Projection du film des frères lumière
LYON, MÉTROPOLE ET RÉGION
+ DE 2 ANS
Le 30/10/2014 à 14h37
773 vues
Question d'origine :
Cher Guichet,
Pourriez-vous me dire d'où vient l'information (ou la légende ?) qui dit que "L'arrivée d'un train en gare de La Ciota" aurait effrayé les spectateurs qui le visionnaient pour la première fois, qu'ils se seraient levé de leurs siège par peur d'être écrasés par la locomotive...?
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 03/11/2014 à 13h22
Bonjour,
Un rapide panorama des premières projections de l’invention des Frères lumière est dressé dans L'Eden des Lumière : La Ciotat et le cinéma : en février 1895, les frères Lumière déposent un brevet pour l’appareil de capture/projection d’images qu'ils viennent de mettre au point ; suivi le 22 mars 1895 d’une première présentation à la société d’encouragement pour l’industrie nationale. Le 10 juin 1895, première représentation publique dans le cadre du Congrès de photographie qui se tenait à Lyon. Plusieurs démonstrations en fin d’année 1895 : Bruxelles, le 10 et 12 novembre, et Paris le 16 pour l’ouverture des cours à la Sorbonne. La première représentation pour le grand public, séance gratuite, se déroule le 21 septembre 1895 à la Ciotat devant 150 personnes. Les premières séances payantes du cinématographe ont lieu dans le Salon indien du Grand Café à Paris à partir du 28 décembre 1895. C’est le samedi 25 janvier suivant que les spectateurs lyonnais pourront découvrir les tous premiers films des frères Lumière
Il nous a été donné d’assister samedi dernier à la séance d’inauguration des expériences du cinématographe de MM. Lumière. Nous en sommes sortis réellement émerveillés in le Tout Lyon du 1er au 8 février 1896.
La presse lyonnaise témoigne de ces premiers spectacles :
Le Journal de Guignol du 26 janvier 1896, Le Passe-temps du 16 février 1896, La Sentinelle d’avril 1896, etc.
Les commentaires des journalistes insistent sur l’aspect très réaliste des images animées projetées lors de ces séances, mais, alors que l’Arrivée en gare compte parmi les premiers films diffusés, aucun ne fait état des réactions très vives qui en auraient résulté, ce qui nous pousse à penser que la légende que le film a laissée serait un peu exagérée. Néanmoins, on peut penser que les premiers spectateurs ont été saisi d’une réelle émotion en face de ce spectacle plus vrai que nature.
Un témoignage d’époque, celui de Maxime Gorki, cité par E. Toulet dans Cinématographe, invention du siècle (Découvertes Gallimard, 1988) relate plus spécifiquement l’expérience en salle du « train » :
Cette création grotesque, ils nous la présentent dans une sorte de niche au fond d’un restaurant. Tout à coup, on entend cliqueter quelque chose; tout disparaît et un train occupe l’écran. Il fonce droit sur nous – attention ! On dirait qu’il veut se précipiter dans l’obscurité où nous sommes, faire de nous un infâme amas de chairs déchirées et d’os en miettes, et réduire en poussière cette salle et tout ce bâtiment plein de vin, de musique, de femmes et de vice. Mais non ! ce n’est qu’un cortège d’ombres.
Sans bruit, la locomotive a disparu après avoir atteint le bord de l’écran. Le train s’est arrêté. Des personnages gris en sortent silencieusement. En silence, ils saluent leurs amis, rient, marchent, courent, s’agitent... et s’en vont.
Un article pédagogique intitulé La naissance du cinéma : l'invention d'un art populaire propose une analyse de ce film ; il en évoque la composition très particulière pour l’époque, qui en accentue le réalisme, et explique ainsi son efficacité : Le choc visuel produit par l’agressive locomotive est essentiellement le fruit de l’usage inédit qui est fait dans ce film de la perspective.
Dans L'Eden des Lumière : La Ciotat et le cinéma, l’impact du film sur les spectateurs est évoqué substantiellement ; il faut dire que si le film reste aujourd’hui comme un des fleurons du catalogue Lumière (entre autre pour sa composition audacieuse), il était déjà à l’époque l’un des préférés du public, sans doute pour l’émotion qu’il provoquait :
L'un des plus importants est le Train entrant en gare de La Ciotat, aussi important même, à notre avis, que la Sortie des usines Lumière. Ce film va connaître en effet un succès inégalé qui tient à plusieurs facteurs : l'émotion et l'effroi qu'il provoque. Il semble en effet arriver dans la salle et menacer le public d'écrasement.
Parmi d'innombrables exemples des réactions du public en France, citons ces témoignages À Lyon, le 26 janvier 1896 : « La locomotive glisse sur les rails avec une telle rapidité qu'on se gare instinctivement du colosse de fer, de peur qu'il arrive sur vous, mais il n'y a rien à craindre, le train s'arrête », ou : « Ce n'est assurément qu'une illusion, mais tellement frappante de réalité qu'on se croirait transporté au milieu des personnages qui évoluent sur l'écran. On est tenté de leur adresser la parole ou de répondre aux questions qu'ils semblent nous poser ; ces tableaux à qui le mouvement donne une âme sont troublants à un point que je ne saurais dire », et encore : « Cela tient du miracle » et « dépasse tout ce qu'on peut imaginer ». Au Havre, le Z7 juin 96 : « L'arrivée du train se précipitant en face de vous avec son grossissement rapide, son arrêt, ses portières qui s'ouvrent, les voyageurs qui descendent... Le train qui se remet en route, c'est absolument réel, on s'étonne de ne pas entendre le grondement, le sifflet, le bruit des voix... Cela donne une apparence fantastique, une apparence étrange de Vie morte où le mouvement seul existe ».
[...]
Au cours des séances, qui durent 20 minutes et dont chaque film dure une minute, suivons l'histoire de ce fameux train.
La première projection de ce film a lieu à Lyon, dans la salle de la rue de la République, le 25 janvier 1896. Au cours de cette même année, il sera projeté dans cette ville jusqu'au 26 janvier, puis du 2 février au 7 mars.
Parallèlement, il est attesté du 23 février au 7 mars au Salon Indien, à Paris.
Ensuite, le film tourné à La Ciotat est projeté partout en France par le Cinématographe Lumière : en mars 1896, à Boulogne-sur-Mer le 8, à Bordeaux-Tourny le 22, à Nice, le Z4, à Reims le 27 ; en avril, à Marseille-Noailles le 1er, à Lille le l9 ; en mai, à Saint-Étienne le 2, à Aix-en-Provence le 10.
Apparaît un premier concurrent à Besançon le 12 mai, sous le titre Descente de wagon, avec un chronographe, appareil dont l'existence - ou le nom – fut éphémère puisqu'on n'en trouve plus d'autres traces en France.
Le film est ensuite donné à Nancy le 15 mai 1896 ; à Nantes, le 21 mai 1896, c'est un kinétoscope qui projette une Entrée en gare, ce qui permet de penser qu'il s'agit déjà d'un tournage différent.
Peu à peu de nouveaux concurrents apparaissent, multipliant les entrées en gare z cinographoscope au Havre (6 juin 1896), cinétographe à Troyes (4 juin 1896), héliocinégraphe à Châtellerault (23 septembre 1896). Ce qui n'empêche aucunement l'expansion du Cinématographe Lumière, qui fait connaître son film à Chartres, à Toulouse, à Mâcon, à Epinal, etc.
« Ce train de La Ciotat introduit donc les premières images animées dans toutes les villes du monde Dans le monde entier, écrit jay Leyda, cette année-là, du Royal Institut de Londres à New York, en Espagne, en Suède, la locomotive arrachait des cris de terreur aux spectateurs. Aucun film n'impressionnait plus le public que ce fameux train ».
Puis les opérateurs, cédant à la demande des lieux où ils passent, vont bientôt offrir aux spectateurs leur « entrée », « leur train » entrant dans la gare de « leur ville ». Entre autres : Train entrant en gare de Melbourne, en gare du Caire, de Varsovie, de Rio de Janeiro, de Saint-Pétersbourg, de New York, de Belgrade, d'Alexandrie, etc... Ainsi allait se poursuivre la conquête du monde par ces premiers cinéastes qui, en traversant les pays et les mers, surent donner à voir et à aimer des spectacles « pris sur le Vif et pleins de vie véritable », prémisses et ancêtres d'un nouvel art, le cinéma.
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