Question d'origine :
Bonjour ! Je me posais quelques question par par rapport à l'univers Drag. C'est un art qui est populaire aux Etats-Unis mais j'ai l'impression qu'en France on en parle moins. Alors je me demandais, quelles en sont les origines en France et quelles sont les différences, si elles existent, entre les deux cultures ? Et quelles sont les Drag Queens historique/iconique en France ? Merci ! Bonne Journée
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 29/05/2021 à 15h05
Bonjour,
La notion de Drag Queen, telle que nous la connaissons aujourd’hui au travers de leur nouvelle popularité, tout particulièrement depuis la sortie sur Netflix de la série RuPaul’s Drag Race, recouvre des réalités multiples ancrées elles-mêmes dans des histoires diverses. L’histoire ou, selon le mot que vous employez, les origines du drag queen en France peuvent se trouver à différents moments de l’histoire et être affiliées à différents termes ou courants culturels et/ou militants (« folles », « tantes » « travestis », « camp », « troisième sexe », « queer », « ball room »). Il est donc difficile de répondre brièvement et exhaustivement à votre question.
Si l’on s’en tient à la forme connue aujourd’hui, on peut parler d’un début dans les années 80 aux Etats Unis pour une arrivée dans les années 90 en France. Or, il s’avère que ce mouvement a vu ses prémices dans les années 60/70 aux Etats Unis comme en France, et s’il a connu une sorte d’endormissement en France dans les années 2000, il semble connaitre une véritable renaissance aujourd’hui porté par la mouvance queer et LGBTQ+. Mais si l’on ouvre la focale et que l’on rattachel’histoire des drag queens à celle plus large du travestissement, lié à celle de l’homosexualité et des transgressions de genre , les origines peuvent remonter à des temps plus reculés dans l’histoire, ou au moins si l’on s’en tient au XXe siècle, aux années 20 ou 30.
Voici ce que nous dit le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes de Didier Eribon : « Si elles s’inspirent dans la longue histoire du travestissement, elles doivent être distinguées des travestis (qui évoluent dans la dimension du fantasme quand les drag queens s’inscrivent d’abord dans le fantasque) et des transsexuel-le-s (engagé-ée-s dans une transformation plus existentielle). D’abord ancrées dans la culture underground new-yorkaise, les drag queens deviennent de plus en plus visibles au cours des années 80, notamment grâce à la fondation dans l’East Village, en 1984, du festival Wigstock, le Woodstock des drag queens (« wig » signifiant « perruque »), où les plus fameuses défilent… Dix ans plus tard, en 1994, les drag queens deviennent un véritable phénomène médiatique dans de nombreux pays occidentaux, bien au-delà de la culture gay, grâce notamment à Priscilla, folle du désert, film australien de Stephen Elliot… En France, précédées par les Gazolines et autres folles radicales des années 1970, qui pourraient être considérées comme leurs grandes sœurs, les drag queens ont envahi les clubs puis les médias au milieu des années 1990 … Enfin dans un registre militant il convient de citer les Sœurs de la perpétuelle indulgence.... Parodiques et festives, les drag queens n’en sont pas moins dans une certaine mesure politiques, et participent, ainsi, à leur manière, au mouvement queer.»
Nous vous conseillons la lecture de l’ouvrageFolles de France, repenser l’homosexualité masculine . En effet, le travestissement en France est rattaché à la figure de la « folle ». Cet ouvrage tente d’en refaire l’histoire. Il parle de la tradition du « high camp » dans les années 20 et 30 (avec le style « dandy » et « garçonne »), du milieu des « zazous » pendant la guerre, qui se produisaient dans le Quartier Latin (dans les boites Le Dupont Latin ou la Capoulade, et notamment autour de personnalités comme Jean Marais). Il cite les clubs de l’après-guerre à Saint-Germain-des-Près (le Club, le Tabou) et les personnes comme Jean Cocteau, Charles Trenet ou Jacques Chazot (avec le personnage de la Marie-Chantal) et plus tard Jean Philippe Maran (nom de scène Charlène Duval). Cependant, les années 50 et 60 étaient encore marquées par des conventions de genre très strictes et le monde de la « follitude » étaient exclus ou en marge, et vus comme donnant une mauvaise image au sein de certains milieux homosexuels.
Ce sont réellement les années 70, qui changent et permettent aux « folles » ou « travestis » de sortir des clubs privés pour envahir la rue et l’espace public. Les événements de mai 68 qui vont bouleverser les normes hétérosexuelles, ainsi que la création du FHAR en 1971, vont aboutir à des formes plus politiques, dont le groupe emblématique est les Gazolines. Cependant, quelques lieux dans le courant des années 60 ont préfiguré ce changement, en délaissant le quartier Saint Germain (le club plus connu étant le Fiacre, puis le Club 65, le Prélude, le Nuage) pour le quartier de l’Opéra (le Pimm’s, le César, Le Sept, puis le Colony en 1973, et le Bronx), et avec des figures comme Claude Vega (qui a débuté au Liberty’s et apparait à la télévision dans la seconde moitié des années 60). Mais on peut citer aussi Marie France ou Maud Molyneux.
L’Encyclopédie critique du genre. Corps, sexual-ité, rapports sociaux dans son articleDrag et performance de Luca Greco, Stéphanie Kunert, cite : « Les performances de groupes théâtraux comme les Cockettes ou les Split Britches, aux États Unis dans les années 1970 et 1980, ou les Mirabelles et les Gazolines, en France à la même époque. » Ici on est dans le registre de la performance où le corps devient un espace de création artistique et de contestation sociale.
L’une des icônes des années 80 estJenny Bel’Air qui se produisait au Palace, elle évoque les grandes transformistes de l’époque : « J’observais au bar les grandes dames du Carroussel, de Elle et Lui, comme Lola Chanel, les Minouche, les Bambi, Zaza Dior » Le cabaret du Carroussel produira Coccinelle mais aussi Bambi, la troupe de Madame Arthur, ou encore Galia Salimo qui se produisit dans de nombreux clubs dont l’Alcazar, le Queen.
Dans les années 90, on peut citer les Sister Queen avec notamment Tonya et Yazz. Dans les années 2010, ce sont les Paillettes, Enza Fragola, ou la Drag King Louise de Ville.
Dans cette article, vous trouverez unemultitude de noms incontournables de la scène parisienne actuelle et de ces dernières années : Faut-il écumer la nouvelle scène drag-queen parisienne ?
Aujourd’hui, fort de cette histoire, le monde des Drag Queens en France se situe en grande partie sous l’influence des drag queens américaines, et reprend leurs styles de danse, de déguisement et de maquillage. Mais là encore l'univers actuel de la performance et du drag est multiple et, aussi venu des Etats Unis, on voit apparaitre depuis quelques années le voguing, qui est une des danses issues de la ball culture (ballroom), dont on peut aussi citer le waacking. Cette forme de drag issue des milieux afro-américains, est apparue en parallèle des mouvements de lutte pour les droits civiques dans les années 60. Elle est elle-même une émanation de la culture des bals homosexuels aux Etats-Unis, mais s’est construite contre la culture blanche hégémonique dans les milieux gays.
Voir : Il y a trente ans explosait le voguing et De New York à Paris : plongée dans l'univers du voguing
En effet, «La culture du drag se développe aussi au sein d’une tradition qui est celle des bals : les gays, les lesbiennes et les travestis blanc-he-s avaient la possibilité de se rencontrer dans des endroits sûrs et d’explorer diverses formes de subversion des normes de genre, par et dans les pratiques de danse et de travestissement ». (source : Drag et performance). Le premier bal aura lieu à Harlem en 1869, puis ils se multiplièrent dans les années 20 et 30, mais c’est en 1962 que le premier bal noir a lieu et dans les années 80 pour que les drags noires et latinas puissent s’approprier certains espaces à New York, grâce à leur communauté d’entraide appelées les houses.
Ce monde des bals entre personnes de même sexe a aussi existé en Europe depuis le XIX siècle au moins. Mais ils deviennent publics à la fin du XIXe siècle, avec notamment le bal de l’Opéra, ou lors des soirées du Mardi gras en 1880 au bal Bullier, puis vers 1910 au bal Wagran, et après 14-18 au bal musette de la montagne Sainte Geneviève et au dancing du Magic City inauguré en 1921. Après la deuxième guerre, ça sera au Bal de la Chevrière dans les Yvelines, puis au Rocambole dans les années 70 et ainsi de suite jusqu’au gay tea dance oriental « Black -Blanc-Beur » lancé en 1997 au Divan du Monde puis aux Folies-Pigalle, qui s’ouvre comme le ballroom américain aux personnes homosexuelles racisées. ( source : Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, p. 55-56)
Ainsi, il existe des différences entre les cultures drag queen américaines et françaises, liées à leurs contextes historiques (interdiction en France sous le régime de Vichy par exemple), sociaux, politiques (ségrégation aux USA) et culturels (cinéma, théâtre, littérature…), il est assez évident que nombres de caractéristiques du mouvement drag queen ont été importées des États-Unis en France.
Pour aller plus loin :
Travestissements : performances culturelles du genre / sous la direction de Anne Castaing et Fanny Lignon
Sur l'actualité, vous pouvez regarder cette rencontre Drag, voguing : les cultures queer sont-elles menacées par leur popularité ?, organisée par Le Monde Festival avec Habibitch, danseuse queer et militante antiraciste, Clémence Tru, drag-queen, Thomas Occhio, drag king, et Pierre Brasseur, sociologue et auteur d’une recherche sur les drag queens parisiennes.
Le corps qui reste : travestir, danser, résister ! / Cyril Iasci (avec un bref aperçu historique p. 37 à 43)
Les travestis/ Jacques-Louis Depal
Strike a pose: histoire(s) du voguing : de 1930 à aujourd'hui, de New York à Paris / Tiphaine Bressin, Jérémy Patinier
Drag Queens, la folle histoire illustrée des vraies queens/ Doonan Simon
Voguing and the house ballroom : scene of New-york 1989-92 / photographs by Chantal Regnault
Un mouvement gai dans la lutte contre le sida : les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence / Daniel Welzer-Lang, Jean-Yves Le Talec, Sylvie Tomolillo
The drag queen anthology : the absolutely fabulous but flawlessly customary world of female impersonators / Steven P Schacht ; Lisa Underwood
La loi du genre : une histoire culturelle du "troisième sexe" / Laure Murat
une autre réponse du guichet Gay Queer paillettes
La notion de Drag Queen, telle que nous la connaissons aujourd’hui au travers de leur nouvelle popularité, tout particulièrement depuis la sortie sur Netflix de la série RuPaul’s Drag Race, recouvre des réalités multiples ancrées elles-mêmes dans des histoires diverses. L’histoire ou, selon le mot que vous employez, les origines du drag queen en France peuvent se trouver à différents moments de l’histoire et être affiliées à différents termes ou courants culturels et/ou militants (« folles », « tantes » « travestis », « camp », « troisième sexe », « queer », « ball room »). Il est donc difficile de répondre brièvement et exhaustivement à votre question.
Si l’on s’en tient à la forme connue aujourd’hui, on peut parler d’un début dans les années 80 aux Etats Unis pour une arrivée dans les années 90 en France. Or, il s’avère que ce mouvement a vu ses prémices dans les années 60/70 aux Etats Unis comme en France, et s’il a connu une sorte d’endormissement en France dans les années 2000, il semble connaitre une véritable renaissance aujourd’hui porté par la mouvance queer et LGBTQ+. Mais si l’on ouvre la focale et que l’on rattache
Voici ce que nous dit le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes de Didier Eribon : « Si elles s’inspirent dans la longue histoire du travestissement, elles doivent être distinguées des travestis (qui évoluent dans la dimension du fantasme quand les drag queens s’inscrivent d’abord dans le fantasque) et des transsexuel-le-s (engagé-ée-s dans une transformation plus existentielle). D’abord ancrées dans la culture underground new-yorkaise, les drag queens deviennent de plus en plus visibles au cours des années 80, notamment grâce à la fondation dans l’East Village, en 1984, du festival Wigstock, le Woodstock des drag queens (« wig » signifiant « perruque »), où les plus fameuses défilent… Dix ans plus tard, en 1994, les drag queens deviennent un véritable phénomène médiatique dans de nombreux pays occidentaux, bien au-delà de la culture gay, grâce notamment à Priscilla, folle du désert, film australien de Stephen Elliot…
Nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage
Ce sont réellement les années 70, qui changent et permettent aux « folles » ou « travestis » de sortir des clubs privés pour envahir la rue et l’espace public. Les événements de mai 68 qui vont bouleverser les normes hétérosexuelles, ainsi que la création du FHAR en 1971, vont aboutir à des formes plus politiques, dont le groupe emblématique est les Gazolines. Cependant, quelques lieux dans le courant des années 60 ont préfiguré ce changement, en délaissant le quartier Saint Germain (le club plus connu étant le Fiacre, puis le Club 65, le Prélude, le Nuage) pour le quartier de l’Opéra (le Pimm’s, le César, Le Sept, puis le Colony en 1973, et le Bronx), et avec des figures comme Claude Vega (qui a débuté au Liberty’s et apparait à la télévision dans la seconde moitié des années 60). Mais on peut citer aussi Marie France ou Maud Molyneux.
L’Encyclopédie critique du genre. Corps, sexual-ité, rapports sociaux dans son article
L’une des icônes des années 80 est
Dans les années 90, on peut citer les Sister Queen avec notamment Tonya et Yazz. Dans les années 2010, ce sont les Paillettes, Enza Fragola, ou la Drag King Louise de Ville.
Dans cette article, vous trouverez une
Aujourd’hui, fort de cette histoire, le monde des Drag Queens en France se situe en grande partie sous l’influence des drag queens américaines, et reprend leurs styles de danse, de déguisement et de maquillage. Mais là encore
En effet, «
Ce
Ainsi, il existe des différences entre les cultures drag queen américaines et françaises, liées à leurs contextes historiques (interdiction en France sous le régime de Vichy par exemple), sociaux, politiques (ségrégation aux USA) et culturels (cinéma, théâtre, littérature…), il est assez évident que nombres de caractéristiques du mouvement drag queen ont été importées des États-Unis en France.
Travestissements : performances culturelles du genre / sous la direction de Anne Castaing et Fanny Lignon
Sur l'actualité, vous pouvez regarder cette rencontre Drag, voguing : les cultures queer sont-elles menacées par leur popularité ?, organisée par Le Monde Festival avec Habibitch, danseuse queer et militante antiraciste, Clémence Tru, drag-queen, Thomas Occhio, drag king, et Pierre Brasseur, sociologue et auteur d’une recherche sur les drag queens parisiennes.
Le corps qui reste : travestir, danser, résister ! / Cyril Iasci (avec un bref aperçu historique p. 37 à 43)
Les travestis/ Jacques-Louis Depal
Strike a pose: histoire(s) du voguing : de 1930 à aujourd'hui, de New York à Paris / Tiphaine Bressin, Jérémy Patinier
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Voguing and the house ballroom : scene of New-york 1989-92 / photographs by Chantal Regnault
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