En quoi Philippe le Bel, Clément V et Jacques de Molay sont ils liés à la Franc-maçonnerie ?
Question d'origine :
En quoi Philippe le Bel, Clément V et Jacques de Molay, sont ils reliés à la Franc-maçonnerie ?
Réponse du Guichet
La dissolution de l'ordre des templiers et la condamnation de Jacques de Molay par Philippe Le Bel et Clément V, sont à l'origine d'une légende qui lie ces trois protagonistes à la franc-maçonnerie.
Bonjour,
Avec forts détails, nos diverses réponses apportées sur ces protagonistes, vous permettront de comprendre ce qui lie ces trois personnes à la franc-maçonnerie.
Jacques de Molay fut templier et élu grand-maître en 1298, alors que l'ordre venait de s'établir à Chypre, d'où étaient lancées quelques opérations contre l'Islam.
Dans notre réponse sur Jacques de Molay, nous mentionnions, entre autres, divers extraits de L’Encyclopaedia Universalis (consultable en ligne pour les abonné.es de la bibliothèque municipale de Lyon) :
Arrêté avec les autres Templiers de France le 13 octobre 1307, Molay avoua — sans avoir, semble-t-il, été torturé— les erreurs de l'ordre en matière de foi et de morale; il écrivit à tous ses frères pour les inciter à révéler ce qu'ils savaient. Il renouvela en août 1308, devant la commission cardinalice désignée par le pape, les aveux qu'il avait faits devant les enquêteurs royaux et l'Inquisition. Le pape s'étant réservé le jugement des personnes de quelques dignitaires, Molay refusa de coopérer avec la commission pontificale en novembre 1309. C'est donc sans l'avoir entendu que Clément V, en avril 1312, supprima l'ordre et, en décembre, déféra le jugement des dignitaires à trois cardinaux.
Par ailleurs, il est précisé que
Lorsqu’il mourut sur le bûcher le 18 mars 1314, le dernier Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay, pensait certainement que s’éteignait avec lui l’ordre des pauvres chevaliers du Christ.
(…)
S'agissant de l'ordre du Temple, aboli en 1312 sous les coups conjugués du roi de France Philippe IV le Bel et du pape Clément V, l'idée qu'il aurait secrètement subsisté pour donner naissance à la maçonnerie s'est formée au cours du XVIIIe siècle. Il s'y associa la conviction qu'un enseignement secret était dispensé aux templiers et qu'il avait existé un « ésotérisme du Temple » : cette croyance n'a jamais reçu la moindre confirmation documentaire et tous les spécialistes de l'histoire de l'ordre s'accordent pour n'y voir qu'une légende tardive et sans fondement.
Nous vous laissons lire l’intégralité de notre réponse sur Jacques Molay pour approfondir la question. Vous verrez ainsi que Philippe Le Bel tout comme Clément V sont à l’origine de la condamnation de Jacques Molay et de la légende qui entoure les trois protagonistes à la franc-maçonnerie.
Dans notre réponse sur Philippe le Bel nous citions l’ouvrage Philippe Le Bel de Jean Favier qui montre que la transformation des Templiers dans cette période sans croisades en Terre Sainte (fin de leur rôle militaire, développement de leur rôle d’usuriers), et leur attitude (indépendance farouchement défendue, refus d’une fusion avec l’ordre Hospitalier, orgueil) les ont rendus très impopulaires et ont favorisé les décisions prises contre eux.
« Quinze ans à peine après la perte de l’Orient latin, l’orgueil et l’âpreté au gain caractérisaient mieux l’ordre que la bravoure et la générosité. Les templiers n’étaient plus des preux. » (p. 432). Il n’est pas tendre non plus avec le grand maître du Temple Jacques de Molay.
Il ajoute à toutes ces raisons la campagne de calomnie exercée contre les templiers et des aveux certes forcés mais qui suscitèrent l’indignation dans tous les milieux de la chrétienté.
« Parmi les causes que la postérité a attribuées à la détermination de Philippe Le Bel et de Nogaret, peut-être a-t-on sous-estimé leur propre indignation. Le roi avait cru les dénonciations, si incroyables fussent-elles, et voilà que les aveux les confirmaient. Que ces aveux – du moins les premiers – fussent obtenus après torture suffit à nous faire douter de tout. Philippe Le Bel n’était pas un homme du XXe siècle, et la torture faisait partie de l’arsenal normal de la justice. Il ne venait à personne l’idée que des aveux étaient viciés par les moyens grâce auxquels on les obtenait.
Mais il ne s’élevait pas une seule voix pour jurer, en bloc, que tout ce qu’on reprochait au Temple n’était qu’un tissu de calomnies. Plus que des « crimes » eux-mêmes […], le Temple mourait de lâcheté. » (p. 442).
La notice sur Clément V, publiée dans L'Universalis mentionne aussi l'intervention de Clément V :
En marge du concile, Philippe le Bel contraint Clément V à supprimer l'ordre des Templiers en avril 1312. Le pape doit dissoudre lui-même l'ordre afin que le roi n'en porte pas la responsabilité, et effacer toutes traces de la participation du roi ou de ses agents à cette affaire des registres de la chancellerie pontificale.
De cette condamnation et de la dissolution de l'ordre des templiers découlent ce rapport avec la franc-maçonnerie. Dans Les Templiers - Leur faux trésor, leur vraie puissance, Xavier Hélary écrit :
« Pape clément ! Chevalier Guillaume de Nogaret ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu, pour recevoir votre juste châtiment. Maudits, maudits ! Vous serez tous maudits jusqu’à la treizième génération ! » Ce sont ces mots que, dans sa fameuse série Les Rois maudits, Maurice Druon met dans la bouche de Jacques de Molay sur son bûcher. Le dernier grand mâitre aurait été fondé à lancer une telle malédiction car Clément V, Guillaume de Nogaret et Philippe le Bel étaient bine les artisans, à des degrés divers, de la destruction de l’ordre dont il était à la tête (…) Les contemporains n’ont pas manqué de noter la proximité de la mort du pape et du roi de France avec le supplice du grand maître. Un chroniqueur italien, Ferreto de Ferretis, établi à Vérone et mort avant 1330, raconte qu’un templier du royaume de Sicile, conduit devant le pape aurait cité celui-ci à comparaître devant le « tribunal du ciel » ; puis, sur le bûcher, il aurait fait appel à Dieu du jugement inique qui l’avait condamné, et cité non seulement le pape, mais aussi le roi de France Philippe.
A partir de là se met en place toute une « légende », l’idée « conspirationniste » qu’il existerait un lien entre cet ordre, disparu au XIVe siècle, et la franc-maçonnerie..
Ainsi, sur retronews William Blanc revient sur ces différents épisodes, à savoir la condamnation de Jacques de Molay et la malédiction de celui-ci proférée à l’encontre du roi et du pape, et note:
Il faut toutefois attendre le XVIe siècle pour que des érudits, notamment Paul Émile dans son De rebus gestis francorum (1548), dramatise l’exécution de Molay en lui faisant prononcer une malédiction contre Philippe le Bel.
Cet épisode fictif connaît un regain de popularité au XVIIIe siècle avec la création de la franc-maçonnerie spéculative. Dès 1736, durant l’une des premières grandes réunions du groupe en France, Andrew Michael Ramsay prononce un discours devenu célèbre, où il trace une filiation directe entre l’organisation et la chevalerie du Moyen Âge. De là à faire le lien vers les templiers, il n’y a qu’un pas, franchi très rapidement dans de nombreux textes comme l’un des premiers pamphlets antimaçonniques, Nouveau catéchisme des francs-maçons, contenant tous les mystères de la maçonnerie (1748) de Louis Travenol dans lequel on peut lire :
« Les Instituteurs de la Maçonnerie, & leurs dignes Proselytes, ne tenoient-ils pas quelque chose de cet ancien Ordre [du temple] ?
Et depuis que l’on ne dit plus, ils boivent comme des Templiers, ce proverbe, que l’éloignement des temps nous a fait perdre, ne se remplaceroit-il pas naturellement par celui-ci, ils boivent comme des Francs-Maçons. »
L’idée d’une filiation templière des groupes maçonniques est reprise explicitement par les maçons eux-mêmes lorsque l’un d’entre eux, le baron Karl Gotthelf von Hund, fonde en 1755 en Allemagne le rite de la Stricte observance templière, qui va rapidement connaître une grande popularité en France avant d’être rejeté par une majorité des pratiquants lors du convent général de Wilhelmsbad en 1782.L’affaire aurait donc pu en rester là sans l’éclatement de la Révolution française. Certains auteurs qui lui sont hostiles, plutôt que de critiquer la monarchie ou l’injustice foncière de la société d’ordres, cherchent rapidement des causes simples à son éclatement.
D’abord discrètes, ces théories deviennent de plus en plus populaires après la poussée des royalistes dans l’opinion suite à l’étouffement des insurrections du 12 germinal (1er avril 1795) et du 1er prairial an III (20 mai 1795), l’instauration du Directoire puis l’échec de la conjuration des égaux de Gracchus Babeuf. La parution monarchiste Le Miroir du 12 juin 1796 raconte ainsi :
« Les brochures commencent à reparaître ; nous en avons une sous les yeux d’une singularité piquante.
L’auteur établit par une suite de rapprochemens [sic] très ingénieusement enlacés, et par dés prédictions bisares de nos pères, mais la plupart vérifiées, que les jacobins sont les descendans des francs-maçons, qui l’étaient des templiers, lesquels axaient juré la destruction des rois, et notamment, des descendans de Philippe-le-Bel, qui les avait brûlés tout vifs pour avoir leurs richesses ;
et surtout Jacques Molai leur grand maître. »
( …)
La brochure dont il est question s’intitule Le tombeau de Jacques Molai ou Histoire secrète et abrégée des initiés, anciens et modernes, des Templiers, francs-maçons, illuminés, etc. Elle a été écrite par Charles-Louis Cadet de Gassicourt, royaliste convaincu qui explique tous les grands événements de la Révolution à la lumière d’un vaste complot. Pour lui, aucun donc, le 14 juillet 1789 est avant toute une vengeance des descendants spirituels et politiques de de Molay, accomplissant ainsi sa malédiction.
Il n’hésite pas, au passage, comme Le Censeur des journaux, à enlever la particule du nom du grand-maître (« Jacques de Molay ») pour en faire un homme du Tiers-État (« Jacques Molai »), et à tracer un lien entre les templiers et les protestants suisses (venus de Morat, dans l’actuel canton de Fribourg) pour faire croire à l’existence d’une cabale dirigée depuis l’étranger.
Divers auteurs dont Roger Dachez et Jean-Marc Pétillot reviennent dans le « Chapitre II. La légende templière et la Stricte Observance », de l’ouvrage Le Rite Écossais Rectifié, sur cette origine :
Si elle inspire de nos jours des romanciers imaginatifs et fait prospérer, parfois tragiquement, les aventuriers de tous poils et quelques escrocs, l’opinion selon laquelle l’Ordre du Temple, aboli en 1312 sous les coups conjugués du roi de France Philippe le Bel et du pape Clément V aurait persisté secrètement en donnant naissance à la franc-maçonnerie, n’est pas récente. Elle semble s’être formée dans le premier tiers du xviiie siècle et dut se constituer en deux temps :
– le premier fut d’affirmer l’innocence de « l’Ordre martyr », opinion assez généralement admise dès le milieu du xviie siècle, transmise dans des ouvrages de grand renom comme l’Histoire de la condamnation des Templiers, publiée par Pierre Dupuy en 1654 et rééditée quatre fois jusqu’en 1751, ou la prestigieuse Histoire des Religions ou Ordres militaires de l’Église et des Ordres de Chevalerie de Jean Hermant, parue en 1725. Il s’y associa la conviction qu’un enseignement secret était dispensé aux Templiers et qu’il existait un « ésotérisme du Temple », source de l’ésotérisme maçonnique. Cette idée, dont on trouve la trace dès 1531 dans la Philosophie occulte d’Agrippa, fut sans doute inspirée par les accusations d’hérésie et de sacrilèges divers dont les Templiers furent couverts lors de leurs procès – et que Jacques de Molay lui-même, leur grand Maître promis au bûcher, nia jusqu’au dernier instant….
Pour compléter cette première approche, nous vous suggérons : Chevaliers et francs-maçons : approche contemporaine du rite écossais rectifié.
Sur le pape Clément V, vous pourriez aussi consulter Un pape dans l’histoire. Clément V le sacrifice des templiers
Bonnes lectures.