Question d'origine :
Bonjour, Je travaille pour le compte d'une collectivité qui s'interroge sur l'opportunité de donner un nom de rue ou de place à Marcel Gompel, professeur au Collège de Franc, juif et résistant, arrêté à Lyon par la Gestapo. Les infos, (voir ci dessous), que je trouve sont limitées et fragmentaires. pourriez vous m'apporter des éléments biographiques complémentaires ? D'avance merci, Thibaut CANUTI conservateur en chef des bibliothèques directeur des bibliothèques de Martigues Marcel Gompel (1882-1944). Marcel Gompel, savant juif, résistant et humaniste, il est engagé volontaire à la guerre de 1914, en était revenu mutilé, avec la Médaille militaire et la Croix de Guerre (1916). Il a travaillé au laboratoire d’Histoire naturelle des corps organisés de 1922 à 1940, sous la direction d’André Mayer puis est nommé Professeur au collège de France. Il est l’auteur de nombreuses publications. Arrêté au Marché aux timbres de la Place Bellecour à Lyon par la Gestapo, il portait sur lui une lettre qui le remerciait des adresses qu’il avait fournies. C’était assez pour tenter de le faire parler. Soumis au supplice de la baignoire, suspendu par les pieds au-dessus d’une bassine d’ammoniaque, à demi noyé, Marcel Gompel alors âgé de soixante-deux ans, devait atteindre les limites de ses forces. Pour le ranimer, ses tortionnaires l’avaient arrosé d’eau bouillante à plein baquet. C’est en cet état effroyable qu’André Frossard le vit arriver à Montluc dans la « baraque aux juifs » pour y mourir au fort de Montluc, le 3 février 1944, sans aucun soin. C’est en sa mémoire que Frossard témoigna au procès de Klaus Barbie (cf témoignage ci-dessous) Témoignage de Nicole Gompel, fille de Marcel Gompel : « J'avais 18 ans en 1942. Je me souviens avoir accompagné mon père au commissariat de police situé tout à côté du palais de Justice. Il venait faire apposer le tampon Juif sur ses papiers. Et il s'en faisait un honneur". Honneur... Le mot revient comme un leitmotiv dans la bouche de Nicole Gompel lorsqu'elle évoque ce père étonnant ; héros de la Grande Guerre, bibliophile averti, amateur d'art ("sauf quand il s'agissait de Modigliani"), mais encore et surtout inventeur de talent : Einstein soulignait qu'avec lui et le professeur Mayer, il se trouvait en communauté d'esprit. Un homme lucide également. Car Marcel Gompel sut très tôt ("avant 40"), ce qui se passait pour les Juifs allemands : "Dans notre hôtel particulier d'Auteuil, il accueillait les réfugiés. Je me souviens de ce grand imprimeur de Francfort venu à la maison. L'un de ses fils avait eu les jambes cassées... par ses anciens camarades de classe. Simplement parce qu'il était juif !". Marcel Gompel n'a pas voulu se soustraire au sort des siens. Replié à Lyon avec sa famille, il s'incorpore vite à la Résistance. Nicole aussi, de son côté. Le père ne dit rien à la fille. La fille ne se livre pas au père. "Mais je suis persuadée qu'il s'en est très vite douté !", assure Nicole. "J'avais reçu une éducation extrêmement stricte. Or, il me donnait la permission de partir avant le couvre-feu pour Paris, et ne s'étonnait pas que je rentre deux jours plus tard. C'était tout de même bizarre !". Agent de liaison au service maquis ("le patron était le colonel Rebatet, dit Cheval"), Nicole suit aussi, mais de façon plus épisodique, les cours du lycée Edgar-Quinet. Lucie Aubrac est sa professeur d'Histoire. "Elle m'a demandé un jour de faire un exposé sur Bismarck. La moitié de la classe m'a applaudie. L'autre moitié m'a sifflée". Le 17 janvier 1944, Nicole doit assurer une nouvelle mission. Alors qu'elle a déjà quitté le logement familial de la rue de la Baleine, une pensée lui trotte dans la tête : "Je n'ai pas dit assez au-revoir à papa". Et Nicole grimpe quatre à quatre les escaliers. Embrasse ce père qu'elle aime tant. Lui "avoue" qu'elle est dans la Résistance. S'en retourne vers Perrache. "Je ne l'ai jamais revu. J'ai été arrêtée et Incarcérée le lendemain à Fresnes. Marcel Gompel est arrêté le 30 du même mois. La torture et la mort du professeur, André Frossard les a rappelés la veille à l'audience : une infinie souffrance. Un itinéraire terrible dont Nicole n'a eu connaissance que des mois plus tard. [...] La fille du professeur Gompel n'a pas décidé tout de suite de se constituer partie civile au procès Klaus Barbie. "Je ne voyais pas l'intérêt. Longtemps après le Libération, je me suis dit : tu vas te laisser pousser les ongles, et si tu retrouves cet homme, tu lui arracheras les yeux. Aujourd'hui, je sais à quel point le procès était nécessaire. Afin que les vivants redonnent la parole aux morts... Mais tout de même, si j'avais dû aux assises parler devant Barbie, je sais que je l'aurais traité d'untermensch, de sous-homme ! ». Source : "Nicole Gompel : Mon père, cet homme d'honneur" / Odile Cimetière in Le Progrès de Lyon, 26 mai 1987, p.7. « Comme pour illustrer son propos, André Frossard raconte avec respect et émotion le jour où il vit arriver dans la 'baraque aux juifs' Marcel Gompel, Professeur au Collège de France arrêté Place Bellecour et martyrisé par la Gestapo. "Il était devenu une loque humaine. On l'avait jeté dans une baignoire glacée et ranimé en l'ébouillantant, sa nuque n'était que plaies. Mais cet homme qui ne gémissait pas sur son sort, restait d'une dignité incroyable. Il s'affaiblissait d'heure en heure. Deux jours ont passé, les camarades l'ont porté sur une tinette. Il a eu un mouvement, s'est porté en avant et est mort". L'instruction a tenté de déterminer si Marcel Gompel devait ce sort funeste au fait d'être juif ou résistant. Il était les deux ». Source : Procès Barbie, 3e semaine. 25 mai 1987. Audition de l'académicien André Frossard in Lyon Capitale 29 mai 2007.
Réponse du Guichet
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L’ouvrage de Bruno Permezel Résistants à Lyon : 1144 noms mentionne Marcel Gompel. On peut en lire un extrait dans Google Livres :
« Etudiant en médecine, Marcel Gompel apprend la chirurgie et il est l'élève du Professeur Lardennois. Grièvement blessé au cours de la première guerre mondiale (Gueule cassée), il doit abandonner la chirurgie car il a perdu l'index droit. Humaniste, poète et intellectuel de progrès, Marcel Gompel excelle dans de nombreuses disciplines. Il compte parmi ses amis Einstein (qui dit de lui : En France, il est l'un des deux hommes capables de me comprendre), Louis de Broglie, Léon-Paul Fargue, Picasso, Modigliani. Pour satisfaire son père, Marcel Gompel a présenté et réussi le concours d'H.E.C. Lorsqu'il lui succède à la tète du groupe des Dames de France, Marcel Gompel est rapidement écarté de la direction pour avoir désiré augmenter les salaires du petit personnel. Inventeur de l'Electrargol, colloïde d'argent qui guérit les affections des muqueuses nasales, il abandonne les droits commerciaux à ses assistants.
Au moment de la déclaration de guerre, Marcel Gompel dirige un laboratoire de physiologie et enseigne au Collège de France où il est sur le point d’être titularisé comme professeur.
Engagé volontaire à l’âge de 56 ans (en 1939), les services de l’armée, plutôt que de le faire combattre, le font siéger à la commission des gaz-toxiques.
Après la débâcle, le Collège de France s 'étant replié à Montpellier (Hérault), Marcel Gompel s'y rend, puis continue au Laboratoire de Banyuls (Pyrénées-Orientales) la recherche qu'il a entreprise à Roscoff (Finistère) sur la respiration des poissons, qu’il a découverte comme étant en phase avec les marées lunaires.
Elevé dans la tradition juive, Marcel Gompel n’a jamais renié cet héritage mais a toujours refusé d’en être l’otage.
Désigné par sa fortune aux antisémites, ses amis lui conseillent de gagner les Etats-Unis. Marcel Gompel s'y oppose et choisit de s’installer à Lyon, où le professeur Cordier lui offre un laboratoire à la Faculté des Sciences. Entré en Résistance, Marcel Gompel appartient au Mouvement Combat. Alors qu’il s’est rendu le 30/1/1944 au marché aux timbres de la place Bellecour à Lyon, la police allemande survient et procède à une rafle.
Ayant toujours refusé le principe des faux papiers, Marcel Gompel rejoint le groupe des juifs, et les Allemands découvrent sur lui un carnet couvert de sigles et d’abréviations. »
Le témoignage d’André Frossard au procès Barbie a été publié dans l’ouvrage Le crime d'être né : témoignage au procès Barbie. Vous y trouverez peut-être des éléments supplémentaires sur Marcel Gompel.
Il semble par ailleurs que le documentaire de Marcel Ophuls Hôtel Terminus : Klaus Barbie, sa vie, son temps contienne un passage avec Nicole Gompel qui y fait part de son témoignage (source : Le procès Barbie, Lila Amoura)
Dans son texte Du bon usage des manuels scolaires de Philothée O’Neddy à Klaus Barbie ou Comment on devient bibliophile Jean-Luc Faivre évoque la collection de livres de Marcel Gompel :
« Le second exemplaire de Feu et flamme que je détiens depuis 2011 – précieux à mes yeux comme une relique, élégamment protégé par une fine reliure de Noulhac4 – appartenait avant la guerre 39-40, comme l’indique l’ex-libris, à Marcel Gompel (1883-1944), professeur, lui aussi (étrange coïncidence !) au Collège de France. Sauvagement torturé à Lyon par les sbires du sinistre Klaus Barbie, Marcel Gompel est mort, le 3 février 1944, au fort de Montluc dans les bras du fameux journaliste André Frossard ; il était, dans l’esprit perverti des nazis, deux fois coupable : coupable d’être Résistant et coupable d’être né juif ; sa superbe bibliothèque romantique a été volée par les Allemands ; le livre que je conserve pieusement aujourd’hui est un rescapé dont j’ignore à la suite de quelles pérégrinations il s’est retrouvé sur le marché de la librairie ancienne. Quoiqu’il en soit, je suis d’autant plus ému de posséder cet ouvrage exceptionnel que mon père, André Faivre (1902-1969), fut lui-même Résistant et déporté politique au camp de concentration de Neuengamme entre juillet 1944 et mai 1945. Après quelques recherches et l’appui efficace de Maître Christian Charrière-Bournazel, avocat qui représentait en 1987 la famille de Marcel Gompel au procès Barbie, j’ai eu le 29 septembre 2014, un jour mémorable entre tous, le grand bonheur de retrouver la fille de Marcel Gompel, âgée de plus de 90 ans, mais plus jeune de cœur et d’esprit que bien des vieillards de vingt ans… Cette adorable personne, une grande dame, cultivée, raffinée, curieuse de toutes choses, toujours en éveil, attentive au monde qui l’entoure m’a reçu chez elle dans un charmant village du Vaucluse comme un membre de sa propre famille ; on imagine l’émotion qui l’a étreinte quand elle a eu en mains ce Feu et flamme, ce miraculé des enfers nazis que la main de son père, jadis, avait elle-même maintes fois amoureusement effleuré… »
Nous vous conseillons de contacter les documentalistes du CHRD qui auront peut-être d’autres pistes à vous proposer.
Bonne journée.
Question d'origine :
Bonjour,
je suis le petit fils de Nicole Gompel. Je serais ravi de vous apporter des éléments de réponse.
Reformulation :
Réponse du Guichet
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