Franklin. D. Roosevelt voulait-il éliminer Charles de Gaulle ?
Question d'origine :
FDR a-t-il écrit à Churchill pour lui dire que de Gaulle devait être politiquement éliminé ?
Réponse du Guichet

Oui, Anglais et Américains semblent s'être un temps accordés dans leur volonté d'éliminer le général de Gaulle de la direction de la résistance française. Des manigances politiques et des projets meurtriers semblent avoir été évoqués et peut-être entrepris. Si Roosevelt souhaitait l'écarter pour tentations autoritaires et "complexe messianique", c'est Churchill qui semble avoir apposé la formulation la plus proche de celle que vous évoquez dans un télégraphe envoyé en 1943.
Bonjour,
En effet, l'historien et journaliste français François Broche relaye cette volonté du président américain de trouver une solution, physique ou politique, au problème de Gaulle, alors chef de la France libre en place à Londres.
Le chapitre "Roosevelt contre de Gaulle, ou comment s’en débarrasser" de son ouvrage Ils détestaient de Gaulle : Churchill, Roosevelt, vichystes, communistes, OAS, pieds-noirs, soixante-huitards, Mitterrand évoque les nombreux points de désaccord entre les deux hommes. Dans cette confrontation transatlantique, Roosevelt reçoit le plus souvent le soutien de Churchill, pour une partie de billard à 3 bandes envenimée. "Complexe messianique", tendance autoritaire voir fasciste, attitudes incontrôlables et décisions en cavalier seul, les critiques fusent sur la tête de proue de la résistance française
Roosevelt suggère même un temps à Churchill de nommer de Gaulle gouverneur de Madagascar (p. 47) pour l'éloigner des affaires. Sourçant les citations à charge du président américain dans des travaux d'historiens, des mémoires ou correspondances, le chapitre de Broche est un catalogue de toutes les animosités. Voici quelques extraits pèle-mêle :
“C’est un fou ! Il se prend pour une nation " (p.47)
À la mi-avril, Churchill s’est rendu à Washington pour y conférer avec Roosevelt sur l’avenir de la stratégie alliée en Méditerranée. Une fois de plus, il a droit au réquisitoire habituel contre de Gaulle, accusé de pousser l’armée d’Afrique à « déserter » pour rejoindre les FFL : « complexe de Messie », « procédés intolérables », « putschiste »… Mieux encore : Roosevelt accorde crédit à la rumeur d’un serment de fidélité « à l’hitlérienne » imposé aux Français libres. Accusations et rumeurs rassemblées dans un dossier que le président remet à Churchill : véritable « anthologie de la hargne et de la calomnie » (Crémieux-Brilhac). Le 8 mai, dans un télégramme à Churchill, il écrit : « Son attitude devient intolérable. […] De Gaulle, sans aucun doute, a amené son équipe de propagande vicieuse à Alger pour créer de l’agitation entre les divers éléments, y compris les Arabes et les Juifs. […] Il a le complexe messianique (p. 53)
Soucieux de ne pas s’aliéner son puissant allié, Churchill télégraphie à Londres le 21 mai : « Il est urgent d’examiner s’il n’y a pas lieu d’éliminer de Gaulle en tant que force politique. » Le même jour, dans un nouveau télégramme, il assure que de Gaulle a « des tendances fascistes » et propose d’adjoindre au Comité national français le général en retraite Alphonse Georges, ancien adjoint de Gamelin en 1940, Édouard Herriot et Alexis Léger : « Il serait possible, conclut-il, de faire avec Giraud un groupement solide et largement représentatif de la France pendant la période de guerre (p.53)
Le 17 juin, dans un nouveau télégramme à Churchill, Roosevelt revient à la charge : « J’en ai assez de De Gaulle. […] Je suis convaincu qu’il porte atteinte à notre effort de guerre et qu’il constitue une menace dangereuse pour nous. […] Il est temps de rompre avec lui . » (p. 54)
Anglais et Américains s'associent dans leur détestation du général et projettent de l'écarter du jeu politique. Les Anglais semblent même avoir été les plus virulents en la matière, avec ce télégraphe de Churchill transmis en mai 1943 (cité dans l'extrait ci-dessus). Mais comment ? En voulaient-ils à son intégrité physique ? Selon Broche, des hauts fonctionnaires britanniques auraient même soumis aux forces vichystes l'idée d'un crash d'avion aux lors d'un voyage au Proche Orient (p. 54). Cette idée rejoint les méthodes observées dans cette précédente réponse du Guichet : L'avion du général De Gaulle a-t-il été saboté en 1943 ?.
Les archives du journal Le Monde, avec cet article rédigé en 1964 en pleine présidence de de Gaulle, attestent les faits rapportés par Broche. On y retrouve les mêmes extraits et bien davantage : Roosevelt cherchait à convaincre Churchill de se débarrasser de de Gaulle (15 juin 1964).
De même en 2000, dans cet article du journal suisse Le Temps : Quand Churchill et Roosevelt complotaient contre de Gaulle l'anglophobe (6 janvier 2000). Le texte s'appuie sur des archives déclassifiées à Londres de la Seconde guerre mondiale.
Mais même au sein du camp de la Résistance française, de Gaulle ne faisait pas l'unanimité et nombreux sont les acteurs à avoir voulu faire pencher la balance du côté de François Darlan (ancien collaborationniste pro-allemand passé du côté des alliés et assassiné en 1942) ou Henri Giraud. Jean Monnet notamment ira jusqu'à écrire une lettre célèbre où il est dit qu'il faut "détruire de Gaulle". Voir à ce propos le débat qui s'est tenu l'an passé sur la chaîne LCP - Assemblée nationale : De Gaulle : les USA voulaient-ils sa tête ?
En espérant avoir répondu à votre question,