Est-ce vrai que la science peut nous apporter des 'jugements de fait' ?

Bonjour,

Votre question s’intègre dans le débat philosophique plus général de la distinction entre fait et valeur. Celle-ci occupe une place centrale dans la recherche en épistémologie et en philosophie des sciences. Le jugement de fait impliquerait une observation neutre et objective, quand le jugement de valeur serait relatif à une évaluation et à une appréciation subjective.

Plusieurs positions s’affrontent alors.

Cette ambition de la démarche scientifique à ne traiter que de «jugements de fait» est issue de la tradition empirique, prolongée par le positivisme développé par Auguste Comte dans son Cours de philosophie positive. Celui-ci prône une focalisation exclusive de la science sur les relations entre les phénomènes observables, réfutant la pertinence des spéculations quant aux causes premières de ceux-ci.

Parmi les méthodes visant étudier ces relations entre phénomènes, la méthode hypothético-déductive occupe une place centrale. Celle-ci consiste à formuler des hypothèses, qui seront ensuite confirmées ou infirmées par l’observation des phénomènes considérés.

A la suite de la pensée positiviste, puis de Bertrand Russell et de Ludwig Wittgenstein, les partisans du positivisme logique, rassemblés au sein du Cercle de Vienne, abordent cette question dans leur manifeste La Conception scientifique du monde : Le Cercle de Vienne.

Dans le but de lutter contre ce qu’ils jugent comme une domination de l’esprit spéculatif et métaphysique sur la pensée de leur époque, ils y défendent l’idée que seule la science, fondée sur la démonstration rigoureuse et le recours à l’observation des faits peut faire progresser la connaissance. Les énoncés scientifiques peuvent être selon eux de deux ordres :

• Soit des démonstrations logiques, cohérentes en elles-mêmes et non liées à l’expérience, à l’image des démonstrations mathématiques.
• Soit des propositions empiriques, fondées sur des faits, qui doivent alors être empiriquement vérifiées pour pouvoir être considérées comme vraies

Ils excluent du champ de la connaissance toute proposition éthique ou métaphysique ne pouvant être soumise à l’expérience, qu’ils considèrent vide de sens.

En résumé, ils considèrent que cette distinction serait stricte, avec d’un côté les énoncés scientifiques, descriptifs et objectifs, et de l’autre les énoncés éthiques ou métaphysiques, subjectifs.

Toutefois, cette distinction stricte entre faits et valeurs a été critiquée par des auteurs refusant le subjectivisme moral qu’implique cette position. Parmi ces défenseurs d’une part d’objectivité en éthique, on peut citer John Searles, qui tente de montrer que l’on peut déduire des jugements de valeur depuis des jugements de faits, ou Hilary Putnam, qui montre que certains concepts mobilisés par les énoncés scientifiques présentes les caractéristiques des jugements de valeur.

De son côté, Paul Feyerhabend élabore la notion d'anarchisme méthodologique. Il pointe l'absence de définition claire de la méthode scientifique, ou plutôt la nécessaire multiplicité de celles-ci. Il insiste également  notamment sur le fait que la recherche scientifique n'est jamais que pure méthode, mais qu'elle est aussi le fruit de tensions politiques et sociales. Celles-ci contaminent le démarche de recherche, qui ne peut dès lors se targuer d'objectivité.

Pour étudier plus en détail ce sujet que nous n’avons fait ici qu’effleurer, vous pouvez consulter les ouvrages suivants :

Les théories de la connaissance, Jean-Michel Besnier

L'épistémologie, Hervé Barreau

Qu'est-ce que le positivisme ? Mélika Ouelbani

Philosophie des sciences, Pascal Nouvel

Vous souhaitant bonnes lectures,

Le département civilisation