Question d'origine :
Bonjour,
Pouvez-vous m'expliquer les liens et les rapports de force entre la Syrie et le Liban ?
Merci !
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 18/06/2008 à 14h27
Liban et Syrie appartiennent, depuis l'Antiquité, à une même entité historique : la Grande Syrie. Conquise par les arabes, Damas fut la capitale de l'Empire ommeyade, avant d'être intégrée à l'Empire ottoman. La Syrie se libère de l’occupation ottomane après la Révolte arabe en 1918. Un royaume arabe syrien, indépendant est alors créé, qui tombera, dès 1920, sous domination française.
Les frontières actuelles de la Syrie et du Liban proviennent du système des mandats qui fut institué au lendemain de la première guerre mondiale par la Société des nations. Il servit à prolonger le système colonial, réduisant à néant les aspirations unitaires arabes. La France et le Royaume-Uni se partagèrent le Proche-Orient à la chute de l'Empire ottoman, la première recevant mandat sur les territoires de la Syrie et du Liban, le second sur ceux de la Palestine, de l’Irak et de la Transjordanie.
Suite à la seconde guerre mondiale, le Liban (1943) et la Syrie (1946) acquièrent leur indépendance.
Le Liban occupe une place singulière au Moyen-Orient, son système politique étant basé sur le confessionnalisme. L'indépendance du Liban repose sur "un accord non-écrit, le "pacte national", compromis entre les grandes familles sunnites et maronites. Deux clauses dans le marché : les chrétiens renoncent à la protection française et acceptent l'indépendance, les musulmans abjurent l'unité arabe et en tout premier lieu le rêve d'une "Grande Syrie"." (Alain Gresh, Dominique Vidal / Les 100 clés du Proche-Orient.- Hachette Littératures, 2006, p. 382)
Mais la Syrie a toujours considéré la création du Liban comme une amputation de son territoire naturel, réduisant notablement sa façade maritime :
"La création du Liban, sous mandat français, avait été regardée par la plupart des Syriens comme une mutilation illégitime. Au moment des indépendances, en 1943 et/ou en 1946, se pose le problème de la reconnaissance de la souveraineté du Liban par l'État syrien. Une véritable reconnaissance existe du fait de la participation des deux États à la Ligue Arabe, créée en 1945, dont la Charte, justement, précise que chaque membre reconnaît la souveraineté de tous les autres. Mais la Syrie a toujours refusé de traduire cet état de fait par l'établissement de relations diplomatiques, l'existence d'ambassades et de consulats..." (Jean Chaudouet / La Syrie.- Karthala, 1997, p.296-297).
Cette vision se retrouve dans la formule de l'ancien président syrien Hafez El Assad : "Deux États indépendants, une nation".
Face au point de vue nationaliste arabe, l'identité nationale du Liban trouve par ailleurs ses sources dans l'histoire du pays du cèdre .
Outre ces liens historiques, la Syrie est liée économiquement au Liban, considérée comme la "Suisse du Proche-Orient".
Le Liban occupe, durant les années 1960/1970, une fonction "de relais régional et de plaque tournante entre les économies ouest-européenne et américaine et le monde arabe". (Alain Gresh, Dominique Vidal / Les 100 clés du Proche-Orient.- Hachette Littératures, 2006, p. 383).
"Certes le Liban est apprécié des Syriens, avec quelque envie, comme "grand magasin" leur permettant de s'approvisionner en biens de consommation -au besoin par la contrebande- lorsque la politique conduite à Damas aboutit à la pénurie; ou encore, parce que, par moments, il s'offre, tout proche, comme la première étape d'un mouvement d'émigration, parfois très intense. Enfin, près de 500 000 ouvriers syriens peu qualifiés y travaillent." (Jean Chaudouet / La Syrie.- Karthala, 1997, p. 297).
Fabrice Balanche du Groupe de Recherche et d’Études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, dans un article intitulé Syrie-Liban : intégration régionale ou dilution?, analyse en effet que l’occupation du Liban par la Syrie a provoqué une intégration économique entre les deux pays, fondée sur une complémentarité entre le libéralisme libanais et le mode de développement syrien autocentré et d'obédience socialiste.
Les relations libano-syriennes sont enfin fortement influencées par le conflit du Moyen-Orient, et notamment la question palestinienne.
La première crise a lieu en 1958, dans le contexte de la guerre froide, où le Liban, proche de l'Occident, s'oppose au socialisme arabe défendu par Nasser et la Syrie à travers la création de la République arabe unie (RAU). La RAU encourage les partis progressistes et les musulmans du Liban dans leur opposition au Président Camille Chamoun. Ne pouvant faire face aux affrontements qui se multiplient, son régime menacé, C. Chamoun fait appel aux marines américains.
Après les guerres israélo-palestiniennes de 1967 et 1973 , le Liban devient un enjeu stratégique militaire majeur dans le conflit opposant la Syrie à Israël, qui a annexé le plateau du Golan qui domine la plaine de Damas et permet le contrôle des sources d'approvisionnement du fleuve Jourdain.
Le soutien du Liban aux palestiniens qui se réfugient en masse au pays du cèdre, à partir de 1970, va raviver les rivalités confessionnelles et déboucher en 1975 sur le début de la guerre civile. Cela va entraîner un certain nombre d'ingérences militaires de la Syrie au Liban, à partir de 1976 et jusqu'en 1990, ainsi que le soutien à des milices, comme le mouvement chiite Amal, engagé dans des actions terroristes.
L'intervention de la Syrie durant la guerre du Liban correspond à plusieurs objectifs stratégiques :
-maintenir l'unité confessionnelle du Liban afin d'éviter la création d'un état chrétien, relais de la politique américaine au Moyen-Orient et favorable à Israël
-contrôler les actions de la résistance palestinienne pour que ses opérations ne déclenchent une action de représailles d'envergure d'Israël au Liban, constituant une menace pour les frontières Ouest de la Syrie via la plaine de la Bekaa
-encourager le statut-quo politique au Liban favorable à une tutelle politique syrienne
La tutelle syrienne sur le Liban est officialisée par la signature à Damas, le 22 mai 1991, du Traité de fraternité et de coopération entre la Syrie et le Liban. Ce traité fait suite à l'intervention syrienne à Beyrouth, en octobre 1990, durant la 1ère guerre du Golfe, contre les troupes du général Aounn. Ce dernier avait dissout le Parlement, opposé à l'hégémonie syrienne et au processus de réconciliation nationale lancé par les accords de Taëf.
"Faute d’avoir pu être satellisé aux États-Unis et à Israël, le Liban s’enfonce dans une spirale de désintégration communautaire. En 1990-1991, en récompense de son ralliement à la coalition anti-irakienne, les Occidentaux en accordent le contrôle à la Syrie. Le pays se transforme en condominium saoudo-syrien, lorsque Rafic Hariri, l’homme de confiance du roi d’Arabie saoudite, accède au poste de premier ministre : il l’occupera sans interruption de 1992 à 1998, puis de 2000 à 2004, entraînant le pays dans une vague sans précédent de spéculations foncières et financières. Le Liban hérite ainsi d’une dette de 40 milliards de dollars, mais une kyrielle de proches, de courtisans, de princes arabes, d’officiers syriens, de banques locales et de fonds d’investissement s’enrichissent au-delà de toute imagination." (Georges Corm / Pourquoi Israël s'acharne sur le Liban.- Le monde diplomatique, sept. 2006, p12-13)
La tutelle syrienne sur le Liban est remise en cause, dès 2000, par l'opposition réunissant druzes, maronites et sunnites et, en 2004, par le Conseil de sécurité de l'ONU :
"Adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en septembre 2004, la résolution 1559 vient remettre en cause le statut fragile du Liban. A la suite de l’invasion de l’Irak et conformément à leur projet de « Nouveau Moyen-Orient », les États-Unis refusent de laisser le pays du Cèdre dans l’orbite de l’axe syro-iranien, dont le Hezbollah, selon eux, représente une simple émanation : ils entendent donc l’éradiquer. La résolution condamne toute reconduction du mandat du président libanais Emile Lahoud (considéré comme le principal appui de cette organisation déclarée « terroriste » par les Etats-Unis) ; elle exige le retrait des troupes syriennes, le déploiement de l’armée libanaise au sud du Liban et le désarmement de toutes les milices – entendez le Hezbollah, pourtant qualifié de « résistance » au Liban et dans tout le monde arabe, mais aussi les organisations palestiniennes encore présentes." (Georges Corm / Pourquoi Israël s'acharne sur le Liban.- Le monde diplomatique, sept. 2006, p12-13)
L'assassinat de l'ancien premier ministre, Rafik Hariri, le 14 févier 2005, provoque, sous la pression populaire, le retrait de l'armée syrienne du Liban et la tenue d'élections. Mais l'opposition demeure divisée et les rivalités confessionnelles fortes.
"Paralysé par ses divisions, notamment concernant le désarmement des milices, incapable d'engager une réforme qui secoue le confessionnalisme du pays, le gouvernement navigue à vue, au rythme de l'enquête sur l'assassinat de Rafik Hariri et de l'assassinat de plusieurs personnalités attribué par l'opinion aux services syriens, dont le journaliste Samir Kassir et l'ancien secrétaire général du PC George Haoui." (Alain Gresh, Dominique Vidal / Les 100 clés du Proche-Orient.- Hachette Littératures, 2006, p. 389)
La vie politique libanaise reste suspendue à ses contradictions constitutionnelles et au jeu diplomatique qui s'opère entre puissances étrangères autour de la résolution du conflit israélo-palestinien, dont la Syrie est un des acteurs clés. La difficile élection d'un nouveau président libanais, en la personne de Michel Sleimane, après 6 mois de crise, en est la parfaite illustration.
Le retrait syrien du printemps 2005 a interrompu le processus de dépendance sans toutefois assurer au Liban une totale émancipation vis-à-vis de son voisin. Mais selon Fabrice Balanche, "Les discours nationalistes et anti-syriens de ces derniers mois, la défense de l’identité «phénicienne» par opposition aux «arabes» envahisseurs de l’intérieur ne doivent pas masquer les relations profondes entre ces deux peuples, qui plongent leurs racines dans une histoire commune." La paix au Moyen-Orient permettra peut -être de normaliser les relations libano-syriennes.
Voir aussi :
Récents litiges frontaliers entre Syrie et Liban, Eric Verdeil, M@ppemonde
Paix syrienne au Liban?, Nadine Picaudou, in La déchirure libanaise, éditions Complexe, 1989
La spirale de la crise dans le Liban libéré (2004/2006) par Agnès Favier, Note de l'IFRI, 2006
La Syrie au carrefour des risques par Denis Bauchard, Note de l’IFRI, 2008
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