Combien de Français ont collaboré avec les nazis durant l'Occupation ?
Question d'origine :
Quel pourcentage de la population française de l'époque représentent ceux qui ont activement collaborer avec les nazis durant l'Occupation ? Et quel sort ont-ils eu à l'après-guerre ? Ont-ils pu faire comme si de rien était ou ont-ils massifemment été inquiétés, jugés ou punis pour leur trahisons ?
Réponse du Guichet
Il est impossible de donner un chiffre précis de la collaboration active. Toutefois, l'historiographie récente a retenu le chiffre de 0,24% de la population française totale (en comptabilisant 40 300 000 habitants au 1er janvier 1945) grâce à la publication d'un document officiel en 2015.
Bonjour,
Pour répondre à votre première question il faut d’abord rappeler la difficulté existante pour chiffrer l’acte de collaboration en tant que tel. Déjà, car il est parfois peu aisé de faire la différence entre une collaboration active et une collaboration passive et surtout de l’attester dans les sources que nous possédons.
Toutefois, l'historien Dominique Lormier nous apporte un premier élément de réponse dans son livre intitulé précisément Les 100 000 collabos : en s'appuyant sur un fichier réalisé en 1945 par le Service du contre-espionnage de l'armée, il recense alors 96 492 personnes soupçonnées de collaboration soit 82 148 hommes et 14 344 femmes. Cette estimation donne lieu à un pourcentage de 0,24% de la population française totale (en comptabilisant 40 300 000 habitants au 1er janvier 1945).
Néanmoins, ce chiffre n’est qu’une estimation, basse, qui ne prend en compte que les données du fichier réalisé par le colonel Paul Paillole. Le fichier ne tiens pas compte des sympathisants que l’on peut estimer à un chiffre deux à trois fois supérieur à celui annoncé. De même, ce fichier possède des biais : surestimation de l’implication des femmes, sous-estimation de l’implication des industriels et entreprises ou bien tout simplement le fait que le nom du maréchal Pétain n’apparaisse même pas sur le fichier alors que celui de Pierre Laval y figure !
Il est donc impossible de donner une estimation réellement précise de la collaboration active. Le chiffre des 96492 collaborateurs est cependant resté dans les mémoires, d’autant plus qu’il correspond au nombre de condamnés pendant l’épuration légale (de 1944 à 1953) soit environ 97 000 personnes sur 300 000 dossiers.
Quant au sort des soupçonnés de la collaboration, indépendamment des trajectoires personnelles, la plupart ont été massivement inquiétés pour leur action. On distingue alors ainsi deux périodes: l’Épuration dite « sauvage » qui a eu lieu à la Libération et l’Épuration légale qui débute à l’automne 1944 et continue jusqu’en 1953.
L’épuration extra-judiciaire que l’on a qualifié de « sauvage » se caractérise par une volonté de justice qui se mêle à l’envie de vengeance des victimes de l’Occupation : c’est l’heure des « règlements de compte » comme l’écrit l’historien Henri Amouroux : ils sont synonyme de tensions souvent longtemps contenues pendant 4 ans sous l’Occupation. Une chasse aux collaborateurs est ainsi lancée par une minorité de résistants qui forment hors de la légalité des tribunaux clandestins visés à juger tout individu soupçonné de collaboration. Ces manifestations mènent à des débordements, parfois même à des exécutions sommaires avant et pendant la Libération et dont les victimes sont comptabilisées au nombre de 9 000 à 10 000 selon l’historiographie récente (voir cet article d'Henry Rousso).
La représentation majeure de cette épuration est la tonte des femmes. Environ 20 000 femmes sont accusées de collaboration « horizontale », d’avoir entretenu des relations intimes avec des Allemands (voir les travaux de Fabrice Virgili). Pour les « punir » et les montrer en exemple, elles sont humiliées, tondues et parfois déshabillées de force aux yeux de tous sur place publique.
L’Épuration légale quant à elle est prévue et organisée dès août 1943 jusqu’en 1946 : elle vise à créer de nouvelles institutions judiciaires pour juger tous les suspectés de collaboration. Ainsi naît la sanction d’ « indignité nationale » provoquant la mise au ban du suspect et permettant la « dégradation nationale ». Cette dégradation prive l’individu de certains de ses droits comme le droit de vote, l’impossibilité de travailler dans la fonction publique ou de porter des décorations militaires, l’exclusion au sein de fonctions de direction au sein d’entreprises, banques, syndicats, presse et radio. Certaines sanctions iront même jusqu’à la confiscation de biens ou la suspension du versement de la retraite.
Ces nouvelles cours de justice sont installées dans chaque département. Elles vont traiter 311 200 dossiers exactement dont 183 500 sont classés sans suite. 55 300 personnes sont jugées dont 6 700 acquittées et 3 500 sujets à la dégradation nationale. Les 32 000 accusés restants sont condamnés à des peines de prison, des travaux forcés ou à la peine de mort. On compte alors 6 763 condamnés pour 767 exécutés réellement. Une Haute Cour de justice, composée des députés de l’Assemblée constituante, juge les chefs de gouvernement, les ministres et hauts fonctionnaires de Vichy. Sur les 108 dossiers présentés il y a 42 non-lieux, 3 acquittements, 14 peines de prison, 8 peines de travaux forcés, 15 peines de dégradation nationale (dont 7 sont révoquées pour faits de Résistance). Sont également prononcées 18 peines de morts dont 3 exécutés : Pierre Laval, Joseph Darnand, Fernand de Brinon. 5 commuées (parmi celles-ci, le maréchal Pétain) et 10 prononcées par contumace.
L’Épuration a donc l’énorme tâche de juger dans son ensemble tous les collaborateurs possibles mais la trajectoire de ces milliers d’individus reste hétérogène et ancrés dans des trajectoires personnelles. Les plus durement touchés par l’Épuration sont les femmes mais aussi les intellectuels et pour cause, leur visibilité. L’historien Pierre Assouline écrit dans L’Épuration des intellectuels à ce propos :
« Boucs émissaires faciles à désigner à la vindicte publique parce que connus de tous – et pour cause! -, les journalistes et les écrivains étaient une proie d’autant plus évidente qu’ils n’étaient pas soutenus par d’importantes puissances d’argent et qu’ils ne représentaient pas un enjeu économique nécessaire à la reconstruction nationale ».
On comprend donc bien que certains collabos échappèrent à cette justice : une partie des industriels mais également une partie des religieux. Mais ce n’est pas tout ! Certains collaborateurs ont pris la fuite dès la Libération notamment des hauts fonctionnaires du régime de Vichy. Parmi les cas les plus célèbres : celui de Klaus Barbie, chef de la Gestapo lyonnaise, qui est arrêté quarante ans plus tard en 1983 et jugé en 1987, condamné à la prison à perpétuité. Mais ces procès sont loin de faire l’unanimité dans l’opinion publique et pour cause, l’inégalité des verdicts : Paul Touvier, chef de la Milice de Lyon, fut condamné deux fois à mort par contumace mais à chaque fois en cavale. Il est gracié par le président Pompidou en 1971 puis à nouveau condamné en 1994 à la réclusion perpétuelle.
Dernièrement, pour terminer d’évoquer le sort des collaborateurs, il convient également d’évoquer l’amnistie qui accompagna le climat d’après-guerre. Le 16 août 1947, une première loi est votée afin d’amnistier les mineurs ayant appartenu à des organismes de collaboration ou ayant été condamnés pour faits de collaboration. Une autre loi intervient le 5 janvier 1941 et élargit l’amnistie aux Alsaciens-Lorrains ayant été engagés dans les armées allemandes. Cette même loi transforme la peine de dégradation en peine correctionnelle de 20 ans maximum. Enfin, une dernière loi vient compléter celle-ci le 6 août 1953 en accordant une amnistie à tous ceux dont la peine est inférieure à 5 ans, aux jeunes de moins de 21 ans ainsi qu’à tous ceux condamnés à la dégradation nationale.
L’amnistie exclut donc les individus :
« qui se sont rendus coupables de meurtre, de viol, de dénonciation ou qui, par leur agissements ou leurs écrits, ont sciemment exposé ou tenté d’exposer des personnes à la torture, à la déportation ou à la mort ou qui ont sciemment concouru à l’action de l’armée ou des services de police ou d’espionnage ennemis » (selon le chapitre II de la loi du 6 août 1953 publiée dans le Journal officiel).
De fait, l’amnistie n’est pas totale mais elle provoquera quand même de nombreux débats dans la reconstruction d’une nation brisée.
Le sujet étant très riche, nous pouvons vous conseiller de nombreuses lectures. Voici quelques recommandations :
- Dominique Lormier, Les 100 000 collabos : le fichier interdit de la collaboration française, 2017.
- Marc Bergère, L'épuration en France, 2018.
- Jean-Paul Cointet, Expier Vichy : l'épuration en France, 2008.
- Robert Aron, De l'indulgence aux massacres (novembre 1942 - septembre 1944), 1975.
- Marc-Olivier Baruch (dir.), Une poignée de misérables : l'épuration de la société française après la Seconde Guerre mondiale, 2003.
- Fabrice Virgili, La France virile : des femmes tondues à la Libération, 2000.
Ainsi que ces précédentes questions du guichet :
- Dans les régimes totalitaires, la part de collaborateurs et d'attentistes est-elle constante ?
- Guerre 1939 - 1945
- femmes tondues
Bonnes lectures ! :)
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