Pourquoi choisissons-nous des modèles auxquels ressembler ?
Question d'origine :
À quoi sert d'avoir des gens que nous prenons comme modèles-que ce soit des personnages de fiction ou des personnes réelles? À quoi sert d'avoir des gens à qui nous essayons de ressembler? Est-ce une bonne chose?
Réponse du Guichet

Une lecture psychanalytique de ce phénomène, fait remonter l'origine dans ce besoin d'identification (à des héros ou des grands hommes/femmes) à nos désirs et nos représentations fantasmées de la figure paternelle. Ces modèles que nous admirons seraient aussi des pansements permettant de combler nos propres blessures narcissiques, à savoir une représentation de nos "Moi" idéaux, tout puissant et invincible. Une image de nos possibles.
Cher Braveheart,
Le livre de Marie-France Patti, "Le héros : un mythe, une fiction, un idéal" propose une lecture psychanalytique du rôle joué par les héros (réels ou fictifs), dans nos sociétés. Le chapitre 11, "La demande des masses", s'intéresse en particulier aux besoins d'identification des être humains et aux mécanismes psychiques que ces besoins activent (p.120-121). S'éloignant des notions de "bien" et de "mal" pour caractériser ce phénomène, elle pointe toutefois les dangers (p.121-22) de ce besoin d'identification:
Enfin, pour que sa renommée puisse traverser les siècles, il est nécessaire que cette personne, par sa personnalité, par la cause qu'elle défend ou l'idéal qu'elle représente exerce une influence sur les humains, qui aspirent eux-mêmes à se sentir exceptionnels, à réaliser des exploits. Aussi ont-ils besoin de s'identifier à des personnages qui les dépassent, qui les dominent et leur indiquent le chemin à suivre. Ce que Freud nomme "le besoin de la masse", inhérent au processus de civilisation : "Nous savons qu'il existe dans la masse des êtres humains un fort besoin d'une autorité que l'on peut admirer, devant laquelle on se courbe, par laquelle on est dominé, éventuellement maltraité . Il trouve son origine dans la désirance pour le père qui habite tout un chacun depuis son enfance, de ce même père que le héros de la légende se vante d'avoir surmonté...Tous les traits dont nous dotons le grand homme sont des traits paternels, et c'est dans cette concordance que consiste l'essence du grand homme que nous avons cherché en vain, sa force, sa résolution, son autonomie. "
Les points communs entre le héros et le grand homme sont d'une part la grandeur d'âme et d'autre part la position paternelle qui lui est attribuée. Le besoin de se soumettre à un être perçu comme supérieur risque d'être un appel pour retrouver la position infantile vis à vis du père, sans esprit critique et sans contrainte choisie. C'est là que réside le danger. Le passage entre le grand homme ou le héros et l'être tout-puissant, qu'il soit chef dictateur ou dieu. Si le choix de l'image identificatoire aboutit à une idéalisation excessive. Si le maître finit par endosser la place de l'idéal pour l'incarner, alors les individus sont soumis et prêts à suivre aveuglément leur leader, pour le meilleur et pour le pire. "Le mensonge du mythe héroïque culmine avec la divinisation du héros...Dans ce cas, ce qu'elle (la masse) réclame de ses héros, c'est de la force, même l'exercice de la violence" (Freud).
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Chacun aspire à être un héros en souvenir de l'illusion de la toute puissance propre à son enfance. Celle-ci favorise une confiance exagérée dans ses capacités et dans l'avenir.
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Mais le besoin de trouver des images identificatoires, dans des figures héroïques, est capital pour avoir des repères dans la direction de sa vie. Elles sont rassurantes car elles représentent ce que tout individu aurait aimé ou aimerait être. Néanmoins, il persiste une différence entre le héros et le grand homme. Elle se situe dans l'acte. C'est celui-ci qui définit le héros à un moment donné ou au sein d'une fiction. Un double de soi, oublié et néanmoins possible. Comme une lueur dans l'uniformité de la vie quotidienne, elles redonnent des couleurs au narcissisme. Il y a une identification au héros, qui représente le mois idéal, tout puissant, invincible. En même temps, la prise de conscience des limites entraîne un sentiment de dépréciation de soi. Alors, la dimension collective du héros, situe chacun comme des enfants, admiratifs devant les parents tout-puissants, promesse de ce qu'ils pourraient devenir plus tard. Le héros prend aussi la place de l’idéal du Moi. La figure du héros répond au besoin de chaque être humain d'étayer son narcissisme sur les instances idéales. Il représente un pôle identificatoire qui rassemble les masses, autour de valeurs communes et humaines.
Nous vous proposons cette analyse psychanalytique des besoins d'identification des hommes et des femmes dans la figure du héros. Nous jugeons cette grille de lecture intéressante et pensons qu'elle peut vous parler. Mais nous sommes toutefois conscients des limites de la méthode freudienne et au fait des nombreuses controverses suscitées par la psychanalyse depuis plus d'un siècle. Cet article de la BBC revient sur les grandes figures d'opposition à Freud et développe leur argumentaire : La psychanalyse est-elle une pseudoscience ? La polémique qui divise l'opinion depuis un siècle (2023). Nous vous laissons vous faire votre propre opinion.
En attendant nous vous renvoyons à de précédentes réponses, auxquelles il faudrait ajouter la lecture des références qui y sont partagées ou citées :
Pourquoi est-ce que les super-héros nous obsèdent et existeront-ils un jour ?
Nos héros préférés sont-ils le reflet de nos valeurs personnelles ?
Bonnes lectures,