Question d'origine :
Bonjour,
nous aimerions savoir si les Dieux ont un nombril.
Merci beaucoup
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 11/09/2020 à 08h35
Le premier monument littéraire qui exalte le nombril féminin comme exemple de beauté est le Cantique des Cantiques. Salomon le compare à « une coupe arrondie où le vin parfumé ne manque jamais ». Au premier siècle de notre ère, les Juifs interprètent ce texte dans un sens allégorique. Il s’agit de l’amour de Dieu pour son peuple, Israël. Les théologiens chrétiens suivent cette voie. Pour eux, ce poème d’amour chante les noces mystiques du Christ et de l’Eglise.
Dans la théologie chrétienne, l’omphalisme est une théorie selon laquelle Dieu aurait créé les premiers humains, Adam et Eve, avec un nombril. Les théologiens juifs en revanche, qui débattaient sur cette question dès le Moyen Age, étaient d’avis que les parents de l’humanité, n’étant pas né de mère humaine, étaient dépourvus de nombril.
Le monothéisme n’était pas le seul à débattre sur le nombril divin. Différentes cultures et religions polythéistes ont abordé la question sous un angle symbolique à travers l’art, la littérature ou la mythologie. Dans l’Egypte ancienne, à l’époque tinite, c.a.d pendant le règne des trois premières dynasties égyptiennes (de 3185 à 2925 avant notre ère), on vénérait un dieu ayant la forme d’un ombilic.
Dans les représentations érotico-religieuses de la religion hindoue, le nombril joue un rôle essentiel comme élément d’attraction sexuelle. Sa fonction de centre du corps y est exaltée par la rondeur et la profondeur.
Le nombril féminin revêt une importance esthétique et sensuelle dans la sculpture indienne. Sur les bas-reliefs de Bihar, datant du XIe siècle, la vierge-mère bouddhiste appelée Tara, trônant sur une fleur de lotus, est dotée d’un nombril rond et profond qui met en exergue la beauté harmonieuse de son ventre.
Dans certaines représentations khmères, inspirées de l’art indien, tout en se démarquant par une audace iconographique notamment sur le site de Ba Kan au Cambodge, les archéologues ont découvert en 1957 des stèles datant de différentes époques. Sur l’une d’elles, on observe un personnage étendu sur un naga ou serpent mythique. Ses jambes sont soutenues par un personnage féminin, la déesse Lakshmi, et de son nombril s’élève une tige de lotus supportant un personnage. C’est le dieu Vishnou Anantasayin émettant Brahma.
La civilisation de la Grèce antique a prêté une attention particulière aux proportions du corps et aux canons de beauté. Le célèbre sculpteur grec Praxitèle tenait à ce que le nombril féminin fût situé exactement entre les seins et le sexe. D’innombrables statues helléniques d’Aphrodite reflètent cette préoccupation de la perfection des formes de la facette ombilicale de la déesse.
Le dieu de la médecine, Esculape, naît de l’ombilic de sa mère, Coronis, fille de Phlégias, roi des Lapithes. Le dieu Apollon, père d’Esculape, ouvre l’ombilic de son amante déjà sans vie pour que son fils voie le jour.
Mais pour les Grecs, c’était avant tout Omphale qui incarnait l’ombilic, Omphale dont le nom se traduit par « celle au beau nombril ». C’est à cette reine de Lydie qu’Hermès vendit Hercules lorsque les dieux le condamnèrent à un an d’esclavage. Omphale s’éprit d’Hercules et la mythologie raconte que leurs amours furent parmi les plus ardents que les dieux aient connus.
La souveraine se vêtit de la peau du lion de Némée, dépouille gagnée par le héros à l’issue du premier de ses travaux. Plus dure que le fer, la peau de cette bête monstrueuse était à la foi vêtement et armure. Ainsi parée, Omphale se plaisait à jouer avec la massue d’Hercules, fléau des bêtes sauvages et terreur des humains. Hercules, quant à lui, habillé en femme avec les plus somptueux vêtements de la reine, menait une vie efféminée et filait, maniant le fuseau et le rouet comme la plus habile des fileuses.
Omphale, déesse grecque de la volupté, est aussi la personnification du nombril. Omphalê, en, grec, est la forme féminine d’omphalos. Il se trouve à l’intérieur du temple de Delphes, c’est le nombril du monde, le centre de la terre où se rencontrent deux aigles envoyés par Zeus, l’un vers l’Orient, l’autre vers l’Occident. Le nombril est aussi un attribut asexué de la génération. Il est de nature androgyne et les deux sexes se fondent en lui pour retrouver au centre du corps leur unité platonique originelle. C'est par là qu’arrive la nourriture maternelle avant la naissance, cicatrice que conserve le corps humain comme marque de la dépendance prénatale. Carl Gustav Jung l’interprète comme une soumission au principe féminin.
Ces intuitions rappellent certains archétypes que nous retrouvons dans le Nihonshoki ou Chroniques du Japon.
Selon Simone Mauclaire, Le lien ombilical avec la femme-montagne est au centre de la fête du solstice de Shiromi dans la région de Mera. La montagne sacrée est représentée par un serpent, auquel le rite enlève le venin. La femme qui l’incarne est mère et épouse des sept divinités masculines de la chasse. Maîtresse des céréales et de la cuisine, elle constitue aussi une métamorphose de ses attributs d’androgyne : la spatule pour servir le riz est représentée dans l’une des danses comme son pénis. De sa dualité de déesse-mère est né le riz moulé en forme de nombril, consommé au terme de la communion avec les dieux. Il n’est peut-être pas inutile de signaler qu’une des versions du Nihonshoki veut que les cinq céréales naissent du nombril de Wakamusuhi, la déesse de la nourriture.
Toutes ces images relèvent du langage symbolique et métaphorique aussi bien des religions que du mythe. Elles sont le reflet d’observations et du questionnement sur l’humain et sa relation à la nature et au monde, une tentative de réponse qui serait compréhensible universellement.
Pour aller plus loin :
La mythologie grecque d’Anne Spicher, éd. Ellipses, 2019
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Jean-Claude Belfiore, éd. Larousse, 2003
Le Banquet de Platon, éd. Malherbes, 2018
Femme et mythe de Georges Devereux, éd. Flammarion, 1982
Nippon folklore : mythes et légendes du Soleil-Levant, éd. Ici Même, 2019
Le nombril, centre érotique de Gutierre Tibon, éd. Pierre Horay, 1979
Dans la théologie chrétienne, l’omphalisme est une théorie selon laquelle Dieu aurait créé les premiers humains, Adam et Eve, avec un nombril. Les théologiens juifs en revanche, qui débattaient sur cette question dès le Moyen Age, étaient d’avis que les parents de l’humanité, n’étant pas né de mère humaine, étaient dépourvus de nombril.
Le monothéisme n’était pas le seul à débattre sur le nombril divin. Différentes cultures et religions polythéistes ont abordé la question sous un angle symbolique à travers l’art, la littérature ou la mythologie. Dans l’Egypte ancienne, à l’époque tinite, c.a.d pendant le règne des trois premières dynasties égyptiennes (de 3185 à 2925 avant notre ère), on vénérait un dieu ayant la forme d’un ombilic.
Dans les représentations érotico-religieuses de la religion hindoue, le nombril joue un rôle essentiel comme élément d’attraction sexuelle. Sa fonction de centre du corps y est exaltée par la rondeur et la profondeur.
Le nombril féminin revêt une importance esthétique et sensuelle dans la sculpture indienne. Sur les bas-reliefs de Bihar, datant du XIe siècle, la vierge-mère bouddhiste appelée Tara, trônant sur une fleur de lotus, est dotée d’un nombril rond et profond qui met en exergue la beauté harmonieuse de son ventre.
Dans certaines représentations khmères, inspirées de l’art indien, tout en se démarquant par une audace iconographique notamment sur le site de Ba Kan au Cambodge, les archéologues ont découvert en 1957 des stèles datant de différentes époques. Sur l’une d’elles, on observe un personnage étendu sur un naga ou serpent mythique. Ses jambes sont soutenues par un personnage féminin, la déesse Lakshmi, et de son nombril s’élève une tige de lotus supportant un personnage. C’est le dieu Vishnou Anantasayin émettant Brahma.
La civilisation de la Grèce antique a prêté une attention particulière aux proportions du corps et aux canons de beauté. Le célèbre sculpteur grec Praxitèle tenait à ce que le nombril féminin fût situé exactement entre les seins et le sexe. D’innombrables statues helléniques d’Aphrodite reflètent cette préoccupation de la perfection des formes de la facette ombilicale de la déesse.
Le dieu de la médecine, Esculape, naît de l’ombilic de sa mère, Coronis, fille de Phlégias, roi des Lapithes. Le dieu Apollon, père d’Esculape, ouvre l’ombilic de son amante déjà sans vie pour que son fils voie le jour.
Mais pour les Grecs, c’était avant tout Omphale qui incarnait l’ombilic, Omphale dont le nom se traduit par « celle au beau nombril ». C’est à cette reine de Lydie qu’Hermès vendit Hercules lorsque les dieux le condamnèrent à un an d’esclavage. Omphale s’éprit d’Hercules et la mythologie raconte que leurs amours furent parmi les plus ardents que les dieux aient connus.
La souveraine se vêtit de la peau du lion de Némée, dépouille gagnée par le héros à l’issue du premier de ses travaux. Plus dure que le fer, la peau de cette bête monstrueuse était à la foi vêtement et armure. Ainsi parée, Omphale se plaisait à jouer avec la massue d’Hercules, fléau des bêtes sauvages et terreur des humains. Hercules, quant à lui, habillé en femme avec les plus somptueux vêtements de la reine, menait une vie efféminée et filait, maniant le fuseau et le rouet comme la plus habile des fileuses.
Omphale, déesse grecque de la volupté, est aussi la personnification du nombril. Omphalê, en, grec, est la forme féminine d’omphalos. Il se trouve à l’intérieur du temple de Delphes, c’est le nombril du monde, le centre de la terre où se rencontrent deux aigles envoyés par Zeus, l’un vers l’Orient, l’autre vers l’Occident. Le nombril est aussi un attribut asexué de la génération. Il est de nature androgyne et les deux sexes se fondent en lui pour retrouver au centre du corps leur unité platonique originelle. C'est par là qu’arrive la nourriture maternelle avant la naissance, cicatrice que conserve le corps humain comme marque de la dépendance prénatale. Carl Gustav Jung l’interprète comme une soumission au principe féminin.
Ces intuitions rappellent certains archétypes que nous retrouvons dans le Nihonshoki ou Chroniques du Japon.
Selon Simone Mauclaire, Le lien ombilical avec la femme-montagne est au centre de la fête du solstice de Shiromi dans la région de Mera. La montagne sacrée est représentée par un serpent, auquel le rite enlève le venin. La femme qui l’incarne est mère et épouse des sept divinités masculines de la chasse. Maîtresse des céréales et de la cuisine, elle constitue aussi une métamorphose de ses attributs d’androgyne : la spatule pour servir le riz est représentée dans l’une des danses comme son pénis. De sa dualité de déesse-mère est né le riz moulé en forme de nombril, consommé au terme de la communion avec les dieux. Il n’est peut-être pas inutile de signaler qu’une des versions du Nihonshoki veut que les cinq céréales naissent du nombril de Wakamusuhi, la déesse de la nourriture.
Toutes ces images relèvent du langage symbolique et métaphorique aussi bien des religions que du mythe. Elles sont le reflet d’observations et du questionnement sur l’humain et sa relation à la nature et au monde, une tentative de réponse qui serait compréhensible universellement.
Pour aller plus loin :
La mythologie grecque d’Anne Spicher, éd. Ellipses, 2019
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Jean-Claude Belfiore, éd. Larousse, 2003
Le Banquet de Platon, éd. Malherbes, 2018
Femme et mythe de Georges Devereux, éd. Flammarion, 1982
Nippon folklore : mythes et légendes du Soleil-Levant, éd. Ici Même, 2019
Le nombril, centre érotique de Gutierre Tibon, éd. Pierre Horay, 1979
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