Question d'origine :
Quelle fut la philosophie d'Eugénie Niboyet ?
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 09/04/2021 à 15h55
Issue d’une famille protestante pour qui la Bible constitue une référence primordiale, Eugénie Niboyet (1796 – 1883), néé Mouchon, n’était pas une révolutionnaire, mais plutôt une bourgeoise libérale militant pour l’émancipation des femmes.
Selon Michèle Riot-Sarcey, elle semble redouter la marginalité politique pendant la première période de son militantisme. Dans les années ’30 du XIXe siècle, elle conçoit la lutte pour l’émancipation des femmes en dehors de toute opposition au régime existant. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de jouer le rôle de propagatrice de la foi saint-simonienne auprès des masses en endossant la responsabilité de son enseignement dans le quatrième et cinquième arrondissement de Paris. C’est aussi aux côtés des saints-simoniens, dans les années 1834-1835, qu’elle dirige à Lyon Le conseiller des femmes, puis La Mosaïque lyonnaise. Toujours à Lyon, elle fonde également l’Athénée des Femmes.
En 1848, elle devient la porte-parole de toutes celles qui rejoignent le mouvement républicain. C’est alors que, dès le 2 mars, elle a l’intention de revendiquer et d’inscrire la liberté des femmes dans la République proclamée en février. Voici comment elle formule ses idées :
« Les glorieux promoteurs de cette éclatante victoire ont eu tous les partis pour historiens, tous les journaux pour tribune !
Et pourquoi donc à son tour, la femme ne mêlerait-elle pas sa voix à ce Te Deum général, elle qui donne des citoyens à l’Etat, des chefs de famille ?
LA LIBERTE, L’EGALITE, LA FRATERNITE appellent le genre humain aux mêmes prérogatives ; honneur à cette trinité sainte qui accordera aux femmes des droits de citoyenneté, leur permettant de s’élever intellectuellement et moralement à l’égal des hommes ».
Après un long débat, les rédactrices de La voix des Femmes adressent une pétition au gouvernement provisoire le 26 avril 1848. Le ton des revendications est nuancé, mais la voix d’Eugénie Niboyet a prévalu.
« Convaincues que le degré de liberté accordé à la femme est le thermomètre de la liberté et du bonheur de l’homme », les militantes « supplient le gouvernement de la République de rendre immédiatement un décret qui consacre en principe la reconnaissance absolue des droits civiques de la femme et admettre les majeures veuves et non mariées à jouir de l’exercice du droit électoral ».
Elles ne seront pas entendues. Malgré une modération affichée des propos, bien qu’elle ait multiplié les professions de foi en faveur de la famille, Eugénie Niboyet devient une proie de prédilection des caricaturistes. Une polémique s’engage contre le club, lorsqu’elle se défend avec lucidité :
« Vous ne voulez pas nous entendre parce que vous commencez à nous craindre. (…) L’égalité, c’est la justice. »
Quelques milliers de personnes viennent huer les militantes devant leur siège, les journaux masculins se déchaînent.
Jusqu’alors fervente adepte du pacifisme social, porteuse convaincue du message de paix, Eugénie Niboyet passe à l’offensive et accuse la politique républicaine dont les principes sont bafoués par ceux-là même qui s’en réclament.
«On n’a changé qu’un nom : le tyran s’appelle démocratie.
Les hommes ont gouverné par le droit absolu de leur toute-puissance ; c’est à leur propre raison qu’ils en ont appelé dans leurs moments de crise, et toujours le mal s’est perpétué revêtant de nouvelles formes, parce que l’humanité a tenu sous le joug la moitié d’elle-même, la femme, dernière affranchie du progrès, sans la participation de laquelle rien de stable et de complet ne saurait pourtant exister. »
Elle paiera le prix fort pour cette critique ouverte et lucide. L’indemnité littéraire, accordée en 1839, lui est alors suspendue, bien qu’elle ait adressé de nombreuses pétitions aux gouvernements de la IIIe République. Pourtant, cette revendication de l’égalité reste en parfait accord avec l’universalité des droits proclamés par les quarante-huitards.
Comme tant d’autres féministes de son époque, Eugénie Niboyet porte un regard critique sur la société dans son ensemble. Elle reconnaît le rôle primordial de l’éducation dans l’amélioration du sort des classes inférieures, elle reste convaincue que les femmes ont une mission dont l’éducation est un incontestable pivot. Cette idée peut être attribuée à ses inspirations saint-simoniennes. La bourgeoisie dont elle est issue lui paraît digne de porter une mission médiatrice entre le peuple et l’aristocratie. Elle s’implique dans le combat contre l’esclavage dans les colonies françaises, contre la peine de mort, elle se rapproche du mouvement
fouriériste pendant la création du premier titre rédigé entièrement par les femmes : La Femme libre. C’est ainsi qu’elle va rencontrer Flora Tristan.
Il serait plutôt difficile de parler d’une philosophie, mais la façon dont Eugénie Niboyet conçoit le combat évolue et se durcit face à l’intransigeance des politiques. Militante refusant l’inégalité des sexes, femme de lettres et de conviction, Eugénie Niboyet révèle sa personnalité dans le passage d’un certain conformisme social vers des idées et surtout des prises de position plus radicales.
Pour aller plus loin :
La démocratie à l'épreuve des femmes : trois figures critiques du pouvoir : Jeanne Deroin, Désirée Gay et Eugénie Niboyet : 1830-1848 de Michèle Riot-Sarcey ;
Dictionnaire des féministes : France, XVIIIe-XXIe siècle, sous la direction de Christine Bard ; avec la collaboration de Sylvie Chaperon ;
Journaux féminins et lutte ouvrière d’Evelyne Sullerot, Revue d’Histoire du XIXe siècle - 1848, année 1966 /23/ p. 88-122 ;
Une sélection d’articles d’Eugénie Niboyet ;
Le vrai livre des femmes de l’auteure, accessible en ligne.
Selon Michèle Riot-Sarcey, elle semble redouter la marginalité politique pendant la première période de son militantisme. Dans les années ’30 du XIXe siècle, elle conçoit la lutte pour l’émancipation des femmes en dehors de toute opposition au régime existant. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de jouer le rôle de propagatrice de la foi saint-simonienne auprès des masses en endossant la responsabilité de son enseignement dans le quatrième et cinquième arrondissement de Paris. C’est aussi aux côtés des saints-simoniens, dans les années 1834-1835, qu’elle dirige à Lyon Le conseiller des femmes, puis La Mosaïque lyonnaise. Toujours à Lyon, elle fonde également l’Athénée des Femmes.
En 1848, elle devient la porte-parole de toutes celles qui rejoignent le mouvement républicain. C’est alors que, dès le 2 mars, elle a l’intention de revendiquer et d’inscrire la liberté des femmes dans la République proclamée en février. Voici comment elle formule ses idées :
« Les glorieux promoteurs de cette éclatante victoire ont eu tous les partis pour historiens, tous les journaux pour tribune !
Et pourquoi donc à son tour, la femme ne mêlerait-elle pas sa voix à ce Te Deum général, elle qui donne des citoyens à l’Etat, des chefs de famille ?
LA LIBERTE, L’EGALITE, LA FRATERNITE appellent le genre humain aux mêmes prérogatives ; honneur à cette trinité sainte qui accordera aux femmes des droits de citoyenneté, leur permettant de s’élever intellectuellement et moralement à l’égal des hommes ».
Après un long débat, les rédactrices de La voix des Femmes adressent une pétition au gouvernement provisoire le 26 avril 1848. Le ton des revendications est nuancé, mais la voix d’Eugénie Niboyet a prévalu.
« Convaincues que le degré de liberté accordé à la femme est le thermomètre de la liberté et du bonheur de l’homme », les militantes « supplient le gouvernement de la République de rendre immédiatement un décret qui consacre en principe la reconnaissance absolue des droits civiques de la femme et admettre les majeures veuves et non mariées à jouir de l’exercice du droit électoral ».
Elles ne seront pas entendues. Malgré une modération affichée des propos, bien qu’elle ait multiplié les professions de foi en faveur de la famille, Eugénie Niboyet devient une proie de prédilection des caricaturistes. Une polémique s’engage contre le club, lorsqu’elle se défend avec lucidité :
«
Quelques milliers de personnes viennent huer les militantes devant leur siège, les journaux masculins se déchaînent.
Jusqu’alors fervente adepte du pacifisme social, porteuse convaincue du message de paix, Eugénie Niboyet passe à l’offensive et accuse la politique républicaine dont les principes sont bafoués par ceux-là même qui s’en réclament.
«
Les hommes ont gouverné par le droit absolu de leur toute-puissance ; c’est à leur propre raison qu’ils en ont appelé dans leurs moments de crise, et toujours le mal s’est perpétué revêtant de nouvelles formes, parce que l’humanité a tenu sous le joug la moitié d’elle-même, la femme, dernière affranchie du progrès, sans la participation de laquelle rien de stable et de complet ne saurait pourtant exister. »
Elle paiera le prix fort pour cette critique ouverte et lucide. L’indemnité littéraire, accordée en 1839, lui est alors suspendue, bien qu’elle ait adressé de nombreuses pétitions aux gouvernements de la IIIe République. Pourtant, cette revendication de l’égalité reste en parfait accord avec l’universalité des droits proclamés par les quarante-huitards.
Comme tant d’autres féministes de son époque, Eugénie Niboyet porte un regard critique sur la société dans son ensemble. Elle reconnaît le rôle primordial de l’éducation dans l’amélioration du sort des classes inférieures, elle reste convaincue que les femmes ont une mission dont l’éducation est un incontestable pivot. Cette idée peut être attribuée à ses inspirations saint-simoniennes. La bourgeoisie dont elle est issue lui paraît digne de porter une mission médiatrice entre le peuple et l’aristocratie. Elle s’implique dans le combat contre l’esclavage dans les colonies françaises, contre la peine de mort, elle se rapproche du mouvement
fouriériste pendant la création du premier titre rédigé entièrement par les femmes : La Femme libre. C’est ainsi qu’elle va rencontrer Flora Tristan.
Il serait plutôt difficile de parler d’une philosophie, mais la façon dont Eugénie Niboyet conçoit le combat évolue et se durcit face à l’intransigeance des politiques. Militante refusant l’inégalité des sexes, femme de lettres et de conviction, Eugénie Niboyet révèle sa personnalité dans le passage d’un certain conformisme social vers des idées et surtout des prises de position plus radicales.
Pour aller plus loin :
La démocratie à l'épreuve des femmes : trois figures critiques du pouvoir : Jeanne Deroin, Désirée Gay et Eugénie Niboyet : 1830-1848 de Michèle Riot-Sarcey ;
Dictionnaire des féministes : France, XVIIIe-XXIe siècle, sous la direction de Christine Bard ; avec la collaboration de Sylvie Chaperon ;
Journaux féminins et lutte ouvrière d’Evelyne Sullerot, Revue d’Histoire du XIXe siècle - 1848, année 1966 /23/ p. 88-122 ;
Une sélection d’articles d’Eugénie Niboyet ;
Le vrai livre des femmes de l’auteure, accessible en ligne.
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