Quelle est la raison du décès de Élisabeth Petrovna Tsarine de Russie ?
Question d'origine :
Bonjour, Pouvez vous me donner un coup de main pour trouver la raison du décès de Élisabeth Petrovna Tsarine de Russie (1709-1762). Est ce que la thèse de l'assassinat a été retenue dans le contexte extrêmement tendu de la guerre de 7 ans (1756-1763) ? Un drame marquant un tournant dans la guerre et a posteriori qui pourrait (symboliquement du moins) expliquer la victoire de la mentalité et des coutumes anglo-saxonnes dans le monde occidental, avec toutes les répercussions qui leur sont attribuées et qui sont toujours effectives à l'heure actuelle. Merci beaucoup par avance pour votre attention et pour le temps que vous prendrez pour apporter des éléments de réponse à ce sujet !
Réponse du Guichet
Il semble qu’Élisabeth Ire soit morte de maladie. Par ailleurs ni cette mort, ni les revirements d’alliance de son successeur Pierre III ne suffisent à expliquer la montée en puissance de la Grande-Bretagne.
Tout semble attester d'une mort naturelle d’Élisabeth Ire, malade depuis plusieurs années. Par ailleurs, la guerre de sept ans est une guerre complexe, où chaque protagoniste joue un rôle et il paraît difficile de d'expliquer la victoire de la Grande-Bretagne uniquement par l'alliance de Pierre III avec Frédéric II de Prusse.
Mort d’Elisabeth Ire:
Notons tout d’abord que les biographies d’Élisabeth Ire de Russie ne sont pas si nombreuses, éclipsée qu’elle a été, surtout en France, par Catherine II.
Mais tous les textes consultés s’accordent sur sa mort : elle est morte de maladie. Nous n’avons trouvé nulle trace, même à l’état de rumeur, d’un possible assassinat.
«Après avoir lutté pendant vingt-quatre heures contre d’intolérables souffrances, elle s’éteignit le mardi 25 décembre 1761 vers trois heures de l’après-midi. Troubetzkoy annonça son décès à la foule amassée dans l’antichambre. Les ambassades en furent aussitôt informées. L’impératrice Elisabeth venait de fêter ses cinquante-deux ans, le 18 décembre.
Poissonnier avait diagnostiqué une hydropisie de poitrine ou des infiltrations aux poumons. Les symptômes laissent présumer d’un cancer de la plèvre; sans doute souffrait-elle aussi d’hypertension artérielle.»
Source: Elisabeth Ire de Russie, Francine- Dominique Liechtenhan, spécialiste de la Russie.
Le chapitre sur la mort de la tsarine a même pour titre: Chronique d’une mort annoncée. Nous vous conseillons bien sûr de lire cet ouvrage et de scruter son abondante bibliographie.
Voir aussi :
La dernière des Romanov : Elisabeth Ier, impératrice de Russie : 1741-1762 : d'après des documents nouveaux et en grande partie inédits puisés aux archives des Affaires étrangères de Paris, aux archives secrètes de Berlin et de Vienne et dans divers autres dépôts, ainsi que dans les publications russes et étrangères les plus récentes.. / K. Waliszewski
Louis XV et Elisabeth de Russie : étude sur les relations de la France et de la Russie au dix-huitième siècle, Albert Vandal, 1882, également en ligne sur Google Livres (p. 408-409 pour sa mort).
Elizabeth of Russia, Wikipedia
On trouve les mêmes informations dans de nombreuses "Histoire de la Russie".
Un tournant :
Certes la mort d’Élisabeth est bien un tournant dans la guerre de sept ans, puisque Pierre III son successeur, prussophile, met fin au conflit avec la Prusse, alliée de la Grande-Bretagne, et abandonne les autrichiens.
«Le miracle de Brandebourg
[…]
Au moment où Frédéric [roi de Prusse] se croit perdu, les évènements de Russie le sauvent miraculeusement. Le 4 janvier 1962 l’impératrice de Russie meurt. Son neveu monte sur le trône sous le nom de Pierre III. Le nouvel empereur choisit de négocier avec Frédéric II, l’homme qu’il admire le plus au monde, une paix. C’est, selon les termes mêmes du roi, le miracle de la maison de Brandebourg, qui parvient à se rétablir contre toute attente.»
Les relations internationales dans l’Europe moderne 1453-1789, Jérôme Hélie
Mais il est difficile de dire que ce tournant est le seul facteur de la victoire et de l’expansion de la Grande-Bretagne. Nous vous laissons consulter l’article La guerre de sept ans, sur Wikipédia, qui vous donnera une petite idée de la complexité de ce conflit que Churchill a qualifié de «guerre mondiale».
On peut même trouver des textes qui minimisent le rôle joué par le revirement de Pierre III :
Voir par exemple :
Ou dans Guerre de sept ans, Gallica, Les Essentiels :
«La guerre de Sept Ans est la première guerre véritablement mondiale: on se bat sur plusieurs fronts, en Europe, en Amérique et en Inde. C’est un renversement des alliances qui voit s’opposer principalement la France, alliée à l’Autriche, contre la Prusse, alliée à l’Angleterre. Le Prussien Frédéric II est en infériorité numérique, mais son armée, très bien équipée, est la mieux entraînée.De cette longue lutte, la Prusse sort grandie et la France abaissée. Frédéric II doit la victoire à son génie militaire et à sa ténacité autant qu’à la médiocrité de ses adversaires, qui n’ont pas su combiner leurs efforts et saisir les occasions décisives. La fin de la guerre, en 1763, consacre l’échec des prétentions françaises et couronne la volonté britannique: la France est évincée du continent nord-américain et perd l’essentiel de ses possessions aux Indes. Cette guerre s’avère désastreuse pour Louis XV, qui a sacrifié 200 000 hommes en Allemagne pendant qu’il perdait ses colonies faute de troupes pour les défendre.»
Ce sont donc aussi, entre autres, les politiques menées par la France et ses pertes coloniales qui favorisent l’expansion britannique.
«La France, première puissance du continent, a été ruinée par une politique aventureuse menée par des ministres qui ont été les artisans d’une Alliance avec l’Autriche dont les conséquences sont encore plus désastreuses que ce qu’avaient envisagé les plus pessimistes.»
Le XVIIIe siècle, Jérôme Hélie, Chapitre 8: La guerre de sept ans, une guerre mondiale.
Ce qui est certain, c'est que le traité de Paris acte la fin de la domination française:
«C’est dans un climat de fête dont témoigne cette estampe qu’est signé, le 10 février 1763, le traité de Paris, qui met fin à la guerre de Sept Ans: la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne s’accordent sur une nouvelle répartition de leurs territoires, après trois ans de négociations. En réalité, le traité bénéficie à la Grande-Bretagne, qui y gagne un vaste empire, des Indes jusqu’à l’Amérique, au détriment de la France, qui perd notamment l’actuel Canada. Cet accord marque un tournant: la France n’est plus la nation européenne dominante. Le Royaume-Uni peut étendre son influence et sa culture sur l’ensemble du monde. L’impérialisme britannique sera toutefois rapidement affaibli par la guerre d’Indépendance américaine, opposant treize colonies d’Amérique du Nord au royaume de Grande-Bretagne, de 1775 à 1783. À partir de 1777, la France y jouera un rôle majeur aux côtés des Américains.»
Le traité de Paris (1763), Gallica, Les Essentiels
Comme le rappelle l’article déjà cité de Wikipedia :
«Les Français n'ont pas conscience immédiatement, dans une Europe à ce moment conquise par la culture française, de l'importance de la victoire de la Grande-Bretagne à l'issue de cette guerre, qui non seulement consolide et agrandit son empire colonial, mais qui renforce également la domination de la culture anglo-saxonne en Amérique du Nord. À vrai dire, nul à l'époque ne pouvait deviner que la suprématie britannique sur cette partie du continent aboutirait à la domination du monde anglo-saxon de par la future superpuissance américaine (bien qu'il ne faille pas non plus négliger le rôle même de l'hégémonie britannique du XIXesiècle, acquise à l'issue du congrès de Vienne).»
Pour aller plus loin:
La guerre de Sept Ans : 1756-1763, Edmond Dziembowski
Histoire de la Russie : d'Ivan le Terrible à Nicolas II : 1547-1917, Pierre Gonneau, chapitre XIII: Elisabeth (1741-1761)
En Russie au temps d'Elisabeth : Mémoire sur la Russie en 1759 par le chevalier d'Éon / Charles de Beaumont, chevalier d'Éon ; présenté et annoté par Francine-Dominique Liechtenhan
Les antécédents de l'alliance franco-russe : les avances d'Elisabeth Petrovna et les préventions françaises (1741-1762), Gustave Faniez, 1916
La Russie entre en Europe: Elisabeth Ire et la succession d'Autriche, 1740-1750 / Francine-Dominique Liechtenhan (introduction et table des matières en ligne)
Elisabeth, impératrice de Russie, Colloque du tricentenaire
Diriger la politique, subir l’histoire: les diplomates français et les révolutions de la cour de Russie (1740-1741), Jean-Claude Waquet, Publications de l'École Française de Rome Année 1996, 220, pp. 203-230, en ligne.
La Russie au XVIIIe siècle II. Le printemps des tsarines, Imago Mundi
Bonnes lectures !