Je souhaiterais connaître le salaire annuel d'une tisseuse entre 1850 et 1890
Question d'origine :
Bonjour,
J'aurai voulu connaitre le salaire annuel d'une tisseuse entre 1850 et 1890, ainsi que le montant des dépenses annuelles (loyer,nourriture,habillement).
Merci pour votre réponse (et pour les précedentes)
Clami
Réponse du Guichet
Les différents écrits montrent de profondes disparités salariales entre les tisseurs et les tisseuses qui gagnent en moyenne 1 franc et cinquante centimes.
Bonjour,
Les écrits du XIXe siècle fournissent de nombreux renseignements sur les salaires des ouvrières et fournissent dans un même temps des comparaisons entre le niveau de salaire et le niveau de vie.
Ainsi dans Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France de 1789 à 1870, (édité en 1903-1904) Emile Levasseur écrit :
Depuis 1848 le gain des bonnes ouvrières avaient en général augmenté sensiblement ; mais ajoutait-il, « les femmes qui ne donnent guère que leur temps voient leurs profits diminuer tous les jours », et il attribuait cette diminution à la concurrence croissante des ouvrières, à l’organisation de la confection en gros et même à la machine à coudre. I citait, entre autres exemple, les giletières ; les habiles, celles qui travaillaient pour les tailleurs sur mesure se faisaient 3f50 à 5f50 ; mais les plus ordinaires qui travaillaient pour la confection, n’arrivaient qu’à 1fr.25 et 2fr.25 au plus ; les couseuses de gilets pour l’exportation n’atteignaient pas ce chiffre. Les mêmes différences se rencontraient en province
(…)
J. Simon a essayé de tracer le budget d’une giletière parisienne exposée à un chômage de trois mois et gagnant 468 francs dans son année : 100 francs au moins pour le logement, si elle ne voulait pas partager sa chambre avec une compagne, 115 francs pour sa toilette, 36 francs pour le chauffage et l’éclairage autant pour le blanchissage ; il restait moins de 220 francs pour la nourriture, soit 59 centimes par jour …
Toujours dans ce même volume, l’auteur indique les budgets ouvriers donnés par L. Reybaud dans son volume sur la laine :
A Elbeuf, où la vie était chère, l’homme ne pouvant guère se nourrir à moins de 0fr. 90 à 1 franc par jour, la femme à moins de 0fr. 60 à 0fr.80
(..) corbon, en 1863, évaluait à 70 p. 100 en moyenne l’augmentation des petits loyers à Paris depuis vingt-cinq- à trente ans, et à 25 p. 100 l’augmentation des denrées alimentaires. Il en concluait que le renchérissement de la vie ouvrière était d’au moins 35 p. 100, tandis que l’augmentation du salaire, qui avait été de 25 p. 100 dans quelques métiers, n’avait pas dépassé 10 à 15 p. 100 dans le plus grand nombre des professions.
L’ouvrage de Jules Simon, L’ouvrière, 1861 est une référence importante pour comprendre les différents salaires dans le tissage :
dans l’industrie lyonnaise, si la moyenne pour un homme s’élève par exemple, à 2 francs 50 centimes, elle n’atteint pas 1 franc 75 centimes pour une femme (...) on en citait une dernièrement qui, grâce à une vigueur exceptionnelle et en travaillant quatorze heures par jour, gagnait des journées égales à celles du meilleur ouvrier.
(…) la maîtresse d’atelier est rémunérée, de même que son mari, au prorata de l’étoffe qu’elle a tissée. … une maîtresse d’atelier, n’ayant pas le loyer de son métier à payer, peut, sans trop de fatigue, gagner 4 francs dans sa journée. Sur ces 4 francs, il faut défalquer un quart pour les frais, ce qui porte encore la journée à 3 francs.
(…) Les supputations les plus favorables ne permettent pas d’évaluer en moyenne la journée d’une tisseuse à plus de 1 franc 50 centimes. Portons, pour mettre tout au mieux, la moyenne des salaires à 1 franc 75 centimes par jour, ce qui donnerait 525 francs par ans pour trois cent jours de travail …
Il met en rapport son salaire avec le coût de la vie (coût du loyer, de l'alimentation ...), montrant ainsi qu’elle ne peut se procurer que le strict nécessaire.
Pour approfondir la question, vous pourrez parcourir :
- L'ouvrier en soie : monographie du tisseur lyonnais, étude historique, économique et sociale / Justin Godart ; ill. et gr. par G. Pautet, 1899.
- Les tisseurs en soie de Lyon : 1769-1900 / par Mathé aîné, ...1900
- Le salaire minimum dans la soierie / André Mongi, 1924
Plus récemment, Yves Lequin s’est intéressé à la question et a rédigé les ouvriers de la région lyonnaise (1848-1914). Les intérêts de classe et la République dans lequel il indique les écarts de salaire :
En Vivarais, la période de mise en train s’étend de 1 mois à 6 mois, et l’on a plutôt tendance à minorer le salaire normal sur une plus longue période – toute une année même, à Aubenas, à Joyeuse, à Montpezat et à Thueyts où l’on ne donne que 8 francs par mois à la jeune moulineuse, sans même la nourrir. Le tissage, qui réclame plus de connaissances pratiques, n’échappe pas à la règle : à Roanne, pour le travail de la cotonne pourtant – où l’on doit payer 100 francs au maître, à Charlieu – contre 30 à 40 francs – pour la soierie, il semble qu’il existe réellement une manière d’apprentissage ; mais il est fort court – 6 mois – ; et à La Mure-sur-Azergues, à Bourgoin, à Vizille, à Rives, à L’Arbresle, à Mornant, « l’ouvrier forme l’apprenti » en le faisant travailler et en le payant – 20 à 30 francs par mois en Dauphiné
(…)
à Roanne, un fileur gagne 2,25 francs par jour en 1848, contre 1,40 à 1,60 seulement pour celui de Saint-Germain-Laval, de Saint-Symphorien-de-Lay ou de Saint-Georges-de-Couzan ; et la fileuse 1,50 franc, quand celles des cantons ruraux d’alentour reçoivent entre 0,60 et 0,80 franc ; de même, alors qu’on donne 2 francs à un tisseur du Coteau ou de Roanne, celui-ci parvient à 1,25 au maximum à Charlieu ou à Nérondes, voire à 0,80 franc ailleurs, où le taux quotidien pour les femmes s’échelonne de 0,50 à 0,90 franc, quand il est en ville de 1,25. On retrouve ces disparités dans le tissage de la soie : à Lyon, un « canut » gagne 2 à 2,25 francs par jour en temps normal ; à l’exception de Pont-de-Beauvoisin où l’on a 2 francs, partout, dans les campagnes, il y a disparité et celle-ci peut dépasser 50 %, en Lyonnais comme en Dauphiné ; le taux s’abaisse quand on s’éloigne de la ville : s’il se tient encore à 1,40-1,50 franc à Meyzieu (dont le canton englobe les communes suburbaines de Villeurbanne et de Vénissieux), à Montluel, à Saint-Genis-Laval, voire à Mornant, il tombe à 1,20 franc à La Pacaudière, à 1 franc à Charlieu, à Saint-Symphorien-le-Château et, dans l’Isère, à Rives et à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Quant aux salaires féminins de la soierie, hors de Lyon, ils ne dépassent que médiocrement 1 franc, à Bourg-Argental, à Pont-de-Beauvoisin, à Bourgoin, à La-Tour-du-Pin, jusqu’à 1,25 au plus ; et ils sont à 0,70 à Belmont, à 0,65 à Vizille, entre 0,40 et 0,60 à La Pacaudière et à Charlieu.
Enfin, Manuela Martini et Pierre Vernus , Pierre, rappelle dans « Tisseurs et tisseuses en soie au travail dans les ateliers de la Fabrique de Lyon au milieu du XIXe siècle » (Le Mouvement Social, 2021/3 (N° 276), p. 71-92) :
En moyenne, un métier, pour faire vivre une famille de trois personnes, ne produit que huit ou neuf cents francs. […] Il faut, pour qu’un tisseur qui n’a qu’un métier puisse vivre et soutenir sa famille, qu’il ne chôme jamais et qu’il ne soit jamais malade
En complément, nous vous suggérons Crises et croissance de l'industrie lyonnaise, 1850-1900 1850-1900, Pierre Cayez (1980).