Question d'origine :
Bonjour à tous,
⚊ « en 1193 le second fils de Gui II, Renaud de Forez, est nommé archevêque de Lyon.
Celui-ci est le type du prélat guerrier et bâtisseur, allié et soutenu par le comte de Forez Gui III son frère aîné.
►Il fait creuser les "fossés de la Lanterne" barrant la presqu’île au niveau des Terreaux.
►Il partage le comté en manses : chacune sera administrée par un chanoine du chapitre de la cathédrale St Jean. Ces chanoines qui prennent le titre de "chanoines-comtes de Lyon" et créent une justice capitulaire, faisant double emploi avec la justice épiscopale »…
Question : Par ce texte nous apprenons que Lyon a été divisé en manses. A-t-on une idée du nombre de manses, et quelles sont-elles ? (ont-elles un nom ou une dénomination particulière) ?
Question subsidiaire : Sait-on quels chanoines (leurs noms) possédaient quelles manses ?
Merci.
Nafnaf (de Bretagne)
Demande personnelle : Je suis Lyonnais, je suis né a Lyon et y ai vécu jusqu’en 2013. A cette date pour des raisons personnelles j’ai dû déménager et m’installer en Bretagne dans les Côtes d’Armor.
Je pense pouvoir dire que j’ai une bibliothèque plutôt bien fournie en ouvrages sur Lyon.
Mais toutefois insuffisante pour pouvoir pousser mes recherches un peu plus loin dans ce domaine qui m’a toujours passionné.
Evidemment il y a internet, mais comme vous le savez on y trouve, passez-moi l’expression, ‘’à boire et à manger’’, de plus, il a aussi ses limites.
Je ne peux plus aller à la bibliothèque municipale de Lyon.
Pour toutes ces raisons, votre site est important pour moi, c’est une fenêtre ouverte à toutes les questions que je me pose sur ce sujet. Et je vous remercie de vos réponses.
⚊Il me serait agréable d’entrer en contact avec une personne avec qui je pourrais correspondre et échanger sur ce Mirlingues du moyen-âge.
Pour autant, si je puis me permettre, et sans le moins du monde faire montre d’exigence, il convient qu’il ait un certain niveau.
Pouvez-vous relayer cet appel.
Merci.
Nafnaf (de Bretagne)
Réponse du Guichet
bml_reg
- Département : Documentation régionale
Le 22/08/2020 à 10h40
Il convient dans un premier temps de distinguer « manse » et « mense », le manse étant une fraction de domaine correspondant à une unité de culture (voir la définition dans l’encyclopédie Universalis), tandis que la définition de la mense proposée par le Larousse est la suivante : « À l'époque carolingienne, portion des biens fonciers d'un évêché ou d'un monastère affectée soit à l'usage de l'évêque ou de l'abbé, soit à l'usage des chanoines ou des moines »
Vous pouvez lire sur Persée l'article de Bruno Galland, Le rôle politique d'un chapitre cathédral : l'exercice de la juridiction séculière à Lyon, XIIe-XIVe siècles (In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 75, n°195, 1989. pp. 273-296). L'auteur y distingue la mense épiscopale (attribuée à l’archevêque) et la mense capitulaire (attribuée au chapitre). La mense capitulaire est divisée en obéances réparties entre les chanoines selon un système assez complexe. L'obéance est une spécificité des chapitres lyonnais (et pas seulement du chapitre cathédral). Voici quelques extraits de l'article de Bruno Galland :
p. 281-282 La gestion du patrimoine ecclésiastique :
A l'époque de Renaud de Forez : « (...) c’est néanmoins sous ces épiscopats que se fixèrent les modalités de gestion du patrimoine de l’Eglise de Lyon. Celles-ci ont été suffisamment décrites pour qu’il ne soit pas nécessaire de s’y attarder. Comme partout, les droits de l’Eglise furent répartis entre une mense épiscopale et une mense capitulaire. A l’intérieur de cette dernière, les revenus et les droits possédés sur une même paroisse ou un ensemble de paroisses voisines étaient regroupés et formaient une « obéance », véritable petite seigneurie. Mais, au lieu d’attribuer à chaque chanoine l’intégralité d’une ou de plusieurs obéances, ces dernières étaient divisées entre deux ou trois chanoines ; et chaque chanoine possédait des droits dans différentes obéances ; ces droits formaient sa « terre », dont la composition n’était pas définitive : en effet, à chaque fois que mourait un chanoine, sa « terre » n’était pas transmise comme telle à un autre, mais était répartie entre ses pairs. Le découpage était donc constamment remodelé. (25)
Ce système original fut organisé par étape. Il existait des «obéances » dès l’épiscopat de Jean Bellesmains, mais il faut attendre Renaud de Forez pour trouver de véritables « divisions de terres » entre les chanoines (26). La séparation des menses capitulaire et archiépiscopale n’intervint donc sans doute que sous son pontificat. (27). Dès lors, on peut considérer que le système définitif fut fixé dans les premières années du XIIIe siècle.
(…) Après la reconnaissance des droits du chapitre sur le comté par les traités de 1167 à 1173, la séparation des menses et la gestion de la mense capitulaire sous la forme d’obéances affirmaient un peu plus encore le poids des chanoines dans le gouvernement de l’église.
(25) Ce système a été maintes fois décrit, notamment par l’exposé bref et rigoureux d’Henri Hours, Archives départementales du Rhône. Répertoire numérique des sous-séries 1G-10G, Lyon, 1959, p. 246. Voir aussi Marcel David, Le patrimoine foncier de l’Eglise de Lyon de 984 à 1267, contribution à l’étude de la féodalité dans le Lyonnais, Lyon, 1942 (…)
(26) On trouve en 1187 une répartition des biens entre les chanoines, où le terme d’obéance figure à plusieurs reprises (…) Arch. Dép. Rhône 10 G 416 ; éd. M.C. Guigue, Obituarium Lugdunensis ecclesie, Lyon, 1867, p. 180. On voit déjà l’exemple du partage des obéances entre plusieurs chanoines. En 1209, nouveau partage : Hec sunt dona ordinata per manum domini R., Lugdunensis archiepiscopi. Arch. Dép. Rhône 10 G 1087 : M.C. Guigue, ibid., p. 187. Ces deux partages paraissent avoir fixé la base des répartitions ; à partir de 1220, commence la série classique des « divisions de terres », qualifiées comme telles, qui sont suscitées par la mort d’un chanoine, et modifient donc la répartition initiale : Hec est divisio terrarim vacantium per mortem Gaudemari de Jareysio. Arch. Dép. Rhône 10 G 416 ; M.-C. Guigue, ibid, p. 195. Les divisions suivantes sont conservées aux Arch. Dép. Rhône, 10 G 1087. »
p. 283-284 La juridiction capitulaire
« Si la situation se révéla délicate dans les obéances, elle l’était d’avantage encore à Lyon. La ville était, en effet, le centre de la seigneurie épiscopale, le siège de la cour du sénéchal (…) Or la ville formait également une obéance capitulaire ; deux chanoines se la partageaient – et, en règle générale, le doyen du chapitre était l’un deux.
36) la répartition des obéances est connue par les partages de terres : Arch. Dép. Rhône, 10 G 1087 »
En revanche, l’article n’indique pas le nombre d’obéances ni leur nom.
Pascal Collomb, dans son article Les statuts du chapitre cathédral de Lyon (XIIe-XVe siècle) : première exploration et inventaire (In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1995, tome 153, livraison 1. pp. 5-52, texte intégral sur Persée), estime le nombre de chanoines du chapitre cathédral de Lyon entre 35 et 47 pour la période allant de 1187 à 1244. Cela ne nous donne pas le nombre d’obéances, chacune étant répartie entre plusieurs chanoines.
Dans Les campagnes de la région lyonnaise au XIVe et XVe siècles, Marie-Thérèse Lorcin s’intéresse à l’administration des seigneuries, notamment les seigneuries capitulaires. La période est plus tardive que celle qui vous intéresse, mais le fonctionnement doit être assez proche. Voici ce qu’on peut lire p. 120 : « l’obéance fait figure de petite seigneurie au sein d’une plus grande. C’est en effet un ensemble de biens et de droits attribué à un ou plusieurs chanoines, qui sont chargés d’exercer des droits au nom du chapitre et de percevoir les revenus y afférant. Rassemblant les revenus perçus dans plusieurs paroisses, l’obéance est désignée par le nom de la localité la plus importante, qui lui sert de chef-lieu, et qui contient les bâtiments d’habitation, les greniers et les divers locaux nécessaires à l’administration. Ce chef-lieu peut être en même temps le siège d’une châtellenie, laquelle se confond plus ou moins avec l’obéance. ». L’auteure montre ensuite la grande variabilité du contenu de l’obéance. Elle ne dresse pas de liste exhaustive mais cite certaines obéances du chapitre cathédral : Saint-Genis Laval, Condrieu, Rochefort, Anse, Saint-Symphorien-le-Château, Châteauneuf et Dargoirs (à la fois obéances et châtellenies) ; certaines hors du comté : Sorbiers, Nervieux, Bouligneux, Balan… ; les chapitres de Saint-Jean et Saint-Just ont tous deux une obéance à Soucieu-en-Jarez. Il serait trop long de reproduire ici la suite, où l’auteure s’intéresse au rôle des chanoines obéanciers.
Citons maintenant un ouvrage mentionné par Bruno Galland qui vous intéresserait fortement, mais n’est malheureusement pas accessible sous forme numérisée :
Marcel David, dans Le patrimoine foncier de l'Église de Lyon de 984 à 1267 : contribution à l'étude de la féodalité dans le Lyonnais (1942) s’intéresse aux politiques d’accroissement du patrimoine foncier. Le chapitre II p. 170 est consacré à l’obéance. Il serait trop long et ardu de vous le résumer ici. A la p. 193, il s’intéresse plus particulièrement à l’aspect géographique de l’obéance, en dressant une liste des divisiones terrarum, c’est-à-dire les divisions de terres mentionnées dans des actes (elles ont lieu par exemple lors de la mort d'un chanoine) :
« 1187 : Anse, Chazelles, COndrieux, Givors, Sainte-Foy, ROchetaillée, Sauniers, Pigneu, Monsec, Lent, Saint-Etienne-les-Bois, Mizérieux, Villamontois, Lentilly, Saint-Sorlin, Saint-Jean-Bonnefonds, Saint-Genis-Terrenoire, Novalèse, Cerdon, Nevro, « Bolle », « Bualon ».
1209 : 1.2 Sainte-Foy, ½ Sainte-Foy, Albigny, Vaugneray, Lentilly, Saint-André-la-Côte, Saint-Martin-de-Noals, Bullieu, Villa Montois, Largentière, Sorbier, Saint-Sorlin, 1.2 Suniers, ½ Charnay, ½ Pineu, Epipoy.
Illud de Nervieux, Bourg-Saint-Georges, Comellis
1220 ½ Passelonge, ½ Passelonge, Genay, Brindas, Meximieux, Villard, Largentière, Novalèse, Saint-Genis, Sorbiers, ½ Saint-Martin-la-Plaine.
1244 : Bouligneux, Reyrieux, Cerdon, Pouilly, ½ Chalens, ½ Balaun, 1/3 Mizérieux, ¼ Sainte-Foy (deux fois 1/8).
1255 : Vaugneray, Fleschanges, Saint-Paul-en-Jarez, Fleurieu, ¼ de Rochetaillée, ½ Passelonges, ½ Sainte-Foy, ½ Fontaines, ¼ Rive de Gier, ¼ Saint-ANdéol, 1/6 Reyrieux ? 1/8 Soucieux.
1255 : ½ Anse, ½ Saint-Cyr, ½ Vaugneray, ¼ Lentilly, Tassin, ½ COuzon, 1/8 de la Comté, ½ Saint-Genis-les-Ollières, ¼ Passelonges, 1/6 Balaun, ½ Saint-Martin-d’Annaux, ½ La Madeleine, 1/6 Feurs, ¼ Genay, Chalens.»
(…) « Nous avons pris jusqu’ici pour unité la localité. Or chacune d’elles se divise à son tour et se répartit entre de nombreux obéanciers. Lors de la division des terres, chaque chanoine ne se voit octroyer qu’une moitié, qu’un quart, un sixième, voir un huitième de village, et même parfois une fraction qui n’est désignée que par le terme vague « illud ».
Plus loin, p. 197, on peut lire « Le mot d’obéance désigne non seulement la totalité du lot confié au chanoine, mais aussi chacune des localités qui en fait partie. On parle couramment de l’obéance de tel endroit ; rien ne s’oppose à une telle appellation, puisque l’obéance, au sens large, n’est pas une circonscription territoriale mais un ensemble de droits fonciers. (…) »
La complexité du système et les changements fréquents de répartition expliquent sans doute pourquoi nous n’avons pas trouvé une liste claire des différentes obéances et des chanoines qui y sont rattachés. Il faudrait pour cela retourner aux sources, en explorant notamment les fonds conservés aux Archives départementales du Rhône et cités par Bruno Galland. A défaut, vous pourriez contacter les archives afin de savoir comment accéder au Répertoire numérique des sous-séries 1G-10G réalisé par Henri Hours, Lyon, 1959.
Vous pouvez aussi lire en ligne l’Obituarium Lugdunensis Ecclesiae. Nécrologie des personnages illustres et des bienfaiteurs de l'Église métropolitaine de Lyon du IXe au XVe siècle. Publié pour la première fois avec des notes et documents inédits par M.-C. Guigue, 1867.
Puisque vous êtes en Bretagne, vous pourriez également vous rapprocher de la bibliothèque universitaire de Rennes qui conserve un exemplaire de l’ouvrage de Marcel David Le patrimoine foncier de l'Église de Lyon de 984 à 1267.
N’hésitez pas à consulter le catalogue collectif de France pour localiser des documents susceptibles de vous intéresser.
Quant à votre recherche de correspondant d’un certain niveau pour échanger sur l’histoire lyonnaise, vous pourriez prendre contact avec la Société d’histoire de Lyon, qui devrait être à même de vous mettre en relation avec des personnes intéressées.
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