Question d'origine :
Bonjour à tous,
ma question est très simple, et je suppose donc que la réponse risque d'être complexe : je voudrais avoir une ou des définitions de la science. Peut être au sens épistémologique ou philosophique du terme, au sens historique, au sens actuel...
Merci de votre réponse
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 04/04/2015 à 13h02
Bonjour,
La science désigne traditionnellement, pour les philosophes, une opération de l'esprit permettant d'atteindre une connaissance stable et fondée.
Platon (428 env.-env. 347 av. J.-C.) oppose ainsi, dans le livre V de La République, la science et l'opinion, cette dernière réputée changeante et ne portant que sur des apparences. Le mot science signifie alors connaissance. Il désigne la forme la plus haute de la connaissance, celle par laquelle nous accédons véritablement à une réalité rendue pleinement intelligible. La science se distingue ainsi d'autres sources de persuasion, comme l'opinion, la croyance, la foi, l'autorité d'un auteur, la connaissance par ouï-dire, etc. La philosophie de la connaissance s'attache à définir les conditions d'une telle connaissance certaine, et les méthodes - par exemple la dialectique chez Platon - que les hommes doivent suivre pour l'atteindre. Tel est le concept normatif de science. Il permet d'apprécier les prétentions des différents savoirs à la scientificité, de guider leur travail, de hiérarchiser les disciplines scientifiques.
Le mot science, surtout lorsqu'il est utilisé dans des expressions comme « la science moderne », ou au pluriel - « les sciences » -, ne désigne plus aujourd'hui un « pouvoir de connaître » reconnu à l'esprit humain lorsqu'il respecte les normes de la rationalité mais un corps constitué de connaissances et de méthodes qui peut faire l'objet d'analyses et de réflexions.
Il existe plusieurs ensembles de connaissances, réunis en disciplines distinctes : la physique, la chimie, la biologie, la psychologie, etc. Classiquement, on les rassemble en trois grands ensembles : les sciences formelles - comme les mathématiques et la logique -, les sciences empirico-théoriques, qui ont recours aux explications causales - comme la physique, la chimie, la biologie -, les sciences herméneutiques, qui font appel à la compréhension et à l'interprétation de textes, de discours, de symboles, etc. - comme l'histoire ou la psychologie.
Dans cette seconde acception, plus descriptive, est science ce qui est reconnu comme science dans la communauté scientifique. Cette définition, strictement sociologique, est nécessairement relative à une communauté scientifique donnée : ce qui est aujourd'hui tenu pour scientifique ne le sera pas toujours et ne l'est pas partout. Toute tentative pour définir le mot science rencontre, et analyse parfois, cette tension entre un concept normatif de la science - connaissance vraie établie selon certains critères - et un concept descriptif - désignation, dans un ensemble culturel donné, de connaissances portant sur telle ou telle matière. Cette tension renvoie à un problème qu'il est possible de restituer.
De la philosophie à l'épistémologie
Tout concept normatif de la science, c'est-à-dire toute élaboration des normes absolues de la scientificité, repose en réalité sur l'état du savoir au moment de sa constitution. Lorsque Platon fait valoir que la connaissance certaine et évidente est une connaissance des essences, qui doit partir de principes assurés et respecter l'ordre logique, il érige en modèle les mathématiques de son temps. « La philosophie de Platon est donc à bien des égards le produit cohérent de la pratique des mathématiciens », souligne ainsi Jean-Baptiste Gourinat dans Les Philosophes et la science, (P. Wagner dir., 2002). Une telle approche présente deux inconvénients. En premier lieu, tout concept normatif, intrinsèquement daté, devient obsolète lorsque l'état du savoir sur lequel il s'appuyait est dépassé. Par exemple, la physique, telle qu'elle s'élabore dans les œuvres de Galilée et de Newton, ne correspond plus au concept normatif de la science défini par les philosophes de l'Antiquité. En second lieu, tout concept normatif tend à dénier toute forme de scientificité aux disciplines qui ne se conforment pas au modèle établi - d'où le procès régulièrement intenté aux sciences humaines depuis le XIXe siècle, au nom du concept normatif issu des sciences expérimentales de la nature.
On peut donc juger opportun de s'en tenir à la description et à l'analyse des pratiques scientifiques dans les différentes sciences. Telle est l'épistémologie, définie ainsi par Dominique Lecourt (La Philosophie des sciences, 2001) : « Le vocable "épistémologie" se veut plus modeste que celui de "philosophie des sciences". L'épistémologie s'applique à l'analyse rigoureuse des discours scientifiques, pour examiner les modes de raisonnement qu'ils mettent en œuvre et décrire la structure formelle de leurs théories. »
Nous vous laissons poursuivre la lecture de cet article extrait des Notions de l'Encyclopaedia universalis (pages 929 à 931).
Vous pouvez également approfondir le sujet avec cette sélection d'ouvrages :
- Les philosophes et la science / sous la dir. de Pierre Wagner
Etudie les rapports entre la philosophie et la science sous quatre grandes problématiques : qu'est-ce que la science, critiques et limites de la science, science et naturalisme, science et histoire et société.
- La philosophie des sciences / Dominique Lecourt
Panorama des doctrines de philosophie des sciences qui se sont succédé depuis le XIXe siècle et des débats contemporains à propos des progrès scientifiques et de leurs applications.
- Philosophie des sciences / Pascal Nouvel
Longtemps la science et la philosophie ont été confondues. Dans l'Antiquité grecque, par exemple, il n'y a pas de différence entre faire de la science et philosopher. Mais, à partir de la révolution scientifique, au XVIIe siècle, les deux activités prennent une allure distincte. Au XIXe siècle (notamment avec Auguste Comte), la science se présente comme l'avenir de la philosophie. La pensée positive est supposée remplacer entièrement la spéculation métaphysique. À la même époque apparaît un courant de réflexion qui se présente comme " philosophie des science " : réflexion critique sur la science. C'est l'histoire de ce courant, avec ses nombreuses ramifications contemporaines, qui est racontée dans ce livre.
- Qu'est-ce que la science ? : récents développements en philosophie des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend/ Alan F. Chalmers
- En quête de science : introduction à l'épistémologie/ Maurice Gagnon, Daniel Hébert
Une introduction à l'épistémologie, connaissance des connaissances.
Bonne lecture.
La science désigne traditionnellement, pour les philosophes, une opération de l'esprit permettant d'atteindre une connaissance stable et fondée.
Platon (428 env.-env. 347 av. J.-C.) oppose ainsi, dans le livre V de La République, la science et l'opinion, cette dernière réputée changeante et ne portant que sur des apparences. Le mot science signifie alors connaissance. Il désigne la forme la plus haute de la connaissance, celle par laquelle nous accédons véritablement à une réalité rendue pleinement intelligible. La science se distingue ainsi d'autres sources de persuasion, comme l'opinion, la croyance, la foi, l'autorité d'un auteur, la connaissance par ouï-dire, etc. La philosophie de la connaissance s'attache à définir les conditions d'une telle connaissance certaine, et les méthodes - par exemple la dialectique chez Platon - que les hommes doivent suivre pour l'atteindre. Tel est le concept normatif de science. Il permet d'apprécier les prétentions des différents savoirs à la scientificité, de guider leur travail, de hiérarchiser les disciplines scientifiques.
Le mot science, surtout lorsqu'il est utilisé dans des expressions comme « la science moderne », ou au pluriel - « les sciences » -, ne désigne plus aujourd'hui un « pouvoir de connaître » reconnu à l'esprit humain lorsqu'il respecte les normes de la rationalité mais un corps constitué de connaissances et de méthodes qui peut faire l'objet d'analyses et de réflexions.
Il existe plusieurs ensembles de connaissances, réunis en disciplines distinctes : la physique, la chimie, la biologie, la psychologie, etc. Classiquement, on les rassemble en trois grands ensembles : les sciences formelles - comme les mathématiques et la logique -, les sciences empirico-théoriques, qui ont recours aux explications causales - comme la physique, la chimie, la biologie -, les sciences herméneutiques, qui font appel à la compréhension et à l'interprétation de textes, de discours, de symboles, etc. - comme l'histoire ou la psychologie.
Dans cette seconde acception, plus descriptive, est science ce qui est reconnu comme science dans la communauté scientifique. Cette définition, strictement sociologique, est nécessairement relative à une communauté scientifique donnée : ce qui est aujourd'hui tenu pour scientifique ne le sera pas toujours et ne l'est pas partout. Toute tentative pour définir le mot science rencontre, et analyse parfois, cette tension entre un concept normatif de la science - connaissance vraie établie selon certains critères - et un concept descriptif - désignation, dans un ensemble culturel donné, de connaissances portant sur telle ou telle matière. Cette tension renvoie à un problème qu'il est possible de restituer.
De la philosophie à l'épistémologie
Tout concept normatif de la science, c'est-à-dire toute élaboration des normes absolues de la scientificité, repose en réalité sur l'état du savoir au moment de sa constitution. Lorsque Platon fait valoir que la connaissance certaine et évidente est une connaissance des essences, qui doit partir de principes assurés et respecter l'ordre logique, il érige en modèle les mathématiques de son temps. « La philosophie de Platon est donc à bien des égards le produit cohérent de la pratique des mathématiciens », souligne ainsi Jean-Baptiste Gourinat dans Les Philosophes et la science, (P. Wagner dir., 2002). Une telle approche présente deux inconvénients. En premier lieu, tout concept normatif, intrinsèquement daté, devient obsolète lorsque l'état du savoir sur lequel il s'appuyait est dépassé. Par exemple, la physique, telle qu'elle s'élabore dans les œuvres de Galilée et de Newton, ne correspond plus au concept normatif de la science défini par les philosophes de l'Antiquité. En second lieu, tout concept normatif tend à dénier toute forme de scientificité aux disciplines qui ne se conforment pas au modèle établi - d'où le procès régulièrement intenté aux sciences humaines depuis le XIXe siècle, au nom du concept normatif issu des sciences expérimentales de la nature.
On peut donc juger opportun de s'en tenir à la description et à l'analyse des pratiques scientifiques dans les différentes sciences. Telle est l'épistémologie, définie ainsi par Dominique Lecourt (La Philosophie des sciences, 2001) : « Le vocable "épistémologie" se veut plus modeste que celui de "philosophie des sciences". L'épistémologie s'applique à l'analyse rigoureuse des discours scientifiques, pour examiner les modes de raisonnement qu'ils mettent en œuvre et décrire la structure formelle de leurs théories. »
Nous vous laissons poursuivre la lecture de cet article extrait des Notions de l'Encyclopaedia universalis (pages 929 à 931).
Vous pouvez également approfondir le sujet avec cette sélection d'ouvrages :
- Les philosophes et la science / sous la dir. de Pierre Wagner
Etudie les rapports entre la philosophie et la science sous quatre grandes problématiques : qu'est-ce que la science, critiques et limites de la science, science et naturalisme, science et histoire et société.
- La philosophie des sciences / Dominique Lecourt
Panorama des doctrines de philosophie des sciences qui se sont succédé depuis le XIXe siècle et des débats contemporains à propos des progrès scientifiques et de leurs applications.
- Philosophie des sciences / Pascal Nouvel
Longtemps la science et la philosophie ont été confondues. Dans l'Antiquité grecque, par exemple, il n'y a pas de différence entre faire de la science et philosopher. Mais, à partir de la révolution scientifique, au XVIIe siècle, les deux activités prennent une allure distincte. Au XIXe siècle (notamment avec Auguste Comte), la science se présente comme l'avenir de la philosophie. La pensée positive est supposée remplacer entièrement la spéculation métaphysique. À la même époque apparaît un courant de réflexion qui se présente comme " philosophie des science " : réflexion critique sur la science. C'est l'histoire de ce courant, avec ses nombreuses ramifications contemporaines, qui est racontée dans ce livre.
- Qu'est-ce que la science ? : récents développements en philosophie des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend/ Alan F. Chalmers
- En quête de science : introduction à l'épistémologie/ Maurice Gagnon, Daniel Hébert
Une introduction à l'épistémologie, connaissance des connaissances.
Bonne lecture.
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