteurs liés à l'analyse du cycle de vie (production, utilisation, transport...), ils ne peuvent toutefois pas modéliser les pertes totalement irrécupérables en termes de ressources renouvelables et de santé des éco-systèmes, impossibles à représenter de façon totalement chiffrée.
Ainsi, en phase de conception, on utilise pour la fabrication d'un livre des ressources renouvelables (on sait comment planter des arbres), alors qu'on exploite des ressources épuisables pour le "e-livre" : minerais précieux - coltan, lithium, terres rares - d'où la nécessité d'une exploitation minière, cause majeure de... déforestation !
Par ailleurs, en phase de fin de vie, si l'on sait parfaitement gérer les déchets du papier, c'est tout à fait l'inverse pour les déchets électroniques. En France, seuls 10% des déchets électroniques sont gérés de façon responsable et globalement. A l'échelle de la planète, les déchets électroniques polluent les sols, les rivières et nuisent à la santé des plus démunis qui dépècent ces outils à mains nues. La liseuse délaissée finira sans doute sa vie quelque part dans le monde à polluer les sols ou à mettre en danger la vie des femmes ou d'enfants, principaux acteurs des secteurs informels du recyclage sauvage.
De plus, tous ces calculs ne valent rien... car ils ne prennent pas en compte un problème de poids lié à la psychologie du gros lecteur : celui-ci, seul "écolo-rentable" potentiel, ne préfère-t-il pas le livre papier, le toucher, l'entretien de sa bibliothèque ?
Par ailleurs, comme le signale Arnfalk, des lecteurs de e-livre ont rapporté s'être tellement passionnés pour un ouvrage qu'ils se sont ensuite précipités chez le libraire pour le conserver en version papier. Dans ce cas, loin de se substituer au papier, le livre numérique vient en complément, et toute comparaison en terme écologique devient dénuée de sens.
L'article Papier vs numérique : un match écologique en réalité serré de La fabrique écologique, publié en novembre 2020, qui revient plus en détail sur l'impact environnemental et climatique des documents papier et numériques résume que :
Entre les deux filières, les impacts les plus forts ne se situent pas au même endroit. Pour la filière papier, ils se concentrent au tout début de la production (carbonate de calcium) et durant la phase d’impression (encre). Pour le numérique, où le nombre de serveurs devant être utilisés représente une variable importante, ils concernent principalement l’hébergement et le stockage sur les serveurs du site du fournisseur.
et conclut :
Faire le « bon choix écologique » ne se résume pas à la quantification des émissions de GES mais également à l’analyse de cycle de vie ou encore aux effets rebonds produits par les deux matériaux et à leur usage. Il est primordial d’optimiser dans ce domaine les comportements individuels et des entreprises face à l’usage du numérique et/ou du papier. Aujourd’hui, les choix entre les deux filières de chaque individu ou entité économique relèvent surtout de considérations pratiques prenant en compte des facteurs émotionnels, culturels et de rentabilité. Ceux effectués par le secteur de la communication sont principalement fonction de l’efficacité commerciale par rapport au public visé. Il est pourtant indispensable que les impacts environnementaux et climatiques constituent un des critères de leurs choix et qu’ils puissent les faire en pleine connaissance de cause.
Il faut aussi relever "que la consommation de papier augmente au même rythme que les TIC, et plus rapidement que le PIB" (Florence Rodhain) :
S'il existe bien des effets de "subsitution" (un document électronique qui se substitue au document papier comme dans le cas des impôts), ceux-ci, nous explique une chercheuse en écologie industrielle sont marginaux par rapport aux possibilités d'impression accrues par les TIC. Ainsi, Internet offre des possibilités d'accès à des documents comme jamais auparavant, et la tentation est grande d'en imprimer certains, d'autant plus que les innovations technologiques encouragent ce phénomène (imprimantes toujours moins onéreuses et plus performantes, permettant d'imprimer toujours plus rapidement et facilement).
Cette tentation peut être très présente dans le cas d'un travail en groupe où la collaboration est facilitée par le partage de documents numériques.
Le dossier La face cachée du numérique publié par l'ADEME (agence de la transition écologique) en janvier 2021 donne des conseils pour réduire l'impact du numérique sur l'environnement :
- Garder plus longtemps ses équipements
- S’équiper léger
- Limiter les consommations d'énergie
- Optimiser les impressions :
⇒ Imprimez seulement ce qui est utile et quand c’est nécessaire
⇒ Paramétrez l’imprimante : noir et blanc, brouillon, recto-verso, 2 pages par face…
⇒ Utilisez comme brouillon le papier imprimé sur une seule face. Évitez d’imprimer des documents gourmands en encre (aplats de couleur…)
⇒ Et quand vous imprimez, fiez-vous aux labels suivants pour le papier : l'Écolabel Européen, l'Écolabel Nordique, l'Ange Bleu ou FSC. Pour les cartouches d'encre, privilégiez l'Écolabel Nordique et l'Ange Bleu.
- Recycler
- Alléger ses mails :
⇒ Ciblez les destinataires, nettoyez vos listes de diffusion et supprimez les pièces jointes d'un message auquel vous répondez
⇒ Optimisez la taille des fichiers que vous transmettez
- Recherche web : aller au plus court
- Le stockage des données :
⇒ Ne conservez que ce qui vous est utile
⇒ Stockez et utilisez le maximum de données localement
⇒ Stockez uniquement le nécessaire sur le Cloud.
Vous pouvez également prendre connaissance du dossier de presse de cette même agence, Numérique responsable : et si nous adoptions les bons réflexes ?, 2022, qui revient aussi sur l’empreinte environnementale du numérique en France, les leviers d’actions et les bonnes pratiques pour le réduire.
Pour aller plus loin sur la question du numérique et l'écologie :
L'enfer numérique [Livre] : voyage au bout d'un like / Guillaume Pitron, 2021
Réparer le futur [Livre] : du numérique à l'écologie / Inès Leonarduzzi, 2021
L'impératif de la sobriété numérique [Livre] : l'enjeu des modes de vie / Fabrice Flipo, 2020
Pour une écologie numérique [Livre] / Éric Vidalenc, 2019
Bonne journée.