Question d'origine :
Bonjour, Je suis riverain du 19ème arrondissement de Paris, mon logement donne directement sur le parc Eole qui concentre depuis plusieurs années une bonne partie de l'activité lié au trafic et à la consommation de crack dans le nord est parisien. Depuis début Mai 2021 ce parc est officiellement un endroit de regroupement des toxicomanes, une partie du parc leur étant réservée jusqu'à 1 heure du matin. Je souhaiterais savoir si des scènes de consommation à ciel ouvert de crack comme celle ci ont déjà été traitées par le passé en France et dans le monde et si les résultats des différentes approches ont été documentés. Est ce qu'on a déjà pu parler d'une réelle "victoire" des pouvoirs publics contre le crack ? L'exemple de la ville de New York dans les années 80/90 tenu d'une main de fer par Rudy Giuliani qui aurait accompli cette tâche semble s'être fait au prix de la déportation pure et simple de la population toxicomane, j'ai du mal à parler de victoire dans ces conditions...
Réponse du Guichet
L'article du Monde Regrouper les usagers de crack dans les jardins d’Eole à Paris revient à les « repousser dans les interstices de la ville » daté du 29/5/2021, décrit bien la situation du parc Eole dont vous êtes riverain et les raisons de l'arrivée de cette scène de drogue ouverte.
IL donne également quelques éléments de comparaison quant à la gestion par d'autres villes ou pays de situation de ce type.
Cet article cite entre autre le tristement célèbre exemple européen de lutte contre le crack : « Platzspitz » de Zürich ainsi qu'une étude suisse sur les scènes de drogue ouvertes en Suisse.
Un autre article du Monde Crack à Paris : « Il faut s’inspirer des expériences passées, pas des perpétuelles idéologies répressives » du 26/5/21 renvoie aussi à un rapport de l'INSERM sur l'évaluation des salles de consommation dont les résultats ont été comparé à des expériences étrangères.
Comme vous l'indiquez également, le traitement sécuritaire d'une telle problématique n'est pas une solution (voir les exemples suisses, canadiens, new-yorkais cités dans cet article Les villes face à l’usage de drogues dans l’espace public : quels modèles hors de nos frontières ? du média The Conversation). : "L’évacuation des lieux de consommation par la police, menée dans le cadre d’une réponse exclusivement répressive, est inefficace car elle ne fait le plus souvent que déplacer le phénomène. Sans le régler, ni pour les usagers, ni pour les riverains, dont le quotidien est difficile et le point de vue sur ces questions ambivalent. Ils oscillent le plus souvent entre une volonté de prise en charge (« il est important que les drogués puissent se soigner ») et de relégation de cette population (« je suis favorable à la prise en charge mais pas en bas de chez moi »), voire parfois de sanction (« il serait plus utile des les enfermer pour les protéger de la drogue »)."
C'est donc par pragmatisme et souci de santé publique que plusieurs villes, comme Paris, ont décidé d'ouvrir des salles de consommation.
Un plan de mobilisation de 33 actions concrètes sur la problématique du crack à Paris, dont les salles d'injection, avait déjà été adopté le lundi 27 mai 2019, et de l'aveu des experts, les résultats seraient mitigés. Une controverse existe en effet sur ce dispositif (cf.article dans The Conversation).
"Au niveau international, les salles de consommation à moindre risque ont fait la preuve de leur intérêt en santé publique. Leur évaluation a montré une diminution des overdoses et du partage de seringues entre usagers. Autres points positifs : une baisse des injections dans l’espace public et une amélioration de l’accès aux soins, incluant une augmentation des sevrages.
Malgré cela, les oppositions politiques à ce type de solution persistent. Elles sont révélatrices de l’ambivalence de la société vis-à-vis de l’usage de drogues dans un contexte prohibitionniste. Ces oppositions montrent également la difficulté à apporter des réponses à des questions complexes : comment faire cohabiter différents groupes sociaux en ville, comment concilier une approche à la fois sanitaire et de tranquillité publique ? "
La version renouvelée du plan parisien de lutte contre le crack devrait quant à elle voir le jour d'ici la fin de l'année 2021.
Pour aller plus loin, voici quelques références d'articles et ouvrages :
Addictions: quelle politique publique après deux mois de confinement?, Jean-Baptiste Rideau, 2021, Les papiers de recherche de l'ENA.
Arguments sanitaires, actions autoritaires : le cas de la contestation d’une politique municipale « néo-hygiéniste » dans la ville de Rio de Janeiro, Paula Brum Schaeppi, Lien social et Politiques , Issue 78, 2017, p. 234–253.
Errance urbaine, scènes de consommation de drogues et réduction des risques : les défis pour la ville et les politiques publiques aujourd’hui, Betty Azocar, Revue Mouvements 216/2, n°86..
L'impossible prohibition : drogues et toxicomanie en France, 1945-2017 / Alexandre Marchant, Perrin, 2018.
En quête de respect : le crack à New York / Philippe Bourgois, ed. du Seuil, 2013. et du même auteur pour l'ouvrage Villes et Toxicomanie, Le crack et l'économie politique de la souffrance sociale, p.85 à 93.
Drogues, sortir de l'impasse : expérimenter des alternatives à la prohibition /Anne Coppel, Olivier Doubre, Ed. de la Découverte, 2012 /