Question d'origine :
Bonjour,
Je m'interroge sur quelles pourraient etre les grandes questions societales des annees a venir. Je pense que la lutte pour l'egalite entre les especes pourraient faire partie des themes qui devraient émerger rapidement.
Apres l'egalite entre les peuples, puis l'égalité entre les sexes l'antispecisme sera-t-il prochainement largement discuté ?
Quels sont les auteurs contemporains qui abordent déjà le sujet ?
Quels sont leurs principaux arguments pour défendre l'idee que l'espèce à laquelle appartient un être n'est pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter et des droits qu'on doit lui accorder?
D'avance merci pour l'amorce que vous donnerez à ma réflexion.
Réponse du Guichet
gds_db
- Département : Equipe du Guichet du Savoir
Le 12/07/2016 à 09h56
Bonjour,
Le combat que mène le mouvement antispéciste de libération animale revendique un traitement identique pour les hommes et pour les animaux, en vertu de leur capacité commune à vouloir vivre et à pouvoir souffrir. La profession de foi de ce courant peut se résumer ainsi : « Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe. En pratique, le spécisme est l’idéologie qui justifie et impose l’exploitation et l’utilisation des animaux par les humains de manières qui ne seraient pas acceptées si les victimes étaient humaines […]. La lutte contre ces pratiques et contre l’idéologie qui les soutient est la tâche que se donne le mouvement de libération animale. »
Cette mouvance, en conflit avec la société globale, lutte pour l’abolition de la division du monde entre dominés et dominants et pour la liberté des humains comme des animaux.
[...]
Pour les antispécistes, la question fondamentale est celle de l’alimentation carnée qui conduit à interroger la problématique de sa « fatalité biologique » concernant l’être humain. S’il est incontestable que le lion et le tigre n’ont pas d’autre choix qu’un régime carnivore, l’homme peut opter pour une autre alimentation. Manger de la viande n’est pas pour lui une nécessité vitale, comme en témoignent les pratiques végétariennes en tout temps et en tout lieu, ce qui constitue pour les militants antispécistes un fait avéré, non une opinion subjective. Consommer de la chair animale n’est indispensable ni pour vivre en bonne santé, ni pour mener une vie épanouissante, ni pour jouir des plaisirs de la table. L’homme, en tant qu’animal omnivore capable de créer et d’infléchir ses propres choix et pratiques, peut se passer de viande s’il le décide, et s’orienter vers le végétarisme sans dommage, contrairement aux autres animaux prédateurs. [...]
À leurs yeux, la question est en effet politique, au même titre que la lutte contre la torture, le racisme, le sexisme ou le fascisme. Quand la défense animale fait appel à la compassion et à la sensibilité individuelle, les antispécistes cherchent à atteindre la raison, la responsabilisation éthique et citoyenne des gens. [...]
Du point de vue libérationniste, ce qui justifie de respecter l’individu animal n’est pas qu’il appartienne à une espèce en voie de disparition, ni qu’il plaise aux humains, mais le fait qu’il soit vivant et capable de souffrir. À ce titre, les antispécistes mettent sur un même plan les humains et les animaux, tous à libérer de la domination et de la souffrance qui lui est associée. De même, ils refusent d’opérer des différenciations entre les humains « exploiteurs d’animaux » et les autres. Thomas enchaîne : « Il n’y a pas lieu de distinguer entre “eux”, les “méchants”, et “nous”, les “gentils”. Nous sommes tous responsables, mais pas coupables. » L’antispécisme serait ainsi une nouvelle forme d’humanisme-animalisme qui s’inscrirait dans la lignée des mouvements de libération pour les humains opprimés (esclaves, Noirs, femmes, homosexuels) avec le désir d’obtenir des succès comparables.
source : Dubreuil Catherine-Marie, « L'antispécisme, un mouvement de libération animale », Ethnologie française 1/2009 (Vol. 39) , p. 117-122
Retour sur l'origine du mouvement :
Le mot spécisme, créé au début des années 1970 par Richard Ryder, a été diffusé au niveau international par le philosophe utilitariste Peter Singer, auteur du livre Animal Liberation (1975) qui a inspiré de nombreux mouvements pour les droits des animaux. Singer reprend une observation de Jeremy Bentham, fondateur de l’utilitarisme, selon lequel la question à se poser pour établir si les animaux ont droit à une reconnaissance morale et légale n’est pas s’ils peuvent raisonner, ni s’ils peuvent parler, mais s’ils sont capables de souffrir. Singer s’engage à tirer de ce principe des conclusions cohérentes. Il serait injuste, selon lui, de privilégier a priori les intérêts des êtres humains sur ceux des membres d’autres espèces animales : il faut donc d’abord procéder à une évaluation du plaisir et de la souffrance vécus par les uns et les autres en fonction de certaines actions. À la différence de Bentham, selon lequel leur droit était de ne pas souffrir à cause des humains, Singer reconnaît aux animaux le droit à la vie, et il condamne donc des habitudes traditionnelles en Occident comme la consommation de viande ou les pratiques de vivisection. Le terme spécisme, crée sur le modèle de racisme, dénonce l’attitude des humains consistant à discriminer les êtres vivant selon leur espèce d’appartenance. L’espèce ne serait pas, selon les antispécistes, une barrière au-delà de laquelle les préoccupations morales pourraient s’arrêter : la morale doit prendre en compte tous les êtres capables de souffrir (Jeangène Vilmer, 2008, 45-78).
source : Turina Isacco, « Éthique et engagement dans un groupe antispéciste », L'Année sociologique 1/2010 (Vol. 60) , p. 161-187
Lire aussi : Encyclopaedia universalis
Pour aller plus loin, nous vous orientons tout d'abord vers cette précédente réponse du département Civilisation : relation homme/animal qui proposait de nombreuses pistes de réflexion.
En complément, voici quelques ouvrages que vous pourrez consulter :
- La libération animale / Peter Singer; préface de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Les animaux souffrent. Comme nous. Ils doivent donc être considérés autrement. Ce livre a déclenché le débat contemporain en éthique animale et changé notre regard sur les animaux. Depuis sa parution en 1975, il est devenu un classique incontournable, traduit dans une vingtaine de langues et vendu à près d'un million d'exemplaires.
- Ethique animale / Jean-Baptiste Jeangene Vilmer
L'éthique animale est l'étude du statut moral des animaux, c'est-à-dire de la responsabilité des hommes à leur égard. Pour la première fois dans le monde francophone, cette discipline d'origine anglo-saxonne est introduite dans un style clair et pédagogique, dans une perspective interdisciplinaire, à la fois théorique et pratique, qui s'adresse autant aux étudiants et aux chercheurs qu'aux professionnels de la protection animale et au grand public.
- Les animaux aussi ont des droits / Boris Cyrulnik, Elisabeth de Fontenay, Peter Singer
Trois spécialistes de la question animale, un philosophe, un éthologue et un bio-éthicien s'interrogent sur les droits des animaux aujourd'hui, lorsque la science reconnaît qu'ils sont capables d'intelligence et sensibles à la douleur. Plusieurs options se présentent : la reconnaissance de la personnalité morale, des droits éventuellement différenciés selon les espèces, etc.
- Antispéciste : réconcilier l'humain, l'animal, la nature / Aymeric Caron
Un essai consacré à l'antispécisme, un mouvement idéologique qui promeut la nécessité d'accorder les mêmes droits à tous les êtres vivants, sans hiérarchie entre les espèces. Selon l'auteur, l'écologie politique a échoué mais peut faire place à l'écologie essentielle, qui repense la place de l'homme dans le monde pour vivre en symbiose avec toute forme de vivant.
- Pour une communauté humaine et animale : la question de la dignité animale / Laurence Harang
Réflexions sur la reconnaissance du statut d'être sensible à l'animal. L'auteure, adepte de l'antispécisme, fonde une analogie entre les droits des animaux et ceux des hommes, et redoute l'instauration d'une hiérarchie entre les espèces, qui introduirait une discrimination entre les êtres vivants.
- Libération animale et végétarisation du monde : ethnologie de l'antispécisme français / Catherine-Marie Dubreuil
L'antispécisme, mouvement idéologique développé en France depuis 1985, est fondé sur le principe que tout être vivant est doué de sentiments et de sensations. Bouleversant les habitudes alimentaires, les rapports des hommes aux animaux mais aussi à la nature dans son ensemble, ce mouvement et son évolution sont ici analysés.
Quelques articles ou chapitres de livres :
- L’éthique animale - Chapitre II L’Antispécisme / Jean-Baptiste Jeangene Vilmer
- L'autonomie brisée - Chapitre III. L’animal, le plus autrui des autrui / Corine Pelluchon
- Forme et objet : un traité des choses - Chapitre V. Animaux / Tristan Garcia
- L’antispécisme, un mouvement de libération animale / Catherine-Marie Dubreuil, Ethnologie française 1/2009 (Vol. 39) , p. 117-122
Une émission France Culture à écouter : L'antispécisme est-il un humanisme ?
Bonne journée.
Le combat que mène le mouvement antispéciste de libération animale revendique un traitement identique pour les hommes et pour les animaux, en vertu de leur capacité commune à vouloir vivre et à pouvoir souffrir. La profession de foi de ce courant peut se résumer ainsi : « Le spécisme est à l’espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe. En pratique, le spécisme est l’idéologie qui justifie et impose l’exploitation et l’utilisation des animaux par les humains de manières qui ne seraient pas acceptées si les victimes étaient humaines […]. La lutte contre ces pratiques et contre l’idéologie qui les soutient est la tâche que se donne le mouvement de libération animale. »
Cette mouvance, en conflit avec la société globale, lutte pour l’abolition de la division du monde entre dominés et dominants et pour la liberté des humains comme des animaux.
[...]
Pour les antispécistes, la question fondamentale est celle de l’alimentation carnée qui conduit à interroger la problématique de sa « fatalité biologique » concernant l’être humain. S’il est incontestable que le lion et le tigre n’ont pas d’autre choix qu’un régime carnivore, l’homme peut opter pour une autre alimentation. Manger de la viande n’est pas pour lui une nécessité vitale, comme en témoignent les pratiques végétariennes en tout temps et en tout lieu, ce qui constitue pour les militants antispécistes un fait avéré, non une opinion subjective. Consommer de la chair animale n’est indispensable ni pour vivre en bonne santé, ni pour mener une vie épanouissante, ni pour jouir des plaisirs de la table. L’homme, en tant qu’animal omnivore capable de créer et d’infléchir ses propres choix et pratiques, peut se passer de viande s’il le décide, et s’orienter vers le végétarisme sans dommage, contrairement aux autres animaux prédateurs. [...]
À leurs yeux, la question est en effet politique, au même titre que la lutte contre la torture, le racisme, le sexisme ou le fascisme. Quand la défense animale fait appel à la compassion et à la sensibilité individuelle, les antispécistes cherchent à atteindre la raison, la responsabilisation éthique et citoyenne des gens. [...]
Du point de vue libérationniste, ce qui justifie de respecter l’individu animal n’est pas qu’il appartienne à une espèce en voie de disparition, ni qu’il plaise aux humains, mais le fait qu’il soit vivant et capable de souffrir. À ce titre, les antispécistes mettent sur un même plan les humains et les animaux, tous à libérer de la domination et de la souffrance qui lui est associée. De même, ils refusent d’opérer des différenciations entre les humains « exploiteurs d’animaux » et les autres. Thomas enchaîne : « Il n’y a pas lieu de distinguer entre “eux”, les “méchants”, et “nous”, les “gentils”. Nous sommes tous responsables, mais pas coupables. » L’antispécisme serait ainsi une nouvelle forme d’humanisme-animalisme qui s’inscrirait dans la lignée des mouvements de libération pour les humains opprimés (esclaves, Noirs, femmes, homosexuels) avec le désir d’obtenir des succès comparables.
source : Dubreuil Catherine-Marie, « L'antispécisme, un mouvement de libération animale », Ethnologie française 1/2009 (Vol. 39) , p. 117-122
Retour sur l'origine du mouvement :
Le mot spécisme, créé au début des années 1970 par Richard Ryder, a été diffusé au niveau international par le philosophe utilitariste Peter Singer, auteur du livre Animal Liberation (1975) qui a inspiré de nombreux mouvements pour les droits des animaux. Singer reprend une observation de Jeremy Bentham, fondateur de l’utilitarisme, selon lequel la question à se poser pour établir si les animaux ont droit à une reconnaissance morale et légale n’est pas s’ils peuvent raisonner, ni s’ils peuvent parler, mais s’ils sont capables de souffrir. Singer s’engage à tirer de ce principe des conclusions cohérentes. Il serait injuste, selon lui, de privilégier a priori les intérêts des êtres humains sur ceux des membres d’autres espèces animales : il faut donc d’abord procéder à une évaluation du plaisir et de la souffrance vécus par les uns et les autres en fonction de certaines actions. À la différence de Bentham, selon lequel leur droit était de ne pas souffrir à cause des humains, Singer reconnaît aux animaux le droit à la vie, et il condamne donc des habitudes traditionnelles en Occident comme la consommation de viande ou les pratiques de vivisection. Le terme spécisme, crée sur le modèle de racisme, dénonce l’attitude des humains consistant à discriminer les êtres vivant selon leur espèce d’appartenance. L’espèce ne serait pas, selon les antispécistes, une barrière au-delà de laquelle les préoccupations morales pourraient s’arrêter : la morale doit prendre en compte tous les êtres capables de souffrir (Jeangène Vilmer, 2008, 45-78).
source : Turina Isacco, « Éthique et engagement dans un groupe antispéciste », L'Année sociologique 1/2010 (Vol. 60) , p. 161-187
Lire aussi : Encyclopaedia universalis
Pour aller plus loin, nous vous orientons tout d'abord vers cette précédente réponse du département Civilisation : relation homme/animal qui proposait de nombreuses pistes de réflexion.
En complément, voici quelques ouvrages que vous pourrez consulter :
- La libération animale / Peter Singer; préface de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Les animaux souffrent. Comme nous. Ils doivent donc être considérés autrement. Ce livre a déclenché le débat contemporain en éthique animale et changé notre regard sur les animaux. Depuis sa parution en 1975, il est devenu un classique incontournable, traduit dans une vingtaine de langues et vendu à près d'un million d'exemplaires.
- Ethique animale / Jean-Baptiste Jeangene Vilmer
L'éthique animale est l'étude du statut moral des animaux, c'est-à-dire de la responsabilité des hommes à leur égard. Pour la première fois dans le monde francophone, cette discipline d'origine anglo-saxonne est introduite dans un style clair et pédagogique, dans une perspective interdisciplinaire, à la fois théorique et pratique, qui s'adresse autant aux étudiants et aux chercheurs qu'aux professionnels de la protection animale et au grand public.
- Les animaux aussi ont des droits / Boris Cyrulnik, Elisabeth de Fontenay, Peter Singer
Trois spécialistes de la question animale, un philosophe, un éthologue et un bio-éthicien s'interrogent sur les droits des animaux aujourd'hui, lorsque la science reconnaît qu'ils sont capables d'intelligence et sensibles à la douleur. Plusieurs options se présentent : la reconnaissance de la personnalité morale, des droits éventuellement différenciés selon les espèces, etc.
- Antispéciste : réconcilier l'humain, l'animal, la nature / Aymeric Caron
Un essai consacré à l'antispécisme, un mouvement idéologique qui promeut la nécessité d'accorder les mêmes droits à tous les êtres vivants, sans hiérarchie entre les espèces. Selon l'auteur, l'écologie politique a échoué mais peut faire place à l'écologie essentielle, qui repense la place de l'homme dans le monde pour vivre en symbiose avec toute forme de vivant.
- Pour une communauté humaine et animale : la question de la dignité animale / Laurence Harang
Réflexions sur la reconnaissance du statut d'être sensible à l'animal. L'auteure, adepte de l'antispécisme, fonde une analogie entre les droits des animaux et ceux des hommes, et redoute l'instauration d'une hiérarchie entre les espèces, qui introduirait une discrimination entre les êtres vivants.
- Libération animale et végétarisation du monde : ethnologie de l'antispécisme français / Catherine-Marie Dubreuil
L'antispécisme, mouvement idéologique développé en France depuis 1985, est fondé sur le principe que tout être vivant est doué de sentiments et de sensations. Bouleversant les habitudes alimentaires, les rapports des hommes aux animaux mais aussi à la nature dans son ensemble, ce mouvement et son évolution sont ici analysés.
Quelques articles ou chapitres de livres :
- L’éthique animale - Chapitre II L’Antispécisme / Jean-Baptiste Jeangene Vilmer
- L'autonomie brisée - Chapitre III. L’animal, le plus autrui des autrui / Corine Pelluchon
- Forme et objet : un traité des choses - Chapitre V. Animaux / Tristan Garcia
- L’antispécisme, un mouvement de libération animale / Catherine-Marie Dubreuil, Ethnologie française 1/2009 (Vol. 39) , p. 117-122
Une émission France Culture à écouter : L'antispécisme est-il un humanisme ?
Bonne journée.
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