Quelle est la phrase exacte d'Emmanuel Lévinas où il dit que le visage de l'autre fait venir Dieu à l'idée ?
Question d'origine :
madame, monsieur, bonjour
je suis à la recherche de la phrase exacte d'Emmanuel Lévinas, extraite du livre "De Dieu qui vient à l'idée" où il exprime ceci : le visage de l'autre fait venir Dieu à l'idée.
je vous en remercie vivement,
Cordialement
Réponse du Guichet
Nous avons sélectionné des extraits de cet ouvrage mais les notions interreliées d "autre", de "visage" et de "Dieu" étant très présentes dans ces écrits, nous ne savons si nous avons trouvé ce que vous souhaitiez.
Bonjour,
La réflexion sur l’épiphanie du visage est présente dans de nombreux écrits d’Emmanuel Levinas dont Totalité et infini, comme le souligne l’article publié sur Universalis :
Toute sa vie durant, le philosophe Emmanuel Lévinas a poursuivi un seul et même combat: montrer pour quelles raisons l'éthique, qui trouve sa source dans l'expérience primordiale de la responsabilité pour autrui, doit être reconnue comme la vraie «philosophie première» digne de ce nom. Disciple de Husserl et de Heidegger, il est le pionnier de la phénoménologie française. C'est la découverte précoce de l'horreur nazie qui l'amène à remettre en cause un certain nombre d'évidences sous-jacentes à la philosophie occidentale, davantage attirée par le «Même» et la «Totalité» que par l'«Autre» et l'«Infini». De cette manière une phénoménologie centrée sur l'épiphanie du visage d'autrui vient s'allier au désir métaphysique du tout autre.
(...)
Autrui me regarde: l'épiphanie du visageL'expérience du «déchirement profond d'un monde attaché à la fois aux philosophes et
Totalité et infini «Autrui me regarde»: cet énoncé forme le cœur secret du livre, développé dans la longue analyse intitulée «Le Visage et l'extériorité». Ce qui se montre dans l'épiphanie du visage, «signification sans contexte», ce n'est rien d'autre que le concept de transcendance, c'est-à-dire l'idée d'Infini, telle que Descartes l'a exposée dans la troisième Méditation métaphysique. L'extériorité fonde ici une défense paradoxale de la subjectivité, ancrée directement dans la responsabilité «infinie» pour autrui. Tout au long de l'ouvrage, on voit se déployer l'idée nouvelle de «la subjectivité comme accueillant Autrui, comme hospitalité». Autrui, et non Dieu, est l'absolument autre.
Dans l’ouvrage que vous mentionnez, De Dieu qui vient à l'idée, cette réflexion, est retrouvée à de nombreuses reprises et plus particulièrement dans les chapitres «Note sur le sens», «Le sens de l’être» mais il n’est en revanche pas clairement énoncé que «le visage de l'autre fait venir Dieu à l'idée».
Dans la partie «à-dieu», Lévinas écrit ainsi:
Que la révélation soit l’amour de l’autre homme, que la transcendance de l’à-dieu, séparé d’une séparation derrière laquelle ne se récupère aucun genre commun aux séparés, ni même aucune forme vide qui les embrasserait ensemble, que le rapport de l’Absolu ou à l’Infini signifie éthiquement, c’est-à-dire dans la proximité de l’autre homme, étranger et possiblement nu, dénué et indésirable, mais aussi dans son visage qui me demande, irrécusablement visage vers moi tourné me mettant en question- tout ce la ne doit être pris pour une «nouvelle preuve de l’existence de Dieu». Problème qui n’a probablement de sens qu’à l’intérieur du monde. Tout cela décrit seulement la circonstance où le sens même du mot Dieu vient à l’idée ….
Il poursuit dans "Le droit d’être" (p. 253) :
Visage, par delà la manifestation et le dévoilement intuitif. Visage comme à-Dieu, naissance latente di sens. L’énoncé apparemment négatif de l’à-Dieu ou de la signification, se détermine ou se concrétise comme responsabilité pour le prochain, pour l’autre homme, pour l’étranger, à laquelle, dans l’ordre rigoureusement ontologique de la chose – du quelque chose, de la qualité, du nombre et de la causalité – rien n’oblige. Régime de l’autrement qu’être. La compassion et la sympathie auxquelles on voudrait réduire, comme à des éléments de l’ordre naturel de l’être, la responsabilité pour le prochain, sont déjà sous le régime de l’à-Dieu.
L’ouvrage Altérité et transcendance (reproduit sur philo5.com) expose de semblables considérations, p. 114 :
Il y a dans le visage la suprême autorité qui commande, et je dis toujours, c'est la parole de Dieu. Le visage est le lieu de la parole de Dieu. Il y a la parole de Dieu en autrui, parole non thématisée.
(…)
et p. 135
Infini qui «vient à l’idée» dans le commandement silencieux du visage. Parole de Dieu?
Nous ne savons si les passages sélectionnés vous intéressent et il faudra vraisemblablement vous plonger dans les écrits de Lévinas pour découvrir "La phrase recherchée".
Pour approfondir la question, nous vous suggérons la lecture de ces deux articles:
Orietta Ombrosi, «Le visage, dans la trace de l’Absent: comme dire/dé-dire le mot «Dieu»»,Yod, 15|2010, 261-276.
Maria Salmon, «La trace dans le visage de l’autre», Sens-Dessous, 2012/1 (N° 10), p. 102-111.