Question d'origine :
Bonjour, je suis à la recherche du nom d'un auteur antique qui a écrit de courts textes qui tente d'expliquer de Facon rationnel la mythologie. J'ai beau chercher, impossible de le retrouver lui et ses textes ! merci de votre aide. cordialement
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 17/03/2021 à 12h14
Bonjour,
Dès le VIe siècle avant J.-C., émergent en Grèce, sur le terreau mythologique, des tentatives d’explication de l’univers essayant d’éliminer l’intervention du « surnaturel » dans l’énigme posée par l’existence du monde. C’est le début des disciplines scientifiques et philosophiques qui étaient intrinsèquement liées, puisque les premiers philosophes se nommaient « physiciens », c’est-à-dire scrutateurs de la nature (phusis en grec).
Les présocratiques forment une étape importante de la pensée grecque par le caractère moderne de leurs intuitions scientifiques. Les sciences et la philosophie de cette période se sont avant tout développées en Asie Mineure, appelée Ionie (Ephèse et Milet) et en Grande Grèce (Sicile et Italie du Sud). Parmi les philosophes, Anaximène (env. 585 – 525 av. J.-C.) ou Thalès de Milet (env. 625 – 545 av. J.-C.) s’efforcent de rendre compte des phénomènes physiques d’une manière entièrement rationnelle. Ce dernier est même considéré comme l’un des pères de la science grecque.
La critique des mythes relève d’une longue tradition chez les Grecs. L’historien et géographe Hécatée de Milet (550 av J.-C. – 480 av. J.-C.) qui, par ailleurs, épaulé par Anaximandre, a cartographié le monde vu par les Grecs, se moquait des choses ridicules composant les traditions des Hellènes. Il rédige également des « Généalogies » des divinités et héros grecs. Son œuvre, dont il ne fut guère satisfait, constituait néanmoins le premier essai de critique historique et la première tentative pour émanciper l’histoire des mythes et de la poésie. En réalité, il finit par historiciser les mythes, soit par les réécrire en proposant à ses lecteurs une version plus plausible de ces récits.
Un autre géographe et voyageur, Pausanias dit le Périégète, vivant au IIe siècle après J.-C., à l’issue de quelques périples, s’installa à Rome et y rédigea une « Description de la Grèce » ou « Périégèse » en dix livres, dans l’esprit d’un guide de voyage. En composant cette œuvre, Pausanias tente de tirer le bon grain de l’ivraie en extrayant le noyau authentique des légendes grecques, comme de celle de Thésée. Il procède très simplement en appliquant la doctrine des choses actuelles. Le passé étant semblable au présent, il en déduit que le merveilleux n’existe pas. Puisqu’on ne rencontre pas d’hommes avec la tête d’un taureau de nos jours, constate-t-il, et que les rois exercent leur pouvoir dans de nombreux pays, il en tire la conclusion que le Minotaure n’a jamais existé, mais que Thésée fut certainement un roi.
Ce raisonnement a marqué un tournant critique dans l’attitude des Grecs vis-à-vis du mythe en débouchant sur une nouvelle problématique : la tradition mythique conserve et transmet un noyau authentique qui s’est entouré de légendes. Seules ces légendes seront soumises à une relecture critique, mais le noyau restera intacte.
L’unique ouvrage qui nous soit parvenu de l’écrivain grec Paléphatos ou Palaephatus (IVe ou IIIe siècle av. J.-C.), intitulé « Les Histoires incroyables » (lat. « De incredibilius historiis »), correspondrait le plus à la description de l'oeuvre que vous recherchez. Inscrites dans cette tradition critique rationnelle, regroupées dans cinq livres, elles contiennent 52 textes assez courts, allant de quelques lignes seulement à quelques paragraphes. L’auteur y présente brièvement le mythe, auquel selon lui, il est plutôt absurde de croire, pour exposer ensuite son point de vue et proposer son interprétation, raconter les faits tels qu’ils se sont déroulés réellement. Sa conclusion se résume souvent à une phrase assez brève. En voici un extrait :
XVII. Eole
On raconte qu’Eole était un homme capable de maîtriser les vents, et qu’il les confia à Ulysse, enfermés dans une outre. Que cela soit impossible, je crois que personne n’en doute.
Il est vraisemblable qu’Eole fût un astronome et qu’il prédît à Ulysse le temps et les directions dans lesquelles les vents souffleraient.
On dit aussi que les murs d’airain entouraient sa ville – ce qui est faux. En fait des hoplites protégeaient sa cité.
XVIII. Les Hespérides
On dit que les Hespérides étaient des femmes, qu’elles possédaient des pommes d’or, sur un arbre gardé par un dragon ; que ses fruits furent le motif d’une expédition d’Héraclès. La vérité est celle-ci.
Originaire de Milet, Hespéros habitait en Carie, il avait deux filles qu’on appelait les Hespérides. Il possédait de belles brebis, bonnes productrices de lait, d’une espèce qui existe encore de nos jours à Milet. C’est pourquoi on les qualifiait d’or. L’or est en effet très beau, et elles également étaient très belles. Les brebis étaient appelées « mela » (ce mot grec signifie à la fois brebis et pomme). Ayant aperçu les animaux qui paissaient le long de la mer, Héraclès les regroupa et les fit monter sur son navire ; il tua leur berger qui se nommait Dragon ; puis, il les conduisit chez lui. C’était à une époque où Hespéros était mort, mais pas ses filles. Les gens disaient alors : « Nous avons vu les pommes [brebis] d’or qu’Héraclès a dérobées aux Hespérides, après avoir tué leur gardien, Dragon.»
D’où le mythe.
Au début de l’ère chrétienne, l’évhérisme, courant de la pensée critique postulant que les personnages mythologiques étaient des êtres humains réels, divinisés dans les récits mythologiques par admiration ou par crainte, a été employé comme arme de combat contre le polythéisme. Au Moyen Age, ces théories servirent à la préservation des mythes païens car ils défendaient leur portée métaphorique tout en leur refusant toute dimension surnaturelle. Ce fut la méthode de lecture appliquée à la poésie d’Ovide ou de Virgile, censée révéler le sens métaphorique de ces textes, confirmant la valeur des préceptes chrétiens.
Pour en savoir plus :
« Les présocratiques » de Jean Brun, Paris, Que sais-je, 2019 ;
« Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante » de Paul Veyne
et un article de Suzanne Saïd sur un ouvrage qui répond à P. Veyne, et notamment :
« Rationalising Myth in Antiquity », de Greta Hawes, Oxford, Oxford University Press, 2014.
Bonne lecture !
Dès le VIe siècle avant J.-C., émergent en Grèce, sur le terreau mythologique, des tentatives d’explication de l’univers essayant d’éliminer l’intervention du « surnaturel » dans l’énigme posée par l’existence du monde. C’est le début des disciplines scientifiques et philosophiques qui étaient intrinsèquement liées, puisque les premiers philosophes se nommaient « physiciens », c’est-à-dire scrutateurs de la nature (phusis en grec).
Les présocratiques forment une étape importante de la pensée grecque par le caractère moderne de leurs intuitions scientifiques. Les sciences et la philosophie de cette période se sont avant tout développées en Asie Mineure, appelée Ionie (Ephèse et Milet) et en Grande Grèce (Sicile et Italie du Sud). Parmi les philosophes, Anaximène (env. 585 – 525 av. J.-C.) ou Thalès de Milet (env. 625 – 545 av. J.-C.) s’efforcent de rendre compte des phénomènes physiques d’une manière entièrement rationnelle. Ce dernier est même considéré comme l’un des pères de la science grecque.
La critique des mythes relève d’une longue tradition chez les Grecs. L’historien et géographe Hécatée de Milet (550 av J.-C. – 480 av. J.-C.) qui, par ailleurs, épaulé par Anaximandre, a cartographié le monde vu par les Grecs, se moquait des choses ridicules composant les traditions des Hellènes. Il rédige également des « Généalogies » des divinités et héros grecs. Son œuvre, dont il ne fut guère satisfait, constituait néanmoins le premier essai de critique historique et la première tentative pour émanciper l’histoire des mythes et de la poésie. En réalité, il finit par historiciser les mythes, soit par les réécrire en proposant à ses lecteurs une version plus plausible de ces récits.
Un autre géographe et voyageur, Pausanias dit le Périégète, vivant au IIe siècle après J.-C., à l’issue de quelques périples, s’installa à Rome et y rédigea une « Description de la Grèce » ou « Périégèse » en dix livres, dans l’esprit d’un guide de voyage. En composant cette œuvre, Pausanias tente de tirer le bon grain de l’ivraie en extrayant le noyau authentique des légendes grecques, comme de celle de Thésée. Il procède très simplement en appliquant la doctrine des choses actuelles. Le passé étant semblable au présent, il en déduit que le merveilleux n’existe pas. Puisqu’on ne rencontre pas d’hommes avec la tête d’un taureau de nos jours, constate-t-il, et que les rois exercent leur pouvoir dans de nombreux pays, il en tire la conclusion que le Minotaure n’a jamais existé, mais que Thésée fut certainement un roi.
Ce raisonnement a marqué un tournant critique dans l’attitude des Grecs vis-à-vis du mythe en débouchant sur une nouvelle problématique : la tradition mythique conserve et transmet un noyau authentique qui s’est entouré de légendes. Seules ces légendes seront soumises à une relecture critique, mais le noyau restera intacte.
L’unique ouvrage qui nous soit parvenu de l’écrivain grec Paléphatos ou Palaephatus (IVe ou IIIe siècle av. J.-C.), intitulé « Les Histoires incroyables » (lat. « De incredibilius historiis »), correspondrait le plus à la description de l'oeuvre que vous recherchez. Inscrites dans cette tradition critique rationnelle, regroupées dans cinq livres, elles contiennent 52 textes assez courts, allant de quelques lignes seulement à quelques paragraphes. L’auteur y présente brièvement le mythe, auquel selon lui, il est plutôt absurde de croire, pour exposer ensuite son point de vue et proposer son interprétation, raconter les faits tels qu’ils se sont déroulés réellement. Sa conclusion se résume souvent à une phrase assez brève. En voici un extrait :
XVII. Eole
On raconte qu’Eole était un homme capable de maîtriser les vents, et qu’il les confia à Ulysse, enfermés dans une outre. Que cela soit impossible, je crois que personne n’en doute.
Il est vraisemblable qu’Eole fût un astronome et qu’il prédît à Ulysse le temps et les directions dans lesquelles les vents souffleraient.
On dit aussi que les murs d’airain entouraient sa ville – ce qui est faux. En fait des hoplites protégeaient sa cité.
XVIII. Les Hespérides
On dit que les Hespérides étaient des femmes, qu’elles possédaient des pommes d’or, sur un arbre gardé par un dragon ; que ses fruits furent le motif d’une expédition d’Héraclès. La vérité est celle-ci.
Originaire de Milet, Hespéros habitait en Carie, il avait deux filles qu’on appelait les Hespérides. Il possédait de belles brebis, bonnes productrices de lait, d’une espèce qui existe encore de nos jours à Milet. C’est pourquoi on les qualifiait d’or. L’or est en effet très beau, et elles également étaient très belles. Les brebis étaient appelées « mela » (ce mot grec signifie à la fois brebis et pomme). Ayant aperçu les animaux qui paissaient le long de la mer, Héraclès les regroupa et les fit monter sur son navire ; il tua leur berger qui se nommait Dragon ; puis, il les conduisit chez lui. C’était à une époque où Hespéros était mort, mais pas ses filles. Les gens disaient alors : « Nous avons vu les pommes [brebis] d’or qu’Héraclès a dérobées aux Hespérides, après avoir tué leur gardien, Dragon.»
D’où le mythe.
Au début de l’ère chrétienne, l’évhérisme, courant de la pensée critique postulant que les personnages mythologiques étaient des êtres humains réels, divinisés dans les récits mythologiques par admiration ou par crainte, a été employé comme arme de combat contre le polythéisme. Au Moyen Age, ces théories servirent à la préservation des mythes païens car ils défendaient leur portée métaphorique tout en leur refusant toute dimension surnaturelle. Ce fut la méthode de lecture appliquée à la poésie d’Ovide ou de Virgile, censée révéler le sens métaphorique de ces textes, confirmant la valeur des préceptes chrétiens.
Pour en savoir plus :
« Les présocratiques » de Jean Brun, Paris, Que sais-je, 2019 ;
« Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante » de Paul Veyne
et un article de Suzanne Saïd sur un ouvrage qui répond à P. Veyne, et notamment :
« Rationalising Myth in Antiquity », de Greta Hawes, Oxford, Oxford University Press, 2014.
Bonne lecture !
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