Question d'origine :
Bonjour, On dit souvent que la sédentarisation des hommes intervient au moment de l'invention de l'agriculture. N'y avait-il pas, déjà avant l'agriculture, des hommes (des sapiens mais aussi des neandertals pourquoi pas ?) presque sédentarisés ? Autrement dit, n'y avait-il pas des endroits sur Terre où la chasse et la cueillette permettait de s'installer durablement ? Je vous remercie, Olivier
Réponse du Guichet
bml_civ
- Département : Civilisation
Le 23/06/2021 à 09h42
Bonjour,
La question que vous posez s’inscrit dans un débat qui a longtemps animé les préhistoriens mais la théorie la plus répandue était que la sédentarisation était fille de l’agriculture et de l’élevage. Aujourd’hui, la question semble tranchée à l’inverse : la sédentarisation étant fille du paléolithique et à l’origine de l’agriculture. Lorsqu’on se penche plus précisément sur les faits, il apparaît que les réalités ont été multiples et nuancées, et que la fameuse révolution néolithique ne s’est pas faite de façon homogène et linéaire, et encore moins de la même façon selon les endroits.
Voici en 2000 ce qui est mentionné sur les Premiers paysans du monde : naissances des agricultures : [Séminaire du Collège de France] / sous la dir. de Jean Guilaine, et notamment dans le chapitreLa sédentarisation au Proche-Orient : la culture natoufienne de François Valla
« Le fait le plus neuf qui marque le Natoufien –et qu’on considère comme la première étape de la néolithisation du Levant- c’est l’apparition dans le Carmel et la Galilée… d’un mode de vie inédit caractérisé par des « villages » sédentaires ». p.14
« Ceci nous ramène au principal apport du natoufien, au phénomène qui en fait le premier épisode de la néolithisation au Proche Orient : la sédentarité. Mais rien n’est plus difficile à l’archéologie que de démontrer la présence des préhistoriens toute l’année au même endroit ». p. 26
« L’environnement a fourni les moyens de la sédentarité. Pour que celle-ci fût praticable, il fallait une nature suffisamment prodigue en ressources de toutes sortes, animales et végétales.». p. 28
« La sédentarité natoufienne était encore fondée sur une économie prédatrice » p. 29
En 2010, dans La révolution néolithique dans le monde / sous la dir. de Jean-Paul Demoule, voici comment est défini le proto-néolithique 1 (12500-10200 avt notre ère) : «Le premier changement significatif par rapport aux sociétés de chasseurs-cueilleurs antérieures est marqué par le processus de sédentarisation , c’est-à-dire l’implantation principale du groupe humain en un même lieu… L’économie est toujours fondée sur la cueillette et la chasse. Le choix des espèces dépend de l’environnement.» p. 38-39
Thèse que reprend Jean Paul Demoule dans son ouvrage en 2017 Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire : lorsqu’on inventa l’agriculture, la guerre et les chefs : « Trois autres conditions ont été nécessaires. Il a fallu que les chasseurs-cueilleurs qui ont adopté agriculture et élevage soient déjà sédentaires afin de pratiquer l’agriculture, c’est à dire bénéficient d’un environnement favorable, dont les ressources alimentaires soient suffisantes et réparties sur l’ensemble de l’année, ce qui est souvent le cas des ressources aquatiques -poissons, coquillages, mammifères marins. » p. 23
François Bon résume le tout dans Sapiens en 2019 : vers -10000, «Nomade, une partie de ces chasseurs-cueilleurs a déjà cessé de l’être. Sur le pourtour de la Méditerranée notamment, mais aussi sur les rives de certains fleuves comme le Nil et bientôt sur les bords de certains lacs, au Proche-Orient comme en Afrique de l’est, certaines communautés ont choisi de se fixer, profitant en particulier des ressources aquatiques et de la manne qu’elles offrent tout au long de l’année, sans qu’il soit nécessaire de se déplacer. Profitant des conditions offertes par le réchauffement climatique des derniers millénaires du Pléistocène et que l’on désigne comme le Tardiglaciaire, et grâce à la diversification des ressources que cela entraîne, voilà que s’organisent les premiers villages permanents, ou semi-permanents. »... « Longtemps, on a pensé que la sédentarité était fille de l’agriculture et que c’était le début de la production alimentaire de plantes domestiques qui l’avaient entraînée, le village poussant sur le terroir. Et puis l’on s’est rendu compte que c’était l’inverse . La leçon est venue de la vallée du Jourdain, de cette portion du « Croissant fertile » dont on savait déjà qu’elle avait accueilli les premières formes d’agriculture et d’élevage. Bref, que c’était là qu’avait été inventé le Néolithique. Dans cette région, au cours du Tardiglaciaire, dans cette fourchette comprise entre 14 et 12000 ans, on voit des communautés de chasseurs-cueilleurs se fixer dans la paysage et implanter des véritables villages, si ce n’est tout à fait pérennes au moins semi permanents, composés en l’occurrence de grappes d’habitations semi-circulaires en partie enterrées, aux soubassements de murets de pierres sèches. » p. 144-145
«La dichotomie traditionnelle entre chasseurs-cueilleurs nomades et agro-pasteurs sédentaires, sur laquelle repose en large part notre vision du découpage entre le Paléolithique et lé Néolithique, s’enrichit donc d’une réalité plus complexe : il a bel et bien pu exister des chasseurs-cueilleurs sédentaires et c’est d’ailleurs eux qui pratiquèrent les premières expériences de domestication de plantes. Réciproquement, des populations néolithiques nomades ont vu le jour, qui sont peu ou prou à l’origine des grands peuples de pasteurs. Sur plusieurs continents en effet, ou tout du moins dans certaines parties d’entre eux, des populations ont certes pris la marche de la domestication des animaux, mais en conservant précisément un mode de vie nomade. » p. 148
Concernant le paléolithique récent en Europe, Boris Valentin donne des explications similaires dans Le paléolithique (2019) «en Europe, le nomadisme persiste durant cette transition climatique (interglaciaire), alors que d’autres chasseurs-cueilleurs, profitant de la diversification des ressources, notamment végétales, vivent des expériences de sédentarisation. C’est le cas par exemple en Chine et au Japon dès -15000, dans des contextes où l’on trouve les toutes premières poteries. Au Japon, les économies de pêche, chasse et cueillette forment longtemps la base essentielle des sociétés sédentaires et progressivement hiérarchisées du Jomon . » p. 34-35
Mis à part quelques cas isolés d’habitats semi-permanents liés à l’exploitation d’abondantes ressources littorales au Portugal, en Bretagne et au Danemark, « durant quelques millénaires mésolithiques, l’Europe conserve donc des économies fondées sur des ressources sauvages, tandis que diverses espèces végétales et animales sont domestiquées dès le début de l’Holocène en plusieurs foyers : Amérique centrale et andine, Afrique septentrionale, Proche orient, Asie centrale, Chine et Nouvelle Guinée. Ces économies de chasseurs- agriculteurs, ou de chasseurs-éleveurs-cueilleurs, ou encore d’agriculteurs-éleveurs s’y édifient à différents rythmes. » p. 37
Cependant, la particularité de l’Europe est une persistance tardive de mode de vie exclusivement basé sur des ressources sauvages, parfois sédentaire : « à l’ouest du continent, en zone littorale, cette disparition fut particulièrement retardée là oùexistait des communautés de pêcheurs-cueilleurs sédentaires pratiquant peut-être du stockage et connaissant alors une grande stabilité économique . » p. 68
Pourtant, la "véritable" sédentarisation et économie agricole en Europe et en France va être le fait de l’expansion continue des communautés agricoles issues du Proche Orient, qui prennent pieds en Europe dans la seconde moitié du VIIe millénaire. L’ouvrage La révolution néolithique en France analyse dans le détail cette expansion, la cohabitation des chasseurs-cueilleurs avec les agriculteurs-éleveurs, puis la disparition ou assimilation des premiers au profit des seconds.
ConcernantNéandertal , si l’on tient compte du fait qu’il a disparu autour de -30000 et bien qu’il ait cohabité avec l’Homo sapiens (Cro Magnon), il n’a pas pu participer au phénomène décrit plus haut de sédentarisation et de domestication des animaux et végétaux. Car si la sédentarisation a eu lieu avant l’invention de l’agriculture, l’apparition de ces communautés de chasseurs-cueilleurs sédentaires n’a pu se faire qu’à la faveur de changements climatiques que Néandertal n’a pas connus.
Voir aussi :
Pré-histoires : la conquête des territoires / sous la direction de Nicolas Teyssandier et Stéphanie Thiébault
Sédentarisation et agriculture sur le site Hérodote
Pour aller plus loin :
Le mésolithique en France : archéologie des derniers chasseurs-cueilleurs/ Emmanuel Ghesquière, Grégor Marchand
La naissance du Néolithique au Proche-Orient ou Le paradis perdu / Olivier Aurenche et Stefan K. Kozlowski
La question que vous posez s’inscrit dans un débat qui a longtemps animé les préhistoriens mais la théorie la plus répandue était que la sédentarisation était fille de l’agriculture et de l’élevage. Aujourd’hui, la question semble tranchée à l’inverse : la sédentarisation étant fille du paléolithique et à l’origine de l’agriculture. Lorsqu’on se penche plus précisément sur les faits, il apparaît que les réalités ont été multiples et nuancées, et que la fameuse révolution néolithique ne s’est pas faite de façon homogène et linéaire, et encore moins de la même façon selon les endroits.
Voici en 2000 ce qui est mentionné sur les Premiers paysans du monde : naissances des agricultures : [Séminaire du Collège de France] / sous la dir. de Jean Guilaine, et notamment dans le chapitre
« Le fait le plus neuf qui marque le Natoufien –et qu’on considère comme la première étape de la néolithisation du Levant- c’est l’apparition dans le Carmel et la Galilée… d’un mode de vie inédit caractérisé par des « villages » sédentaires ». p.14
« Ceci nous ramène au principal apport du natoufien, au phénomène qui en fait le premier épisode de la néolithisation au Proche Orient : la sédentarité. Mais rien n’est plus difficile à l’archéologie que de démontrer la présence des préhistoriens toute l’année au même endroit ». p. 26
« L’environnement a fourni les moyens de la sédentarité. Pour que celle-ci fût praticable, il fallait une nature suffisamment prodigue en ressources de toutes sortes, animales et végétales.». p. 28
« La sédentarité natoufienne était encore fondée sur une économie prédatrice » p. 29
En 2010, dans La révolution néolithique dans le monde / sous la dir. de Jean-Paul Demoule, voici comment est défini le proto-néolithique 1 (12500-10200 avt notre ère) : «
Thèse que reprend Jean Paul Demoule dans son ouvrage en 2017 Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire : lorsqu’on inventa l’agriculture, la guerre et les chefs : « Trois autres conditions ont été nécessaires. Il a fallu que les chasseurs-cueilleurs qui ont adopté agriculture et élevage soient déjà sédentaires afin de pratiquer l’agriculture, c’est à dire bénéficient d’un environnement favorable, dont les ressources alimentaires soient suffisantes et réparties sur l’ensemble de l’année, ce qui est souvent le cas des ressources aquatiques -poissons, coquillages, mammifères marins. » p. 23
François Bon résume le tout dans Sapiens en 2019 : vers -10000, «
«
Concernant le paléolithique récent en Europe, Boris Valentin donne des explications similaires dans Le paléolithique (2019) «
Mis à part quelques cas isolés d’habitats semi-permanents liés à l’exploitation d’abondantes ressources littorales au Portugal, en Bretagne et au Danemark, « durant quelques millénaires mésolithiques, l’Europe conserve donc des économies fondées sur des ressources sauvages, tandis que diverses espèces végétales et animales sont domestiquées dès le début de l’Holocène en plusieurs foyers : Amérique centrale et andine, Afrique septentrionale, Proche orient, Asie centrale, Chine et Nouvelle Guinée. Ces économies de chasseurs- agriculteurs, ou de chasseurs-éleveurs-cueilleurs, ou encore d’agriculteurs-éleveurs s’y édifient à différents rythmes. » p. 37
Cependant, la particularité de l’Europe est une persistance tardive de mode de vie exclusivement basé sur des ressources sauvages, parfois sédentaire : « à l’ouest du continent, en zone littorale, cette disparition fut particulièrement retardée là où
Pourtant, la "véritable" sédentarisation et économie agricole en Europe et en France va être le fait de l’expansion continue des communautés agricoles issues du Proche Orient, qui prennent pieds en Europe dans la seconde moitié du VIIe millénaire. L’ouvrage La révolution néolithique en France analyse dans le détail cette expansion, la cohabitation des chasseurs-cueilleurs avec les agriculteurs-éleveurs, puis la disparition ou assimilation des premiers au profit des seconds.
Concernant
Pré-histoires : la conquête des territoires / sous la direction de Nicolas Teyssandier et Stéphanie Thiébault
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