Question d'origine :
Bonjour,
De quand date le petit déjeuner? J'entends par là le repas prit à son réveil, codifié, composé en France par exemple de céréales pour les enfants ou de croissants le dimanche, d'oeufs pour les Anglais et de salami pour les Allemands (bien que ce ne soient que des clichés)
Réponse attendue le 07/06/2017 - 18:06.
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 06/06/2017 à 10h32
Bonjour,
En préambule, voici un extrait du dernier livre de Christian Grataloup, paru début mai 2017 : Le monde dans nos tasses : trois siècles de petit déjeuner (prochainement disponible à la bibliothèque). Ces quelques lignes corroborent les premières recherches que nous avons faites dans nos collections.
Le petit déjeuner n'intéresse guère les historiens, les sociologues, les géographes ou les anthropologues. Les diététiciens rappellent juste, avec régularité il est vrai, qu'il devrait représenter entre le tiers et le quart de l'apport calorique quotidien. La littérature propre au petit déjeuner est quasi inexistante, alors que des bibliothèques entières s'intéressent à l'alimentation et à la gastronomie. Dans les ouvrages sur la nourriture, les livres de recettes, il n'est question que de mets, simples ou savants, pour le milieu ou la fin de journée.
Voyons maintenant l'aspect historique avec cet extrait issu du dictionnaire des cultures alimentaires, sous la direction de Jean-Pierre Poulain :
En France, pendant longtemps le premier repas de la journée se nommait le déjeuner, ce qui signifiait littéralement "sortir du jeûne". L'horaire de ce repas s'est peu à peu décalé de l'heure du lever jusqu'à tard dans la matinée, au point qu'il a fini par être précédé d'une autre prise alimentaire qui a pris le nom de "petit déjeuner". [..] La forme actuelle du petit-déjeuner français organisé autour d'une boisson chaude (café, thé ou chocolat) est à l'échelle de l'histoire extrêmement récente. Du point de vue de son contenu, le premier repas de la journée en France semble avoir beaucoup bougé. Jusqu'au XVIIIe siècle, deux variantes existent dans les nombreux documents historiques qui le décrivent : du pain et du vin, ou une soupe, auxquels s'ajoute une série d'aliments cuisinés.[...] Jusqu'au début du XXe siècle, dans nombre de milieux sociaux, le petit-déjeuner se compose encore soit d'une soupe, soit de pain trempé dans du vin. La diffusion du café dans la société française et son usage pour le petit déjeuner se sont opérés en plusieurs étapes. Ils débutent par les milieux aristocratiques et la haute bourgeoisie vers la fin du XVIIIe siècle, et ne pénètrent les milieux populaires que durant le XXe siècle, grâce au service militaire et à son usage dans l'alimentation militaire. Progressivement, le café semble s'être substitué au vin dans la formule "verre de vin et morceau de pain" pour donner naissance au petit-déjeuner "continental" consommé en France et ailleurs.
La suite décrit avec précision les différentes catégories de petits déjeuners, et 338 combinaisons possibles ainsi que les pratiques des français de nos jours.
Les grecs de l'Antiquité prennent un petit déjeuner frugal à base de fromage, de fruits et pain trempé dans du vin, consommé ordinairement debout et souvent hors de la maison. Dans la Rome antique, le jentaculum, pris généralement entre huit et neuf heures du matin, consiste en un bol de lait, ou bien en un biscuit trempé dans du vin ou une sauce à l'ail, à quoi s'ajoutent des figues et des olives ; parfois, il comporte aussi du fromage et des œufs. Toutefois, le petit déjeuner tend à disparaitre chez les chrétiens même si l'on en trouve mention dans certains écrits. Au XVIIIe siècle, l'usage du petit déjeuner se développe et s'affirme sous la forme d'une boisson chaude accompagnée de quelques biscuits, et c'est surtout une habitude de la noblesse. D'après les tableaux le représentant, il est souvent servi directement dans la chambre à coucher ou dans un petit salon attenant. Et c'est précisément en raison de son caractère de rituel aristocratique qu'il apparait comme un signe explicite d'appartenance sociale et comme une marque de bon goût. Au XIXe siècle et jusqu'au début du XXe siècle, la prise d'un petit-déjeuner devient aussi une habitude de la bourgeoisie la plus aisée et se répand peu à peu dans les autres couches sociales.
Source : Boire et manger : traditions, symboles / Silvia Malaguzzi
C. Grataloup (op. cit.) donne quelques informations sur les repas du début de journée en insistant sur les horaires et sur la notion de temps : Progressivement, la vie quotidienne de l'humanité se déconnecte du temps solaire (avec l'apparition des horloges mécaniques au XIVe siècle en Europe s'amorce l'histoire d'une émancipation par rapport au rythme solaire) ; mais elle se sépare aussi du temps religieux. A partir du XIXe siècle, dans l'Europe urbaine, puis progressivement ailleurs, le début et la fin du travail, ainsi que les horaires des repas, s'organisent sur des emplois du temps plus artificiels et laïques. Pour reprendre le titre d'un célèbre texte de Jacques Le Goff, le temps du marchand a triomphé du temps de l'église. [...] Les principaux acteurs de l'action colonisatrice des Européens, de la fin du XVIe au début du XIXe siècle furent les compagnies des Indes. C'est durant cette période que les importations européennes de sucre de canne deviennent massives, avec les conséquences sociales et démographiques qu'entrainent le développement de la production, la traite Atlantique en particulier. C'est également à cette période que les boissons d'origine tropicale passent du statut de curiosités rares à celui de produit commercial d'une consommation de plus en plus fréquente. C'est enfin le moment où la pratique nouvelle du petit déjeuner, comme repas original dans le cycle alimentaire, apparaît et s'impose à une bonne partie des sociétés européennes.[...]
Il ajoute en outre : Alors que les rites d'usage de boissons chaudes par des Chinois, des Turcs ou des Aztèques ne pouvaient qu'être profondément différents, la conjonction de l'usage du thé, du café et du chocolat au centre d'un même repas provoqua certaines similitudes instrumentales sur la table du petit déjeuner.
Sur le site du huffingtonpost, quelques descriptions en images de petits déjeuners à travers le monde (avec quelques clichés bien sûr...)
Quelques éléments complémentaires sont disponibles dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, tome 6 (1870) dans lequel le terme "petit-déjeuner" n'apparait pas encore... Voir en ligne sur Gallica (page 322)
Pour conclure, nous revenons sur l'ouvrage de C. Grataloup, Le Monde dans nos tasses, véritable mine sur la question avec notamment les chapitres : Géopolitique du petit déjeuner, le règne du continental breakfast (Europe, Amérique latine, Afrique du Sud, Extrême-Orient) et Mélanges et métissages du matin... dont nous pouvons tirer quelques idées de recettes traditionnelles (qui tendent à disparaitre) :
-Ethiopie : Morceau de pain d'orge ou de blé, ou galette de tel (céréale locale) accompagné de lait, voire de café (souvent salé)
-Madagascar : Soupe de riz épaisse, agrémentée quand on en a les moyens de viande séchée et de cacahuètes grillées
-Amérique latine : Tortillas, oeufs brouillés au piment avec purée de haricots noirs
-Antilles : féroce d'avocats (morue et avocat écrasés relevés au piment), racines (manioc, carottes...)
-Polynésie : restes du poisson de la veille, avec du café au lait très sucré dans lequel on trempe souvent le poisson...
Bon appétit, bien sûr !
En préambule, voici un extrait du dernier livre de Christian Grataloup, paru début mai 2017 : Le monde dans nos tasses : trois siècles de petit déjeuner (prochainement disponible à la bibliothèque). Ces quelques lignes corroborent les premières recherches que nous avons faites dans nos collections.
Le petit déjeuner n'intéresse guère les historiens, les sociologues, les géographes ou les anthropologues. Les diététiciens rappellent juste, avec régularité il est vrai, qu'il devrait représenter entre le tiers et le quart de l'apport calorique quotidien. La littérature propre au petit déjeuner est quasi inexistante, alors que des bibliothèques entières s'intéressent à l'alimentation et à la gastronomie. Dans les ouvrages sur la nourriture, les livres de recettes, il n'est question que de mets, simples ou savants, pour le milieu ou la fin de journée.
Voyons maintenant l'aspect historique avec cet extrait issu du dictionnaire des cultures alimentaires, sous la direction de Jean-Pierre Poulain :
En France, pendant longtemps le premier repas de la journée se nommait le déjeuner, ce qui signifiait littéralement "sortir du jeûne". L'horaire de ce repas s'est peu à peu décalé de l'heure du lever jusqu'à tard dans la matinée, au point qu'il a fini par être précédé d'une autre prise alimentaire qui a pris le nom de "petit déjeuner". [..] La forme actuelle du petit-déjeuner français organisé autour d'une boisson chaude (café, thé ou chocolat) est à l'échelle de l'histoire extrêmement récente. Du point de vue de son contenu, le premier repas de la journée en France semble avoir beaucoup bougé. Jusqu'au XVIIIe siècle, deux variantes existent dans les nombreux documents historiques qui le décrivent : du pain et du vin, ou une soupe, auxquels s'ajoute une série d'aliments cuisinés.[...] Jusqu'au début du XXe siècle, dans nombre de milieux sociaux, le petit-déjeuner se compose encore soit d'une soupe, soit de pain trempé dans du vin. La diffusion du café dans la société française et son usage pour le petit déjeuner se sont opérés en plusieurs étapes. Ils débutent par les milieux aristocratiques et la haute bourgeoisie vers la fin du XVIIIe siècle, et ne pénètrent les milieux populaires que durant le XXe siècle, grâce au service militaire et à son usage dans l'alimentation militaire. Progressivement, le café semble s'être substitué au vin dans la formule "verre de vin et morceau de pain" pour donner naissance au petit-déjeuner "continental" consommé en France et ailleurs.
La suite décrit avec précision les différentes catégories de petits déjeuners, et 338 combinaisons possibles ainsi que les pratiques des français de nos jours.
Les grecs de l'Antiquité prennent un petit déjeuner frugal à base de fromage, de fruits et pain trempé dans du vin, consommé ordinairement debout et souvent hors de la maison. Dans la Rome antique, le jentaculum, pris généralement entre huit et neuf heures du matin, consiste en un bol de lait, ou bien en un biscuit trempé dans du vin ou une sauce à l'ail, à quoi s'ajoutent des figues et des olives ; parfois, il comporte aussi du fromage et des œufs. Toutefois, le petit déjeuner tend à disparaitre chez les chrétiens même si l'on en trouve mention dans certains écrits. Au XVIIIe siècle, l'usage du petit déjeuner se développe et s'affirme sous la forme d'une boisson chaude accompagnée de quelques biscuits, et c'est surtout une habitude de la noblesse. D'après les tableaux le représentant, il est souvent servi directement dans la chambre à coucher ou dans un petit salon attenant. Et c'est précisément en raison de son caractère de rituel aristocratique qu'il apparait comme un signe explicite d'appartenance sociale et comme une marque de bon goût. Au XIXe siècle et jusqu'au début du XXe siècle, la prise d'un petit-déjeuner devient aussi une habitude de la bourgeoisie la plus aisée et se répand peu à peu dans les autres couches sociales.
Source : Boire et manger : traditions, symboles / Silvia Malaguzzi
C. Grataloup (op. cit.) donne quelques informations sur les repas du début de journée en insistant sur les horaires et sur la notion de temps : Progressivement, la vie quotidienne de l'humanité se déconnecte du temps solaire (avec l'apparition des horloges mécaniques au XIVe siècle en Europe s'amorce l'histoire d'une émancipation par rapport au rythme solaire) ; mais elle se sépare aussi du temps religieux. A partir du XIXe siècle, dans l'Europe urbaine, puis progressivement ailleurs, le début et la fin du travail, ainsi que les horaires des repas, s'organisent sur des emplois du temps plus artificiels et laïques. Pour reprendre le titre d'un célèbre texte de Jacques Le Goff, le temps du marchand a triomphé du temps de l'église. [...] Les principaux acteurs de l'action colonisatrice des Européens, de la fin du XVIe au début du XIXe siècle furent les compagnies des Indes. C'est durant cette période que les importations européennes de sucre de canne deviennent massives, avec les conséquences sociales et démographiques qu'entrainent le développement de la production, la traite Atlantique en particulier. C'est également à cette période que les boissons d'origine tropicale passent du statut de curiosités rares à celui de produit commercial d'une consommation de plus en plus fréquente. C'est enfin le moment où la pratique nouvelle du petit déjeuner, comme repas original dans le cycle alimentaire, apparaît et s'impose à une bonne partie des sociétés européennes.[...]
Il ajoute en outre : Alors que les rites d'usage de boissons chaudes par des Chinois, des Turcs ou des Aztèques ne pouvaient qu'être profondément différents, la conjonction de l'usage du thé, du café et du chocolat au centre d'un même repas provoqua certaines similitudes instrumentales sur la table du petit déjeuner.
Sur le site du huffingtonpost, quelques descriptions en images de petits déjeuners à travers le monde (avec quelques clichés bien sûr...)
Quelques éléments complémentaires sont disponibles dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, tome 6 (1870) dans lequel le terme "petit-déjeuner" n'apparait pas encore... Voir en ligne sur Gallica (page 322)
Pour conclure, nous revenons sur l'ouvrage de C. Grataloup, Le Monde dans nos tasses, véritable mine sur la question avec notamment les chapitres : Géopolitique du petit déjeuner, le règne du continental breakfast (Europe, Amérique latine, Afrique du Sud, Extrême-Orient) et Mélanges et métissages du matin... dont nous pouvons tirer quelques idées de recettes traditionnelles (qui tendent à disparaitre) :
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