Qu'est-ce qu'un chef d'oeuvre ?
Question d'origine :
Qu'est-ce que sais que le chef-d'oeuvre
Réponse du Guichet
Au Moyen-Âge un chef d’œuvre désignait un ouvrage parfaitement réalisé par un compagnon. Puis sa définition a évolué à partir du XVIIIe siècle avec l’apparition des musées. L’œuvre a rencontré son public et le chef d’œuvre est devenu une œuvre dont on reconnait collectivement la valeur. Elle est considéré comme supérieure aux autres. Les notions de perfection et de beauté sont-ils des critères subjectifs dépendant du gout et liés à une époque ou bien existe-t-il des critères objectifs pour qualifier un chef d’œuvre universellement reconnu ?
Bonjour,
Le dictionnaire Larousse donne trois définitions du Chef d’œuvre :
- 1. Ouvrage que le compagnon aspirant à la maîtrise devait exécuter suivant des règles précises édictées par le corps de métier (ou corporation) auquel il appartenait et sous le contrôle d'un jury de maîtres.
- 2. Ouvrage capital et supérieur dans un genre quelconque ; la meilleure œuvre d'un auteur : Chef-d'œuvre de peinture.
- 3. Ce qui est parfait dans son genre : Un chef-d'œuvre d'hypocrisie.
Celles du CNRTL sont relativement semblables.
A l'origine, un chef d’œuvre désignait un ouvrage réalisé par un compagnon pour recevoir la maîtrise dans sa corporation. Mais cette définition a évolué avec le temps :
"Le chef-d'œuvre était anciennement la preuve de l'excellence que devait présenter l'artisan pour être promu à la maîtrise dans sa corporation. Le terme a pris une nouvelle signification depuis la fin du XVIIIe siècle, période marquée par la formation d'un nombre croissant de musées, dont celle du musée du Louvre en 1793.
L'élection de certaines œuvres jugées, selon des critères propres à chaque société, au-dessus des autres reflète l'évolution du goût. Mais la permanence dans l'estime et la fascination qu'exercent certains chefs-d'œuvre peuvent donner à penser que ceux-ci se situent au-delà des fluctuations du goût, à un niveau complexe de rapports entre le spectateur et l'œuvre, de façon, semble-t-il, objective. Qu'en est-il de cette «objectivité» ? "
Voir aussi cet article de Malika Bauwens publié dans le magazine Beaux-Arts : Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?
Carole Talon-Hugon dans un article intitulé "Chef-d’oeuvre et emblème" publié dans Figures de l'Art. Revue d'études esthétiques, (n°7, 2003. Artiste / Artisan. pp. 171-185) retrace l'histoire de ce terme et indique qu'il est aujourd'hui désuet.
Le chef-d’œuvre est indissociablement une œuvre et un jugement.
Ce n’est pas seulement une œuvre dans sa factualité; ce n’est pas seulement un jugement; c’est une œuvre nimbée d’une aura de reconnaissance, une œuvre-jugement en quelque sorte.
Il faut, pour que la chose soit claire, distinguer un usage évaluatif et un usage descriptif du terme. Faire un usage évaluatif du mot, c’est l’utiliser pour dire la valeur exceptionnelle de la chose, qu’il s’agisse d’une œuvre d’art, ou de tout autre chose puisque le mot s’étend aujourd’hui bien au-delà des frontières de la scène artistique. Le mot est alors un marqueur d’approbation, de reconnaissance de la valeur.
Au sens descriptif du terme le chef-d’œuvre est une œuvre faisant, ou ayant fait, l’objet d’une reconnaissance collective. Au chef-d’œuvre ainsi entendu s’applique bien la définition que Duchamp donnait de l’œuvre d’art. Elle est, disait-il “un objet à deux pôles”, c’est-à-dire à la fois le fait de celui qui l’a réalisée et le fait de celui qui la regarde. La chose est patente par exemple dans le cas de la cuillère africaine qui n’a pas été pensée comme œuvre d’art et qui devient telle une fois installée dans un musée: ce sont bien “les regardeurs” qui font ici l’œuvre.[...]
Nous savons aujourd’hui que la formule de Longin “quod semper, quod ubique, quod ab omnibus”, qui constitue la formule idéale du chef-d’œuvre est intenable. Il n’est pas d’œuvre qui ait plu de tout temps, en tout lieu et à tous
les hommes. L’affirmation de Hegel selon laquelle “les œuvres d’art authentiques et immortelles demeurent l’objet d’une possible jouissance pour toutes les époques et toutes les nations”, même nuancée par cette réserve que “si on veut qu’elles soient complètement comprises par des peuples et des siècles étrangers, il faut un vaste appareil de notes, informations, et connaissances géographiques, historiques, voire philosophiques”, ne l’est guère plus. Force est de constater en effet que la jouissance, même distinguée de la compréhension n’est pas universelle.
Le refus du caractère ambitieux de ces formules n’autorise pas pour autant à conclure à l’inexistence pure et simple d’accords de fait.[...]
Le terme de chef-d’œuvre rappelle quelque chose du passé artisanal de l’art. Il est, on le sait, emprunté au vocabulaire du système de la production artisanale de l’ancien régime. Partout en Europe avant le XVI e siècle, les peintres et les sculpteurs apprenaient leur métier dans l’atelier d’un maître accrédité par la corporation locale. Comme le charpentier ou le verrier, ils sont des apprentis s’exerçant à la pratique du métier en effectuant d’abord les tâches élémentaires (préparation des outils des matériaux des supports). À Paris, La Communauté des peintres et des tailleurs d’images est régie par les mêmes statuts que les autres métiers. Le chef-d’œuvre joue dans ce système un rôle important: le mot désigne le travail réalisé par le compagnon qui vise à devenir à son tour maître, c’est-à-dire à pouvoir exercer son métier en son nom propre dans un atelier qui sera le sien et dans lequel il formera à son tour
des apprentis. Il s’agit donc de sélectionner des candidats à une pratique. Le chef-d’œuvre est la preuve d’un savoir-faire; il permet d’obtenir un certificat de qualification.[...]
Dès le XVIIe siècle le mot chef-d’œuvre est utilisé pour désigner certaines œuvres issues du système post artisanal des arts, mais il n’a pas encore son sens moderne. Celui-ci suppose une large adhésion. Ce n’est pas par hasard si ce sens apparaît au XVIIIe siècle lorsque se constitue, pour des raisons socio-historiques complexes, la notion de public.
La différence entre le sens ancien et le sens moderne tient donc à la largeur du consensus : consensus de maîtres dans le cas du chef-d’œuvre artisanal, consensus de professeurs dans le cas du morceau de réception à l’Académie; dans les deux cas, consensus de ceux que Dubos appelle les “gens du métier.” Commence à s’y joindre à partir du XVIIIe siècle celui du public.L’APPRÉCIATION DE LA RÉUSSITE
Dans un tel contexte, le chef-d’œuvre signifie la perfection au sens de l’achèvement, de l’accomplissement. Dans cette acception du terme, être parfaite, c’est pour une chose quelle qu’elle soit, coïncider avec son concept. Ainsi entendue, la perfection suppose la finalité : la chose ne peut être dite parfaite qu’au regard de la considération de ce qu’elle doit être. Le chef-d’œuvre est l’œuvre parfaitement adéquate à une norme extérieure à lui.
Ces normes ont varié au cours de l’histoire. Le Moyen-Âge faisait de l’habileté et de la fidélité à la tradition, des critères de jugements essentiels. La théorie humaniste de la peinture, elle, affirme, en suivant Aristote, que la peinture doit être l’imitation idéale de la nature humaine en action.[...]
Ce qui fait l’excellence d’une œuvre c’est sa proximité par rapport à une certaine idée de la perfection. Ainsi que le dit Félibien, les bons spectateurs sont ceux qui “examinent l’intention de l’auteur, la fin pour laquelle il a travaillé, le choix de son sujet, les moyens dont il s’est servi, les raisons qu’il a eues de se conduire d’une manière plutôt que d’une autre; et enfin qui jugent par l’exécution de son ouvrage, s’il est parvenu à l’imitation parfaite de ce qu’il s’est proposé suivant la plus belle idée qu’il en pouvait concevoir.”
Certes, juger de la réussite est une opération très complexe. Elle est très loin de consister en une application simple de critères. On ne juge pas du degré de réussite d’une toile comme on juge du degré d’acidité d’un liquide, ni comme on juge du vrai et du faux.
Il est vrai que pour l’Académisme, chaque tableau est abordé comme une réponse à une injonction : raconter une histoire, exprimer les sentiments, instruire et émouvoir. Mais il y a loin entre un précepte et sa mise en œuvre.[...]
Lorsqu’il ne s’agit plus de juger de la réussite mais de la beauté, les choses deviendront beaucoup plus complexes. Pour le dire plus précisément, tout change lorsque la beauté cesse de signifier la perfection pour désigner selon la formule kantienne “ce qui plaît universellement sans concept”, que cela soit dans les choses de la nature ou dans celles de l’art.
[...]
La notion de chef-d’œuvre s’en trouve bouleversée. Elle renvoie désormais à une autre manière d’entendre la perfection.
[...]
La notion de chef-d’œuvre est donc vraiment hors d’usage; elle a tenu tant que quelque chose d’artisanal est resté dans la pratique du peintre, tant que le jugement s’est fait sur fond de critères partagés, perpétuant un temps le système pré-académique de l’évaluation. Le basculement s’amorce au XVIIIe siècle avec la montée en puissance des notions corrélatives de génie et de goût, s’accomplit à l’âge romantique de l’art et déroule ses conséquences aujourd’hui. Mais le fait que la notion soit devenue inactuelle ne signifie pas qu’elle fut sans pertinence. Pas plus que l’usage pratique clandestin de l’idée de valeur ne doit faire perdre de vue que le mot est devenu dépourvu de sens et que le chef-d’œuvre a cédé la place à l’emblème.
A lire aussi : ONIMUS Jean, « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? », dans : Étrangeté de l’art. sous la direction de ONIMUS Jean. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Écriture », 1992, p. 107-120.
Une vidéo sur ce sujet :
Bonne journée.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Peut-être avez-vous également voulu parler du Chef d'oeuvre qui doit être réalisé en CAP ou en Baccalauréat professionnel ?
Le chef-d’œuvre concerne tous les élèves de CAP ou de baccalauréat professionnel, apprentis ou scolaires. C’est une réalisation, collective ou individuelle, qui vous permet d’exprimer des talents en lien avec votre futur métier, et aussi de montrer et de valoriser vos compétences.
Construit sur les deux années de formation pour le CAP et sur une année pour le baccalauréat professionnel, il est évalué en fin de cycle, dans le cadre d’un examen.
Votre chef-d’œuvre peut prendre toute forme (matérielle ou immatérielle) :
- la conception et réalisation d’un produit fini (en bois, métal, papier, tissu, etc.),
- un texte,
- un journal,
- un site internet,
- un film,
- des planches créatives ou de tendances,
- un carnet de route,
- l’organisation d’un événement culturel ou sportif,
- une manifestation,
- une exposition,
- un salon,
- un spectacle,
- un décor,
- la participation à un concours régional, national, international
- la création d’une entreprise virtuelle
source : Exprimer ses talents avec le chef-d'œuvre
Voir aussi ce Vade-Mecum : La réalisation du chef-d’oeuvre et le site Eduscol.
N'hésitez pas à préciser votre question et son contexte afin que notre réponse soit susceptible de vous satisfaire au mieux.
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