Migrer de La Croix-Helléan (Morbihan) à Paris en 1903
CIVILISATION
+ DE 2 ANS
Le 07/10/2020 à 08h33
331 vues
Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerai savoir comment on pouvait migrer sur Paris en 1903 à partir du village de La Croix-Helléan qui se trouve dans le Morbihan près de Josselin.
Merci !
Cordialement,
Virginie
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 09/10/2020 à 13h45
Bonjour Virginie,
A la fin du XIXe siècle, les lignes du réseau ferroviaire connaissent un développement conséquent. En 1844, la première ligne reliant Paris à Rennes fut déclarée d’intérêt général. Par conséquent, d’importants travaux furent rapidement engagés par la Compagnie d’Orléans. Le 21 août 1851, le train parvint pour la première fois à Nantes et six ans plus tard, en 1857, la première locomotive arriva à Rennes. En 1864, on inaugure la gare ferroviaire de Pontivy, une quarantaine de kilomètres de La Croix-Helléan (787 habitants en 1901). En 1885, plusieurs lignes sont construites dans la direction de Loudéac et La Brohinière, afin de rattacher Carhaix au Bassin rennais. Ainsi, la Bretagne est reliée à la capitale française, au reste du territoire et bien au-delà : la voie ferrée permet de voyager à certains produits de l’agriculture bretonne jusqu’à l’Allemagne.
Si les diligences traversaient la distance de Rennes à Paris en 4 jours en 1800, le train a considérablement réduit le temps du périple – 12 heures 45 seulement et 7 heures et demie par train express. Voilà pour le voyage lui-même.
En 1872, la population bretonne s’élève à 3 millions, ce qui constitue 8 % de la population française. La majorité des Bretons habitent l’espace rural, 70% environ, contre 67% au niveau national. Dans une situation d’exiguïté des exploitations agricoles, de manque de terres cultivables et du surnombre de journaliers, combinée à l’effondrement des activités textiles, la solution qui se profile souvent est celle de partir. Le Bassin parisien devient la destination privilégiée de ces départs. Si l’essor de l’émigration bretonne après 1850 est indiscutable, la corrélation entre le désenclavement de la Bretagne à travers le développement du réseau ferré et l’accentuation du phénomène migratoire semble tout aussi claire. En effet, le nombre de départs passe de 116 000 dans pendant la période entre 1852 à 1872 à 201 000 pendant les années 1891 à 1911.
La physionomie de cette émigration est assez variée. Elle s’avère être en partie temporaire, liée à la demande en travaux saisonniers, avant tout dans le secteur de l’agriculture. La Bretagne étant un réservoir de main d’œuvre appréciée pour un travail de qualité, peu onéreux, et les plus pauvres la quittent en premier. L’émigration définitive, quant à elle, se porte vers les pôles industriels, et notamment celui de Nantes-Saint-Nazaire (18 900 personnes en 1876) et celui du Havre, où 15 000 Bretons arrivent en 1900 et une nouvelle vague de 25 000 personnes s’installe en 1910.
En 1896, Paris comptait déjà 74 462 émigrés bretons. En 1901, ce chiffre avait augmenté de 10 000 et en 1911, 109 091 Bretons habitaient la capitale française.
Pour rendre la part du flux migratoire issu du Morbihan, il faut préciser qu’en 1896, cette émigration s’élevait à 12 518 personnes. En 1901, elle comptait 14 682 pour atteindre 21 867 émigrés morbihannais en 1911.
On peut dire que Paris devient alors une grande ville bretonne. Présents dans toute la ville et dans la région parisienne, les Bretons nourrissent une préférence pour certains arrondissements de la capitale (de 3 à 5% de population bretonne) et pour certaines agglomérations de la région, où leur nombre peut atteindre les 10% de la population globale. A Paris, ils choisissent de s’établir dans le 11e arrondissement, dans les quartiers de Saint-Ambroise, du Faubourg Saint-Antoine, où les Léonards aiment se regrouper ; alors que les Morbihannais préfèrent les quartiers de Saint-Lambert et de Vaugirard dans le 15e. Les Bretons originaires des Côtes-du-Nord sont plus nombreux dans le 13e arrondissement, où ils sont embauchés comme manœuvres dans les gares d’Orléans (inaugurée en 1843) ou d’Issy (inaugurée en 1901) ou dans les nombreuses usines ou raffineries du secteur. La présence en nombre des Bretonnes dans le centre de Paris s’explique par le fait qu’elles trouvent un emploi de domestiques dans les maisons bourgeoises, alors que les hommes occupent les emplois de cochers, valets de chambre, hommes d’entretien. Ils sont très nombreux dans le quartier du Montparnasse, dans les rues avoisinantes de la gare, où s’élèvent les odeurs de crêpes et où l’on boit du cidre du pays. Mais c’est surtout la construction du métro parisien qui repose sur les émigrés Bretons. Il a été conçu et réalisé sous la direction d’un ingénieur breton, Fulgence Bienvenüe (1852-1936), ancien élève de Polytechnique puis de l’Ecole nationale des Ponts et des chaussées. Bienvenüe se met à l’ouvrage et le chantier débute en 1898. Après 19 mois de travaux, le premier maillon du futur réseau - la ligne Maillot-Vincennes - voit le jour le 19 juillet 1900 (et ce premier jour, un seul passager emprunte la ligne…).
Les entreprises chargées de travaux recrutent la main d’œuvre en Bretagne, au moyen d’annonces faites à l’issue de la messe dominicale, par les crieurs publics ou des agents à la solde des entreprises. Ce sont avant tout des terrassiers, des puisatiers et des mineurs, au nombre de 3000 ouvriers environ, qui s’activent dans les couloirs sous terrains de Paris. Les conditions sont assez attractives - 7 à 8 francs par jour pour 10 heures de travail. Outre le remboursement des frais de voyage, l’entreprise propose des logements pour ses nouvelles recrues. Léon et Maurice Bonneff ont raconté la vie quotidienne des immigrés bretons dans un livre paru en 1911, intitulé "La Classe ouvrière".
Les discriminations et conflits apparaissent et la première grève a lieu en janvier 1901, avant même que la première ligne de métro fête son premier anniversaire. Pour remplacer les rebelles, l’entreprise Say décide alors de recruter de la main d’œuvre dans les villages. Les négociations avec les grévistes aboutissent entre-temps et les 300 Bretons nouvellement recrutés se retrouvent sans emploi…
C’est dans ce contexte que l’on pouvait migrer vers Paris depuis un village comme La Croix-Helléan dans le Morbihan au début du XXe siècle. Qui parle de migration de Bretons dans la capitale, mentionne bien évidemment l’abbé Cadic, prêtre et écrivain, animateur et folkloriste, créateur de La Paroisse bretonne de Paris en 1897, une des associations les plus importantes venant en aide aux Bretons.
Pour aller plus loin :
L’emigration bretonne de Marcel Le Moal, éd. Spezet, 2013 ;
Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons Ve-XXIe siècles, de Joël Cornette, Paris, Seuil, 2015 ;
Fulgence Bienvenüe et la construction du métropolitain de Paris, de Claude Breton et Alexandre Ossadzow, Paris, 1998.
Bonne lecture !
A la fin du XIXe siècle, les lignes du réseau ferroviaire connaissent un développement conséquent. En 1844, la première ligne reliant Paris à Rennes fut déclarée d’intérêt général. Par conséquent, d’importants travaux furent rapidement engagés par la Compagnie d’Orléans. Le 21 août 1851, le train parvint pour la première fois à Nantes et six ans plus tard, en 1857, la première locomotive arriva à Rennes. En 1864, on inaugure la gare ferroviaire de Pontivy, une quarantaine de kilomètres de La Croix-Helléan (787 habitants en 1901). En 1885, plusieurs lignes sont construites dans la direction de Loudéac et La Brohinière, afin de rattacher Carhaix au Bassin rennais. Ainsi, la Bretagne est reliée à la capitale française, au reste du territoire et bien au-delà : la voie ferrée permet de voyager à certains produits de l’agriculture bretonne jusqu’à l’Allemagne.
Si les diligences traversaient la distance de Rennes à Paris en 4 jours en 1800, le train a considérablement réduit le temps du périple – 12 heures 45 seulement et 7 heures et demie par train express. Voilà pour le voyage lui-même.
En 1872, la population bretonne s’élève à 3 millions, ce qui constitue 8 % de la population française. La majorité des Bretons habitent l’espace rural, 70% environ, contre 67% au niveau national. Dans une situation d’exiguïté des exploitations agricoles, de manque de terres cultivables et du surnombre de journaliers, combinée à l’effondrement des activités textiles, la solution qui se profile souvent est celle de partir. Le Bassin parisien devient la destination privilégiée de ces départs. Si l’essor de l’émigration bretonne après 1850 est indiscutable, la corrélation entre le désenclavement de la Bretagne à travers le développement du réseau ferré et l’accentuation du phénomène migratoire semble tout aussi claire. En effet, le nombre de départs passe de 116 000 dans pendant la période entre 1852 à 1872 à 201 000 pendant les années 1891 à 1911.
La physionomie de cette émigration est assez variée. Elle s’avère être en partie temporaire, liée à la demande en travaux saisonniers, avant tout dans le secteur de l’agriculture. La Bretagne étant un réservoir de main d’œuvre appréciée pour un travail de qualité, peu onéreux, et les plus pauvres la quittent en premier. L’émigration définitive, quant à elle, se porte vers les pôles industriels, et notamment celui de Nantes-Saint-Nazaire (18 900 personnes en 1876) et celui du Havre, où 15 000 Bretons arrivent en 1900 et une nouvelle vague de 25 000 personnes s’installe en 1910.
En 1896, Paris comptait déjà 74 462 émigrés bretons. En 1901, ce chiffre avait augmenté de 10 000 et en 1911, 109 091 Bretons habitaient la capitale française.
Pour rendre la part du flux migratoire issu du Morbihan, il faut préciser qu’en 1896, cette émigration s’élevait à 12 518 personnes. En 1901, elle comptait 14 682 pour atteindre 21 867 émigrés morbihannais en 1911.
On peut dire que Paris devient alors une grande ville bretonne. Présents dans toute la ville et dans la région parisienne, les Bretons nourrissent une préférence pour certains arrondissements de la capitale (de 3 à 5% de population bretonne) et pour certaines agglomérations de la région, où leur nombre peut atteindre les 10% de la population globale. A Paris, ils choisissent de s’établir dans le 11e arrondissement, dans les quartiers de Saint-Ambroise, du Faubourg Saint-Antoine, où les Léonards aiment se regrouper ; alors que les Morbihannais préfèrent les quartiers de Saint-Lambert et de Vaugirard dans le 15e. Les Bretons originaires des Côtes-du-Nord sont plus nombreux dans le 13e arrondissement, où ils sont embauchés comme manœuvres dans les gares d’Orléans (inaugurée en 1843) ou d’Issy (inaugurée en 1901) ou dans les nombreuses usines ou raffineries du secteur. La présence en nombre des Bretonnes dans le centre de Paris s’explique par le fait qu’elles trouvent un emploi de domestiques dans les maisons bourgeoises, alors que les hommes occupent les emplois de cochers, valets de chambre, hommes d’entretien. Ils sont très nombreux dans le quartier du Montparnasse, dans les rues avoisinantes de la gare, où s’élèvent les odeurs de crêpes et où l’on boit du cidre du pays. Mais c’est surtout la construction du métro parisien qui repose sur les émigrés Bretons. Il a été conçu et réalisé sous la direction d’un ingénieur breton, Fulgence Bienvenüe (1852-1936), ancien élève de Polytechnique puis de l’Ecole nationale des Ponts et des chaussées. Bienvenüe se met à l’ouvrage et le chantier débute en 1898. Après 19 mois de travaux, le premier maillon du futur réseau - la ligne Maillot-Vincennes - voit le jour le 19 juillet 1900 (et ce premier jour, un seul passager emprunte la ligne…).
Les entreprises chargées de travaux recrutent la main d’œuvre en Bretagne, au moyen d’annonces faites à l’issue de la messe dominicale, par les crieurs publics ou des agents à la solde des entreprises. Ce sont avant tout des terrassiers, des puisatiers et des mineurs, au nombre de 3000 ouvriers environ, qui s’activent dans les couloirs sous terrains de Paris. Les conditions sont assez attractives - 7 à 8 francs par jour pour 10 heures de travail. Outre le remboursement des frais de voyage, l’entreprise propose des logements pour ses nouvelles recrues. Léon et Maurice Bonneff ont raconté la vie quotidienne des immigrés bretons dans un livre paru en 1911, intitulé "La Classe ouvrière".
Les discriminations et conflits apparaissent et la première grève a lieu en janvier 1901, avant même que la première ligne de métro fête son premier anniversaire. Pour remplacer les rebelles, l’entreprise Say décide alors de recruter de la main d’œuvre dans les villages. Les négociations avec les grévistes aboutissent entre-temps et les 300 Bretons nouvellement recrutés se retrouvent sans emploi…
C’est dans ce contexte que l’on pouvait migrer vers Paris depuis un village comme La Croix-Helléan dans le Morbihan au début du XXe siècle. Qui parle de migration de Bretons dans la capitale, mentionne bien évidemment l’abbé Cadic, prêtre et écrivain, animateur et folkloriste, créateur de La Paroisse bretonne de Paris en 1897, une des associations les plus importantes venant en aide aux Bretons.
Pour aller plus loin :
L’emigration bretonne de Marcel Le Moal, éd. Spezet, 2013 ;
Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons Ve-XXIe siècles, de Joël Cornette, Paris, Seuil, 2015 ;
Fulgence Bienvenüe et la construction du métropolitain de Paris, de Claude Breton et Alexandre Ossadzow, Paris, 1998.
Bonne lecture !
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