Le Temps
DIVERS
+ DE 2 ANS
Le 10/02/2015 à 18h14
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Question d'origine :
Bonjour,
"Le Temps existe-il ?"
Je vous remercie par avance pour votre réponse.
Sincères salutations.
Réponse du Guichet

Bonjour,
En physique, l’existence du temps est effectivement problématique : d'après certains physiciens, il pourrait émerger à notre perception dans le cadre d'un monde parfaitement statique.
Pendant que vous lisez cette phrase, vous pensez probablement que le moment présent, là maintenant, correspond à ce qui est en train de se passer. Vous sentez que l'instant présent a quelque chose de particulier. Il est réel. Vous pouvez vous rappeler le passé ou anticiper l'avenir, mais vous vivez dans le présent. Bien sûr, le moment où vous avez lu cette première phrase n'a plus cours. Le moment où vous lisez celle-ci l'a remplacé. En d'autres termes, nous avons la sensation d'un écoulement du temps. Notre intuition profonde est que le futur est ouvert jusqu'à ce qu'il devienne le présent, et que le passé est fixé. À mesure que le temps s'écoule, cette structure de passé fixé, présent immédiat et avenir ouvert se décale dans un sens, toujours le même. Cette structure est inscrite dans notre langage, nos pensées et notre comportement.
Pourtant, aussi naturelle que soit cette conception, la science ne la reflète pas. Les équations de la physique ne nous disent pas quels événements sont en train de se passer juste maintenant ; on peut en effet comparer ces équations à une carte où le symbole « Vous êtes ici » est absent. De plus, les théories de la relativité d'Albert Einstein suggèrent non seulement qu'il n'existe pas un unique présent particulier, mais que tous les instants sont également réels.
La divergence entre la compréhension scientifique du temps et l'intuition que nous en avons préoccupe les penseurs depuis longtemps. Elle n'a fait qu'augmenter à mesure que les physiciens dépouillaient le temps de la plupart des attributs dont nous le revêtons d'ordinaire. Aujourd'hui, le fossé entre le temps de la physique et le temps de l'expérience humaine atteint sa conclusion logique : beaucoup de théoriciens sont arrivés à croire que, fondamentalement, le temps n'existe même pas.
L'idée de l'inexistence du temps est si étonnante qu'il est difficile de voir comment elle pourrait être cohérente. Tout ce que nous faisons est ancré dans le temps. Le monde est une série d'événements reliés les uns aux autres par les fils du temps. N'importe qui peut constater que mes cheveux grisonnent, que les objets bougent, etc. Nous observons du changement, qui correspond à des variations de propriétés par rapport au temps. Sans le temps, le monde serait immobile. Mais comment une théorie dépourvue de temps pourrait-elle expliquer que nous observons des changements ?
Le temps vu comme un concept émergent
Même si le temps n'existe pas au niveau fondamental, il peut apparaître à des niveaux supérieurs, de la même façon qu'une table est solide alors qu'elle n'est qu'un assemblage de particules constituées, pour l'essentiel, d'espace vide. La solidité est une propriété collective, ou émergente, des particules. Le temps aussi pourrait être une propriété émergente des ingrédients élémentaires du monde.
Ce concept de temps émergent est potentiellement révolutionnaire. Einstein affirmait que l'étape clef du développement de la théorie de la relativité avait été de repenser le temps. À l'heure où les théoriciens poursuivent son ambition d'unir la relativité générale avec la physique quantique, beaucoup jugent que sans une réflexion approfondie sur le temps, il sera impossible de progresser.
L'idée intuitive que nous avons du temps a connu une succession de revers au fil des progrès de la physique. Commençons par le temps de la physique classique, dite newtonienne. Les lois du mouvement de Newton sous-entendent que le temps est doté d'un certain nombre de caractéristiques.
Tous les observateurs s'accordent en général sur l'ordre dans lequel les événements se déroulent. Quels que soient l'instant et le lieu où un événement se produit, la physique classique suppose que l'on peut objectivement dire s'il a eu lieu avant, après ou en même temps que n'importe quel autre événement. Le temps permet donc d'ordonner complètement tous les événements de l'Univers. La simultanéité est une propriété absolue, indépendante de l'observateur. De plus, le temps doit être continu afin que l'on puisse définir la vitesse et l'accélération.
Le temps classique doit également être doté d'une notion de durée permettant de quantifier ce qui sépare les événements dans le temps. Pour dire qu'un guépard peut courir à 110 kilomètres par heure, nous devons avoir une mesure de ce qu'est une heure. Et tout comme l'ordre des événements, la durée est indépendante de l'observateur en physique newtonienne.
Pour l'essentiel, Newton supposait donc que le monde est muni d'une horloge maîtresse. La physique newtonienne écoute le tic-tac de cette horloge et d'aucune autre. Newton pensait en outre que le temps s'écoule et que cet écoulement définit une flèche indiquant le futur ; mais ces caractéristiques supplémentaires ne sont pas strictement exigées par les lois newtoniennes.
Le temps de Newton peut nous sembler suranné, mais en y réfléchissant un peu, on peut remarquer à quel point cette conception est étonnante. Ses nombreuses caractéristiques (ordre, continuité, durée, caractère absolu de la simultanéité, écoulement et flèche d'écoulement) sont, en toute logique, indépendantes ; mais l'horloge maîtresse que Newton nommait « temps » les regroupe toutes. Et ce cocktail de caractéristiques était si performant qu'il est resté intact durant près de deux siècles.
Puis vinrent les assauts de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Le premier fut donné par Ludwig Boltzmann. Ce physicien autrichien fit remarquer que comme les lois de Newton sont tout aussi valides lorsqu'on renverse le temps (autrement dit, ces lois restent inchangées si l'on y change la variable temporelle t en son opposée, –t), le temps n'est pas doté d'une flèche intrinsèque. Pour Boltzmann, la distinction entre passé et futur n'est pas inhérente au temps, mais émerge des asy- métries dans l'organisation de la matière dans l'Univers. Bien que les détails de cette proposition soient encore débattus, Boltzmann avait de manière convaincante dépossédé le temps newtonien de l'une de ses caractéristiques.
Einstein lança l'assaut suivant en éliminant la simultanéité absolue. D'après sa théorie de la relativité restreinte, la détermination des événements qui se produisent au même instant dépend du mou- vement de l'observateur. La véritable arène des événements n'est ni le temps ni l'espace, mais leur réunion : l'espace-temps. Deux observateurs se déplaçant à des vitesses différentes ne seront pas d'accord sur l'instant ni sur le lieu où se produit un événement, mais ils seront d'accord sur sa localisation dans l'espace-temps. L'espace et le temps sont ainsi des concepts plus secondaires.
Einstein n'a fait qu'empirer les choses en 1915 avec sa théorie de la relativité générale, qui étend la relativité restreinte à des situations où la gravitation est présente. La gravitation déforme le temps, de telle sorte que l'écoulement d'une seconde ici peut ne pas signifier la même chose que l'écoulement d'une seconde ailleurs. Sauf dans de rares cas, il est alors impossible de synchroniser des horloges et d'obtenir qu'elles restent synchronisées. Il n'est plus possible de considérer que le monde évolue seconde après seconde en étant régi par un unique paramètre temporel. Il devient alors impossible de dire qu'un événement s'est produit avant ou après un autre (voir l'article de Marc Lachièze-Rey).
Pour lire la suite : Le temps est-il une illusion ?, Craig Callender, Pour la Science n°397, novembre 2010
Les spécialistes Etienne Klein et Marc Lachèze-Rey ont tous les deux consacré une conférence à la question du temps, que vous pouvez visionner en ligne :
La physique a-t-elle besoin du temps ?, Marc Lachièze-Rey (consultable sur cea.fr)
Pour aller plus loin, quelques lectures supplémentaires :
- Et si le temps n’existait pas ?, astrosurf.com
- Le temps existe-t-il ? Etienne Klein (livre)
- Le temps existe-t-il ? : comprendre la relativité, Marc Lachièze-Rey (compact disque, texte enregistré)
- Physique et réalité : le temps existe-t-il ?, Institut des Hautes Etudes Scientifiques
- Science et vie junior n°304 (17 décembre 2014) : Le temps existe-t-il ?
- Et si le temps n'existait pas ? : un peu de science subversive, Carlo Rovelli
Bonne journée.
En physique, l’existence du temps est effectivement problématique : d'après certains physiciens, il pourrait émerger à notre perception dans le cadre d'un monde parfaitement statique.
Pendant que vous lisez cette phrase, vous pensez probablement que le moment présent, là maintenant, correspond à ce qui est en train de se passer. Vous sentez que l'instant présent a quelque chose de particulier. Il est réel. Vous pouvez vous rappeler le passé ou anticiper l'avenir, mais vous vivez dans le présent. Bien sûr, le moment où vous avez lu cette première phrase n'a plus cours. Le moment où vous lisez celle-ci l'a remplacé. En d'autres termes, nous avons la sensation d'un écoulement du temps. Notre intuition profonde est que le futur est ouvert jusqu'à ce qu'il devienne le présent, et que le passé est fixé. À mesure que le temps s'écoule, cette structure de passé fixé, présent immédiat et avenir ouvert se décale dans un sens, toujours le même. Cette structure est inscrite dans notre langage, nos pensées et notre comportement.
Pourtant, aussi naturelle que soit cette conception, la science ne la reflète pas. Les équations de la physique ne nous disent pas quels événements sont en train de se passer juste maintenant ; on peut en effet comparer ces équations à une carte où le symbole « Vous êtes ici » est absent. De plus, les théories de la relativité d'Albert Einstein suggèrent non seulement qu'il n'existe pas un unique présent particulier, mais que tous les instants sont également réels.
La divergence entre la compréhension scientifique du temps et l'intuition que nous en avons préoccupe les penseurs depuis longtemps. Elle n'a fait qu'augmenter à mesure que les physiciens dépouillaient le temps de la plupart des attributs dont nous le revêtons d'ordinaire. Aujourd'hui, le fossé entre le temps de la physique et le temps de l'expérience humaine atteint sa conclusion logique : beaucoup de théoriciens sont arrivés à croire que, fondamentalement, le temps n'existe même pas.
L'idée de l'inexistence du temps est si étonnante qu'il est difficile de voir comment elle pourrait être cohérente. Tout ce que nous faisons est ancré dans le temps. Le monde est une série d'événements reliés les uns aux autres par les fils du temps. N'importe qui peut constater que mes cheveux grisonnent, que les objets bougent, etc. Nous observons du changement, qui correspond à des variations de propriétés par rapport au temps. Sans le temps, le monde serait immobile. Mais comment une théorie dépourvue de temps pourrait-elle expliquer que nous observons des changements ?
Même si le temps n'existe pas au niveau fondamental, il peut apparaître à des niveaux supérieurs, de la même façon qu'une table est solide alors qu'elle n'est qu'un assemblage de particules constituées, pour l'essentiel, d'espace vide. La solidité est une propriété collective, ou émergente, des particules. Le temps aussi pourrait être une propriété émergente des ingrédients élémentaires du monde.
Ce concept de temps émergent est potentiellement révolutionnaire. Einstein affirmait que l'étape clef du développement de la théorie de la relativité avait été de repenser le temps. À l'heure où les théoriciens poursuivent son ambition d'unir la relativité générale avec la physique quantique, beaucoup jugent que sans une réflexion approfondie sur le temps, il sera impossible de progresser.
L'idée intuitive que nous avons du temps a connu une succession de revers au fil des progrès de la physique. Commençons par le temps de la physique classique, dite newtonienne. Les lois du mouvement de Newton sous-entendent que le temps est doté d'un certain nombre de caractéristiques.
Tous les observateurs s'accordent en général sur l'ordre dans lequel les événements se déroulent. Quels que soient l'instant et le lieu où un événement se produit, la physique classique suppose que l'on peut objectivement dire s'il a eu lieu avant, après ou en même temps que n'importe quel autre événement. Le temps permet donc d'ordonner complètement tous les événements de l'Univers. La simultanéité est une propriété absolue, indépendante de l'observateur. De plus, le temps doit être continu afin que l'on puisse définir la vitesse et l'accélération.
Le temps classique doit également être doté d'une notion de durée permettant de quantifier ce qui sépare les événements dans le temps. Pour dire qu'un guépard peut courir à 110 kilomètres par heure, nous devons avoir une mesure de ce qu'est une heure. Et tout comme l'ordre des événements, la durée est indépendante de l'observateur en physique newtonienne.
Pour l'essentiel, Newton supposait donc que le monde est muni d'une horloge maîtresse. La physique newtonienne écoute le tic-tac de cette horloge et d'aucune autre. Newton pensait en outre que le temps s'écoule et que cet écoulement définit une flèche indiquant le futur ; mais ces caractéristiques supplémentaires ne sont pas strictement exigées par les lois newtoniennes.
Le temps de Newton peut nous sembler suranné, mais en y réfléchissant un peu, on peut remarquer à quel point cette conception est étonnante. Ses nombreuses caractéristiques (ordre, continuité, durée, caractère absolu de la simultanéité, écoulement et flèche d'écoulement) sont, en toute logique, indépendantes ; mais l'horloge maîtresse que Newton nommait « temps » les regroupe toutes. Et ce cocktail de caractéristiques était si performant qu'il est resté intact durant près de deux siècles.
Puis vinrent les assauts de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Le premier fut donné par Ludwig Boltzmann. Ce physicien autrichien fit remarquer que comme les lois de Newton sont tout aussi valides lorsqu'on renverse le temps (autrement dit, ces lois restent inchangées si l'on y change la variable temporelle t en son opposée, –t), le temps n'est pas doté d'une flèche intrinsèque. Pour Boltzmann, la distinction entre passé et futur n'est pas inhérente au temps, mais émerge des asy- métries dans l'organisation de la matière dans l'Univers. Bien que les détails de cette proposition soient encore débattus, Boltzmann avait de manière convaincante dépossédé le temps newtonien de l'une de ses caractéristiques.
Einstein lança l'assaut suivant en éliminant la simultanéité absolue. D'après sa théorie de la relativité restreinte, la détermination des événements qui se produisent au même instant dépend du mou- vement de l'observateur. La véritable arène des événements n'est ni le temps ni l'espace, mais leur réunion : l'espace-temps. Deux observateurs se déplaçant à des vitesses différentes ne seront pas d'accord sur l'instant ni sur le lieu où se produit un événement, mais ils seront d'accord sur sa localisation dans l'espace-temps. L'espace et le temps sont ainsi des concepts plus secondaires.
Einstein n'a fait qu'empirer les choses en 1915 avec sa théorie de la relativité générale, qui étend la relativité restreinte à des situations où la gravitation est présente. La gravitation déforme le temps, de telle sorte que l'écoulement d'une seconde ici peut ne pas signifier la même chose que l'écoulement d'une seconde ailleurs. Sauf dans de rares cas, il est alors impossible de synchroniser des horloges et d'obtenir qu'elles restent synchronisées. Il n'est plus possible de considérer que le monde évolue seconde après seconde en étant régi par un unique paramètre temporel. Il devient alors impossible de dire qu'un événement s'est produit avant ou après un autre (voir l'article de Marc Lachièze-Rey).
Pour lire la suite : Le temps est-il une illusion ?, Craig Callender, Pour la Science n°397, novembre 2010
Les spécialistes Etienne Klein et Marc Lachèze-Rey ont tous les deux consacré une conférence à la question du temps, que vous pouvez visionner en ligne :
La physique a-t-elle besoin du temps ?, Marc Lachièze-Rey (consultable sur cea.fr)
Pour aller plus loin, quelques lectures supplémentaires :
- Et si le temps n’existait pas ?, astrosurf.com
- Le temps existe-t-il ? Etienne Klein (livre)
- Le temps existe-t-il ? : comprendre la relativité, Marc Lachièze-Rey (compact disque, texte enregistré)
- Physique et réalité : le temps existe-t-il ?, Institut des Hautes Etudes Scientifiques
- Science et vie junior n°304 (17 décembre 2014) : Le temps existe-t-il ?
- Et si le temps n'existait pas ? : un peu de science subversive, Carlo Rovelli
Bonne journée.
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