Période la plus meurtrière de la chasse aux sorcières
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 19/08/2020 à 10h05
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Question d'origine :
Bonjour, Quelle est la période de l'Histoire la plus marquée par la chasse aux sorcières et qu'est-ce qui était (ou est ?) infligé aux personnes jugées comme telles ?
Réponse du Guichet
gds_et
- Département : Équipe du Guichet du Savoir
Le 20/08/2020 à 14h57
Bonjour,
En Europe, la chasse aux sorcières couvre globalement une période située entre le XVe et le XVIIIe siècle. Dans La grande chasse aux sorcières en Europe aux débuts des temps modernes, Brian P. Levack estime qu’il y aurait eu environ 110 000 procès et 60 000 condamnations. Parmi ces dernières, 133 eurent lieu le même jour en 1589, sur les terres du couvent de Quedlinburg.
D’après Robert Muchembled, auteur de l’ouvrage Le roi et la sorcière : l'Europe des bûchers, XVe-XVIIIe siècle, «la période de plus forte intensité de la chasse aux sorcières se situa à l’âge baroque, entre 1580 et 1640 . Elle traduisit une extraordinaire montée d’angoisse dans l’Europe meurtrie de ce temps, en particulier chez les gouvernants, les intellectuels et les juges. […]
Tous les occidentaux des années 1580 vivaient un grand moment d’inquiétude collective. Nombre de fractures vives étaient apparues, notamment en France et aux Pays-Bas catholiques ravagés par les guerres de Religion. D’autres se préparaient, en particulier dans le Saint Empire où s’était engagée une longue veillée d’armes préparatoire à la guerre de Trente Ans. En ce « temps calamiteux », Dieu paraissait avoir abandonné son peuple. L’angoisse montait vigoureusement dans les esprits, surtout chez les militants de la foi catholique ou protestante établis en ennemis perpétuels le long de frontières mouvantes. Tel était le cas, par exemple, entre les habitants des Pays-Bas demeurés catholiques et ceux des Sept Provinces du Nord. Lancées depuis 1579 dans une marche vers l’indépendance, ces dernières avaient imposé à leur ancien roi Philippe II l’humiliation de n’avoir pu vaincre des « gueux » qu’il considérait comme de simples rebelles.
Après la défaite finale de Charles Quint face aux princes protestants allemands, après la Saint-Barthélémy en France, après la scission des Pays-Bas, les deux camps se préparaient à d’inexpiables affrontements. Ils ne devraient finalement admettre l’impossibilité mutuelle de se vaincre qu’en 1648. Les générations actives durant cette période particulièrement conflictuelle ne pouvaient éviter de se sentir culpabilisées, quelle que soit leur confession, parce que leurs membres ne pouvaient mieux et plus vite imposer leur vérité aux ennemis. L’image omniprésente du diable traduisait ainsi d’intenses angoisses collectives, que d’aucuns diraient eschatologiques. L’axe du monde avait définitivement basculé mais il hésitait encore à trouver sa place définitive, entre Méditerranée et Mer du Nord, Réforme et Contre-Réforme, Espagne toujours puissante bien que déclinante, France de plus en plus conquérante, Provinces-Unies entrant dans leur âge d’or, Angleterre couvant sa première révolution…
Les repères intellectuels, religieux, politiques manquaient de cohérence universelle. L’Eglise catholique affaiblie portait moins de certitudes que de craintes, tandis que le protestantisme éclatait en de nombreuses variétés nationales. Au milieu des pestes, des guerres, des famines, l’Europe accouchait douloureusement d’une modernité saturée d’inquiétudes et de peurs. Dans ce climat mental perturbé, la définition précise et claire du crime de sorcellerie apparaissait, au moins en partie, procéder d’un effort intellectuel globalisant. Faute de dominer une réalité éclatée, les penseurs fournirent ainsi un langage de dénonciation commun, cohérent, de tous les dangers menaçant le monde chrétien fracturé. Il est possible d’y voir une expression maladive de l’angoisse générale, ou au contraire une manière de se prémunir contre elle en l’exprimant, en la concentrant sur la figure archétypique d’une sorcière qui annonçait la victoire du démon, donc de l’Antéchrist. Cela ne suffisait évidemment pas à recréer l’unité perdue, dont ce mythe très puissant portait la nostalgie, puisque unifier la figure du démon revenait à renforcer celle de Dieu comme centre de l’univers. Mais cela permit de définir de manière symbolique la voie à suivre, en poussant les Etats, aussi bien catholiques que protestants, à prouver leur zèle dans un premier temps. Ils furent ensuite rapidement incités à se différencier en fonction de leur philosophie spécifique, ce qui contribua alors à séculariser l’hérésie. Au terme du processus, vers le milieu du XVIIe siècle, la religion en tant que telle cessa de produire des confrontations violentes, de moins en moins d’hommes acceptant de mourir pour la foi.
Aux yeux de l’historien, le crime de sorcellerie constitue certes une illusion. Mais une illusion productrice d’un mythe fonctionnel de très grande importance qui permit à l’ensemble de l’Europe des années 1580-1640 d’effectuer un très douloureux rite de passage vers les Etats nationaux, après la longue agonie de l’Eglise universelle médiévale. Dans cette optique, le phénomène doit être replacé au cœur d’un imaginaire occidental aboutissant lentement à la constitution du sujet obéissant, puis plus récemment à la séparation entre la politique et la religion. En d’autres termes, il s’agit de la difficile émergence du système général d’autorité et d’obéissance propre à l’Europe depuis un demi-millénaire. »
Au terme du procès, la sentence de mort était généralement (mais pas toujours) par le feu : « Elle comprenait parfois la grâce d’un retentum : le bourreau étranglait la sorcière dès que les flammes cachaient la scène au public, afin qu’elle ne souffre pas trop longtemps. La décision était d’abord lue en public avant l’exécution, ainsi rendue plus spectaculaire. Celle qui s’appliqua à Gillette Clacquebert, une femme mariée de quarante ans habitant Hem-Lenglet, près de Cambrai, mise à mort le 1er mars 1624, peut servir de modèle. Dénoncée par sa mère, déjà brûlée pour sorcellerie dans le même village le 23 novembre 1623, elle avait subi un procès en bonne et due forme. « Rasée de tout poil » pour la recherche de la marque diabolique, elle avait ensuite avoué sous la torture, avant de réitérer ses déclarations par la suite comme l’exigeait le droit. Les juges la condamnèrent à être étranglée puis brûlée après avoir rappelé à son sujet les trois éléments constitutifs du crime de sorcellerie démoniaque : le pacte satanique « à l’induction d’un diable qu’elle nomme Jacquet renoncé à Dieu, chrême et baptême, auquel elle a donné une épingle, et l’aurait icelui diable marquée sur l’épaule gauche, avec lequel elle aurait eu copulation charnelle diverses fois » ; la fréquentation du sabbat : « d’avoir été à la danse et assemblée nocturne d’autres sorcières » ; les maléfices enfin : « et reçu de la poudre de sondit diable pour en maléficier ».
Source : Le roi et la sorcière : l'Europe des bûchers, XVe-XVIIIe siècle, Robert Muchembled
En analysant les archives du Parlement de Paris, Alfred Soman nous en apprend un peu plus sur lestortures pratiquées dans les procès de sorcellerie : Les procès de sorcellerie au parlement de Paris (1565-1640).
A Paris, la torture « très modérée » visait à infliger une douleur très aiguë au moment de l’opération, mais sans laisser de mutilation : « Le prisonnier était lié et étendu, puis soulevé en extension au moyen d’un tréteau, pendant qu’on lui versait un nombre prédéterminé de coquemars d’eau tiède dans la bouche : huit pour une question « entière » ou « extraordinaire » ; de un à quatre pour une question « modérée » ou « ordinaire ». La Cour n’avait recours, très souvent, qu’à la simple menace, la « présentation » de la question : le prisonnier, introduit dans la Chambre de la question, croit qu’il va subir une torture « extraordinaire » : interrogé par deux conseillers de la Cour (dont le rapporteur), on lui attache les câbles aux poignets et aux chevilles ; s’il n’avoue toujours pas, la question est terminée, et l’on passe aux mesures déjà arrêtées. On voit, en effet, à la façon dont la torture était prescrite, que le Parlement n’espérait guère d’aveux : « arrêté à la question modérée, et si nihil fateatur, informer plus amplement et lui ouvrir les prisons », ou « bannir du baillage pour trois ans ». Même après avoir été torturées, - leurs hurlements enregistrés verbatim – la plupart des victimes sortaient de la Conciergerie sur leurs deux jambes, le jour même ou le lendemain. Sur 160 condamnés à la question à Paris, 61 n’en subirent que la présentation ; et c’est la présentation qui provoqua la seule confession que je connaisse. »
Mais la question telle qu’elle est pratiquée à Paris en appel ne reflète pas les tortures infligées aux victimes par ailleurs. Alfred Soman fait la distinction entre les pratiques du Parlement de Paris et les « atrocités perpétrées dans le Saint-Empire – et çà et là dans les provinces françaises, bien qu’elles y fussent illégales. La procédure normale n’avait rien de commun avec le supplice infligé à Ravaillac ou à Damiens. De par la loi, pour tout délit, il fallait une délibération et une sentence formelles avant d’appliquer la torture, et des preuves nouvelles étaient nécessaires pour recommencer. »
Echappant au contrôle des autorités, la foule avait recours au lynchage. Dans d’autre cas, ce sont les représentants de la justice qui commettaient des abus en sortant du cadre légal : « L’épreuve de l’eau ne devait être pratiquée qu’à la suite d’une sentence prononcée en toute légalité, mais dans la plupart de ces cas l’accusé était empoigné par la foule et jeté à l’eau avant qu’on pût lui poser la moindre question. Certains furent lapidés et moururent noyés ou de froid ; certains furent pendus par les pouces avec des chaînes ; on graissa la plante des pieds à d’autres, avant de les exposer devant une belle flambée : un homme eut les pieds brûlés « jusques aux os ». Dans un autre cas, un notable du village « jeta de la poudre à canon sur le feu » - « ce n’était pour en mal faire », dit-il. Un jugement de relaxe fut supprimé afin de permettre à la soldatesque du château de lyncher le suspect. De sept femmes condamnées à mort au cours d’un même procès, une seule réussit à faire appel : le Parlement se vit obligé de faire informer sur le sort des six autres. Deux chirurgiens s’étaient montrés si maladroits, ou si sadiques, en « piquant » pour trouver la fameuse « marque du diable », que la Cour les ajourna. La recherche de la « marque » se prêtait à la concussion : on cherchait à mettre en cause les plus fortunés du lieu. Un autre abus consistait à priver l’inculpé de toute boisson pendant une semaine, après quoi on lui présentait du vin juste avant son interrogatoire. Dans toutes ces affaires, aucun juge ne suivait « l’ancienne usance » selon laquelle il devait faire appel à la place du condamné défaillant.
Tous ces faits furent à l’origine de la requête des gens du roi, en 1588, qui visait à rendre l’appel automatique en matière de sorcellerie. Il fallut attendre 1624 pour que l’arrêt fût prononcé ».
Dans Sorcières ! la grande chasse, Ludovic Viallet mentionne les tortures subies par Johannes Junius à Bamberg en Bavière, en 1628 : les mains liées ensembles, application des poucettes jusqu’à ce que le sang jaillisse des ongles et de partout (le privant de l’usage de ses mains pendant quatre semaines), puis le supplice de l’estrapade :
« Junius, entièrement nu, les mains liées derrière le dos, fut hissé en l’air et laissé choir lourdement à six reprises. Il continua, toutefois, à dénoncer de faux témoignages, et demanda un jour de réflexion ainsi que la visite d’un prêtre. On la lui refusa. Même le bourreau, en le ramenant dans sa prison, l’implora de céder (« Reconnaissez quelque chose, que ce soit vrai ou non ! Imaginez quelque chose, car vous ne pouvez pas supporter le martyre que nous vous faisons endurer »). »
Quelques lectures supplémentaires pour aller plus loin :
- La vauderie d'Arras : une chasse aux sorcières à l'automne du Moyen Age / Franck Mercier
- Les sorcières de Salem / Liliane Crété
- Rogozinski, Jacob. « L'aveu de la vérité. Torture et confession dans la chasse aux sorcières », Les Temps Modernes, vol. 673, no. 2, 2013, pp. 1-23.
Bonne journée.
En Europe, la chasse aux sorcières couvre globalement une période située entre le XVe et le XVIIIe siècle. Dans La grande chasse aux sorcières en Europe aux débuts des temps modernes, Brian P. Levack estime qu’il y aurait eu environ 110 000 procès et 60 000 condamnations. Parmi ces dernières, 133 eurent lieu le même jour en 1589, sur les terres du couvent de Quedlinburg.
D’après Robert Muchembled, auteur de l’ouvrage Le roi et la sorcière : l'Europe des bûchers, XVe-XVIIIe siècle, «
Tous les occidentaux des années 1580 vivaient un grand moment d’inquiétude collective. Nombre de fractures vives étaient apparues, notamment en France et aux Pays-Bas catholiques ravagés par les guerres de Religion. D’autres se préparaient, en particulier dans le Saint Empire où s’était engagée une longue veillée d’armes préparatoire à la guerre de Trente Ans. En ce « temps calamiteux », Dieu paraissait avoir abandonné son peuple. L’angoisse montait vigoureusement dans les esprits, surtout chez les militants de la foi catholique ou protestante établis en ennemis perpétuels le long de frontières mouvantes. Tel était le cas, par exemple, entre les habitants des Pays-Bas demeurés catholiques et ceux des Sept Provinces du Nord. Lancées depuis 1579 dans une marche vers l’indépendance, ces dernières avaient imposé à leur ancien roi Philippe II l’humiliation de n’avoir pu vaincre des « gueux » qu’il considérait comme de simples rebelles.
Après la défaite finale de Charles Quint face aux princes protestants allemands, après la Saint-Barthélémy en France, après la scission des Pays-Bas, les deux camps se préparaient à d’inexpiables affrontements. Ils ne devraient finalement admettre l’impossibilité mutuelle de se vaincre qu’en 1648. Les générations actives durant cette période particulièrement conflictuelle ne pouvaient éviter de se sentir culpabilisées, quelle que soit leur confession, parce que leurs membres ne pouvaient mieux et plus vite imposer leur vérité aux ennemis. L’image omniprésente du diable traduisait ainsi d’intenses angoisses collectives, que d’aucuns diraient eschatologiques. L’axe du monde avait définitivement basculé mais il hésitait encore à trouver sa place définitive, entre Méditerranée et Mer du Nord, Réforme et Contre-Réforme, Espagne toujours puissante bien que déclinante, France de plus en plus conquérante, Provinces-Unies entrant dans leur âge d’or, Angleterre couvant sa première révolution…
Les repères intellectuels, religieux, politiques manquaient de cohérence universelle. L’Eglise catholique affaiblie portait moins de certitudes que de craintes, tandis que le protestantisme éclatait en de nombreuses variétés nationales. Au milieu des pestes, des guerres, des famines, l’Europe accouchait douloureusement d’une modernité saturée d’inquiétudes et de peurs. Dans ce climat mental perturbé, la définition précise et claire du crime de sorcellerie apparaissait, au moins en partie, procéder d’un effort intellectuel globalisant. Faute de dominer une réalité éclatée, les penseurs fournirent ainsi un langage de dénonciation commun, cohérent, de tous les dangers menaçant le monde chrétien fracturé. Il est possible d’y voir une expression maladive de l’angoisse générale, ou au contraire une manière de se prémunir contre elle en l’exprimant, en la concentrant sur la figure archétypique d’une sorcière qui annonçait la victoire du démon, donc de l’Antéchrist. Cela ne suffisait évidemment pas à recréer l’unité perdue, dont ce mythe très puissant portait la nostalgie, puisque unifier la figure du démon revenait à renforcer celle de Dieu comme centre de l’univers. Mais cela permit de définir de manière symbolique la voie à suivre, en poussant les Etats, aussi bien catholiques que protestants, à prouver leur zèle dans un premier temps. Ils furent ensuite rapidement incités à se différencier en fonction de leur philosophie spécifique, ce qui contribua alors à séculariser l’hérésie. Au terme du processus, vers le milieu du XVIIe siècle, la religion en tant que telle cessa de produire des confrontations violentes, de moins en moins d’hommes acceptant de mourir pour la foi.
Aux yeux de l’historien, le crime de sorcellerie constitue certes une illusion. Mais une illusion productrice d’un mythe fonctionnel de très grande importance qui permit à l’ensemble de l’Europe des années 1580-1640 d’effectuer un très douloureux rite de passage vers les Etats nationaux, après la longue agonie de l’Eglise universelle médiévale. Dans cette optique, le phénomène doit être replacé au cœur d’un imaginaire occidental aboutissant lentement à la constitution du sujet obéissant, puis plus récemment à la séparation entre la politique et la religion. En d’autres termes, il s’agit de la difficile émergence du système général d’autorité et d’obéissance propre à l’Europe depuis un demi-millénaire. »
Source : Le roi et la sorcière : l'Europe des bûchers, XVe-XVIIIe siècle, Robert Muchembled
En analysant les archives du Parlement de Paris, Alfred Soman nous en apprend un peu plus sur les
A Paris, la torture « très modérée » visait à infliger une douleur très aiguë au moment de l’opération, mais sans laisser de mutilation : « Le prisonnier était lié et étendu, puis soulevé en extension au moyen d’un tréteau, pendant qu’on lui versait un nombre prédéterminé de coquemars d’eau tiède dans la bouche : huit pour une question « entière » ou « extraordinaire » ; de un à quatre pour une question « modérée » ou « ordinaire ». La Cour n’avait recours, très souvent, qu’à la simple menace, la « présentation » de la question : le prisonnier, introduit dans la Chambre de la question, croit qu’il va subir une torture « extraordinaire » : interrogé par deux conseillers de la Cour (dont le rapporteur), on lui attache les câbles aux poignets et aux chevilles ; s’il n’avoue toujours pas, la question est terminée, et l’on passe aux mesures déjà arrêtées. On voit, en effet, à la façon dont la torture était prescrite, que le Parlement n’espérait guère d’aveux : « arrêté à la question modérée, et si nihil fateatur, informer plus amplement et lui ouvrir les prisons », ou « bannir du baillage pour trois ans ». Même après avoir été torturées, - leurs hurlements enregistrés verbatim – la plupart des victimes sortaient de la Conciergerie sur leurs deux jambes, le jour même ou le lendemain. Sur 160 condamnés à la question à Paris, 61 n’en subirent que la présentation ; et c’est la présentation qui provoqua la seule confession que je connaisse. »
Mais la question telle qu’elle est pratiquée à Paris en appel ne reflète pas les tortures infligées aux victimes par ailleurs. Alfred Soman fait la distinction entre les pratiques du Parlement de Paris et les « atrocités perpétrées dans le Saint-Empire – et çà et là dans les provinces françaises, bien qu’elles y fussent illégales. La procédure normale n’avait rien de commun avec le supplice infligé à Ravaillac ou à Damiens. De par la loi, pour tout délit, il fallait une délibération et une sentence formelles avant d’appliquer la torture, et des preuves nouvelles étaient nécessaires pour recommencer. »
Echappant au contrôle des autorités, la foule avait recours au lynchage. Dans d’autre cas, ce sont les représentants de la justice qui commettaient des abus en sortant du cadre légal : « L’épreuve de l’eau ne devait être pratiquée qu’à la suite d’une sentence prononcée en toute légalité, mais dans la plupart de ces cas l’accusé était empoigné par la foule et jeté à l’eau avant qu’on pût lui poser la moindre question. Certains furent lapidés et moururent noyés ou de froid ; certains furent pendus par les pouces avec des chaînes ; on graissa la plante des pieds à d’autres, avant de les exposer devant une belle flambée : un homme eut les pieds brûlés « jusques aux os ». Dans un autre cas, un notable du village « jeta de la poudre à canon sur le feu » - « ce n’était pour en mal faire », dit-il. Un jugement de relaxe fut supprimé afin de permettre à la soldatesque du château de lyncher le suspect. De sept femmes condamnées à mort au cours d’un même procès, une seule réussit à faire appel : le Parlement se vit obligé de faire informer sur le sort des six autres. Deux chirurgiens s’étaient montrés si maladroits, ou si sadiques, en « piquant » pour trouver la fameuse « marque du diable », que la Cour les ajourna. La recherche de la « marque » se prêtait à la concussion : on cherchait à mettre en cause les plus fortunés du lieu. Un autre abus consistait à priver l’inculpé de toute boisson pendant une semaine, après quoi on lui présentait du vin juste avant son interrogatoire. Dans toutes ces affaires, aucun juge ne suivait « l’ancienne usance » selon laquelle il devait faire appel à la place du condamné défaillant.
Tous ces faits furent à l’origine de la requête des gens du roi, en 1588, qui visait à rendre l’appel automatique en matière de sorcellerie. Il fallut attendre 1624 pour que l’arrêt fût prononcé ».
Dans Sorcières ! la grande chasse, Ludovic Viallet mentionne les tortures subies par Johannes Junius à Bamberg en Bavière, en 1628 : les mains liées ensembles, application des poucettes jusqu’à ce que le sang jaillisse des ongles et de partout (le privant de l’usage de ses mains pendant quatre semaines), puis le supplice de l’estrapade :
« Junius, entièrement nu, les mains liées derrière le dos, fut hissé en l’air et laissé choir lourdement à six reprises. Il continua, toutefois, à dénoncer de faux témoignages, et demanda un jour de réflexion ainsi que la visite d’un prêtre. On la lui refusa. Même le bourreau, en le ramenant dans sa prison, l’implora de céder (« Reconnaissez quelque chose, que ce soit vrai ou non ! Imaginez quelque chose, car vous ne pouvez pas supporter le martyre que nous vous faisons endurer »). »
- La vauderie d'Arras : une chasse aux sorcières à l'automne du Moyen Age / Franck Mercier
- Les sorcières de Salem / Liliane Crété
- Rogozinski, Jacob. « L'aveu de la vérité. Torture et confession dans la chasse aux sorcières », Les Temps Modernes, vol. 673, no. 2, 2013, pp. 1-23.
Bonne journée.
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