Est-il possible de déshériter son enfant en France ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans le cadre de cas pratique en gestion de patrimoine ; je recherche de la documentation ( tous supports confondus) qui me permettrai d'élaborer ma réponse sur la possibilté de d'hésériter un enfant par le(s) parent(s) .
J'aurais voulu savoir comment un enfant peut être déshérité en france ( quelle loi qui le permet),
-est ce qu'il y a une loi étrangère qui permet de déhérité un enfant habitant en france ? ou habitant à l'étranger, et si oui qu'elles sont elles s'il vous plaît ( en fonction de son lieu de localisation)?
-Est ce qu'il y a des pénalités via la loi française ou étrangère lorsqu'un parent souhaite déshérité son enfant? si oui lequel?
Et si on ne trouve rien , pour quelle raison ce n'est pas possible de déhériter son enfant en france?
Merci infiniment
Réponse du Guichet
En France, l’exclusion totale d’un enfant d’une succession est impossible sauf si celui-ci se trouve en situation d'indignité. La réserve héréditaire est la part du patrimoine qui revient aux héritiers dits réservataires. Il est toutefois possible d'avantager certains enfants par le biais de l'assurance vie. Lorsque la personne qui meurt habite dans un pays étranger, c’est la loi de ce pays en matière de succession qui s’applique. Or, certains pays admettent la possibilité de déshériter les enfants. Toutefois, la loi du 24 août 2021 a établi un droit de prélèvement compensatoire pour les enfants qui se retrouvent lésés.
Bonjour,
Nous avons déjà répondu à votre question mais pouvons tenter d'approfondir certains points.
Comme indiqué dans ces précédentes réponses Peut-on éliminer un de ses enfants de la transmission de capitaux via l’assurance vie ? et Patrimoine : Environnement fiscal et assurance vie, l’exclusion totale d’un enfant d’une succession est impossible sauf si celui-ci se trouve en situation d'indignité. La réserve héréditaire est la part du patrimoine qui revient aux héritiers dits réservataires. Il est toutefois possible d'avantager certains enfants par le biais de l'assurance vie qui permet de regagner en marge de manœuvre au moment d’organiser sa transmission :
S’il n’est pas possible de déroger à l’application du code civil, c’est à dire une transmission organisée et rigoureuse du patrimoine successoral par le code civil, il est tout à fait possible de réduire la base sur laquelle le notaire chargé de la succession devra appliquer la réserve.
L’application de la réserve est obligatoire et il ne pourra pas être possible d’y déroger, mais en réduisant la masse sur laquelle la réserve est calculée, c’est le montant de la réserve et de la quotité disponible qui est automatiquement réduit.
Pour réduire la masse successorale sur laquelle s’appliquera le calcul de la réserve, rien de compliqué, puisque la simple souscription d’un contrat d’assurance vie suffit
source : Comment deshériter ses enfants en toute légalité ? / Guillaume FONTENEAU
En revanche, lorsque la personne qui meurt habite dans un pays étranger, c’est la loi de ce pays en matière de succession qui s’applique. Or, certains pays admettent la possibilité de déshériter les enfants. Toutefois, la loi du 24 août 2021 a établi un droit de prélèvement compensatoire pour les enfants qui sont lésés. Voici ce qu'indique le site du ministère de l'Intérieur pour le cas d'une succession d'un français résidant à l'étranger :
Le défunt résidait à l'étranger
Succession ouverte avant le 1er novembre 2021
Application de la loi étrangère
Lorsqu'un Français résidait habituellement à l'étranger, la loi étrangère s'applique à l'ensemble de sa succession (biens mobiliers et biens immobiliers).
Or, certains pays admettent la possibilité de déshériter ses enfants.
Le notaire chargé de la succession ou le juge saisi par les héritiers peut refuser d'appliquer la loi étrangère si elle est contraire à l'ordre public. Par exemple, le juge peut interdire une succession qui ne respecte pas le principe de l'égalité entre femme et homme.
Attention : une loi étrangère qui admet la possibilité de déshériter ses enfants n'est pas forcément contraire à l'ordre public.
Possibilité de faire appliquer la loi française
Un Français résidant à l'étranger peut faire appliquer la loi française à sa succession. Pour cela, il doit remplir les 2 conditions suivantes :
- Avoir exprimé clairement sa volonté d'appliquer la loi française dans un testament valable
- Être Français au moment de la rédaction du testament ou au moment de son décès
Un Français résidant habituellement en Belgique peut donc décider de faire appliquer la loi française à sa succession.
Succession ouverte à partir du 1er novembre 2021
Application de la loi étrangère
Lorsqu'un Français résidait habituellement à l'étranger, la loi étrangère s'applique à l'ensemble de sa succession (biens mobiliers et biens immobiliers).
Or, certains pays admettent la possibilité de déshériter ses enfants.
Le notaire chargé de la succession ou le juge saisi par les héritiers peut refuser d'appliquer la loi étrangère si elle est contraire à l'ordre public. Par exemple, le juge peut interdire une succession qui ne respecte pas le principe de l'égalité entre femme et homme.
Attention : une loi étrangère qui admet la possibilité de déshériter ses enfants n'est pas forcément contraire à l'ordre public.
Les enfants déshérités par une loi étrangère peuvent récupérer l'équivalent sur les biens de la succession situés en France. On parle de prélèvement compensatoire.
Pour que ce prélèvement compensatoire s'applique, toutes les conditions suivantes doivent être respectées :
- Le défunt, ou au moins l'un de ses enfants, doit être ressortissant ou résident habituel d'un État membre de l'Union européenne, au moment du décès
- La loi étrangère applicable à la succession ne doit pas prévoir de dispositions concernant la réserve héréditaire. Si la loi étrangère assure à chacun des enfants un droit sur une partie de la succession, le dispositif de prélèvement compensatoire sera inapplicable.
- La succession doit comprendre des biens meubles (par exemple, des meubles, des bijoux, des véhicules) ou immeubles situés en France.
Possibilité de faire appliquer la loi française
Un Français résidant à l'étranger peut faire appliquer la loi française à sa succession. Pour cela, il doit remplir les 2 conditions suivantes :
- Avoir exprimé clairement sa volonté d'appliquer la loi française dans un testament valable
- Être Français au moment de la rédaction du testament ou au moment de son décès.
Un Français résidant habituellement en Belgique peut donc décider de faire appliquer la loi française à sa succession.
Lire aussi : Successions internationales : un prélèvement compensatoire pour les enfants déshérités
Pour aller plus loin, nous vous conseillons la lecture de ces articles, mémoires et rapports :
- Réserve héréditaire : assouplissement ou renforcement ? / - 22 Nov 2021
- Successions internationales : place à l’incertitude / DAVID NOTAIRES - 9 mars 2022
- Héritiers réservataires : nouveau droit de prélèvement et obligation d’information du notaire / Emmanuel de LOTH - Editions Francis Lefebvre - 6/09/2021
- Instauration d’un mécanisme de prélèvement compensatoire en matière de succession / Valory avocats
- Les effets de la loi du 24 août 2021 sur le droit civil / Vincent Egéa
- LES ENJEUX CONSTITUTIONNELS DE LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE Rapport au groupe de travail sur la réforme de la réserve héréditaire / Samy Benzina Professeur de droit public à l’Université de Poitiers
- PRIEUR Nicole, «Transmettre et hériter. Les deux versants du don», Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2021/2 (n°67), p. 11-30.
- RECHERCHE SUR LES INSTRUMENTS DE CONTOURNEMENT DE LA RESERVE HEREDITAIRE DES DESCENDANTS / Mme Anna-Gaëlle KSON-BOUVET
La lecture de cette thèse pourra vous être très utile même si elle ne tient pas compte de la loi du 24 août 2021 qui établit un droit de prélèvement compensatoire pour les enfants lésés . N'hésitez pas à consulter sa bibliographie.
- Rapport du groupe de travail : la réserve héréditaire / sous la direction de Cécile Pérès et Philippe Potentier
Vous retrouverez en page 27 et suivantes les fondements de la création de cette réserve héréditaire qui date de la Rome antique !
Quelques extraits :
Au cours du Ier siècle ap.-JC, le tribunal des Centumvirs admet qu’un testament qui prive sans motif un proche parent de tout droit dans la succession du disposant ne peut être que l’œuvre d’ « un fou ». Le proche exhérédé, appelé légitimaire, peut ainsi obtenir la nullité du testament. Celle-ci ne peut cependant être prononcée que si le légitimaire n’a pas reçu une part légitime ( legitima ou debita portio) - « au sens de juste21 » - soit comme héritier, soit comme légataire. Peuvent agir à ce titre : les descendants, les ascendants et les frères et sœurs à condition, pour ces derniers, qu’ils aient été dépouillés au profit d’une personne « de mauvaise vie ». Cette part légitime a pendant longtemps été laissée à l’appréciation du juge avant d’être fixée au quart de la succession, cette portion constituant la quarte légitime. Au Bas-Empire, la légitime évolue : son taux devient variable et dépend du nombre d’enfants ; de justes motifs d’exhérédation sont limitativement fixés ; elle est sanctionnée par une action en complément analogue à notre actuelle action en réduction ; le légitimaire est désormais également protégé contre les donations excessives à la faveur de la création complémentaire d’une querela inofficiosae donationis.
Quant aux fondements de la légitime romaine, ils peuvent être recherchés dans deux directions. D’une part, les sources romaines font état d’un devoir de piété – pietas, offficium pietatis – réciproque : piété paternelle, piété filiale.
« Les philosophies stoïciennes notamment ont exercé là leur influence. L’idée est développée durant toute l’époque classique, et sert de thème aux exercices de rhéteurs comme Quintilien. Valère Maxime, à propos d’un testament
déshéritant les enfants déclare qu’il est « plein de folie ». Sur ce point, les Romains ont rejoint un précédent grec : il existait une action en justice, la diké manias (littéralement : action de folie) qui permettait de faire tomber un testa-
ment dépouillant les enfants ». C’est encore ce que souligne Nicolas Laurent-Bonne lors de son audition en relevant que « les juristes et les rhéteurs de l’Époque classique estiment [...] qu’il existe entre les membres d’une même
famille un devoir de piété réciproque. Dès l’époque de Cicéron († 43 av. J.-C.), et vraisemblablement sous l’influence des stoïciens, les termes pietas et humanitas ou encore l’expression officium pietatis reviennent constamment sous la plume des rhéteurs, notamment chez Quintilien († 96), ou encore sous le règne de Tibère (14-37), dans l’œuvre de l’historien moraliste Valère-Maxime (ca. 14-31). On estime alors, à la charnière de la République et de l’Empire, que
l’exhérédation arbitraire de certaines catégories d’héritiers est contraire au devoir de piété qui sert d’étalon éthique et moral à la société romaine ». Au terme du droit romain, la légitime reflète l’influence des idées chrétiennes – les
parents doivent aimer leurs enfants – et sert à assurer une égalité minimale entre eux, ce qui lui donne une dimension individuelle.
13. D’autre part, la légitime romaine ne saurait être envisagée que comme une limite à la liberté de disposer ; elle est d’abord et avant tout au service de la liberté de tester. Il s’agit d’un contrôle judiciaire de l’intégrité du consentement du disposant dans des situations dans lesquelles le contenu du testament fait craindre une captation d’héritage. Ainsi que le relève un auteur, « on ne saurait interpréter les interventions législatives et jurisprudentielles qui restreignent la liberté de tester comme des dispositions à caractère comminatoire visant à endiguer les effets pervers d’une volonté purement arbitraire et démesurée [...] On ne trouve d’ailleurs jamais de telles allégations dans les sources » tandis que celles-ci décrivent, à l’époque de la création de la querela, des pratiques quasi-professionnelles de captation d’héritage alors présentées « comme le fléau de la société romaine ». Comme le souligne également Nicolas Laurent-Bonne, les correctifs romains avaient « pour finalité de protéger la volonté du testateur contre les manigances de son entourage : à Rome, c’est donc un rempart, et non une limite, de la liberté testamentaire et de la volonté du disposant ». Cette vision historiquement positive de la réserve héréditaire en lien avec la liberté individuelle du futur défunt est souvent occultée dans les débats contemporains alors que, comme on le verra, la période actuelle souligne tout son intérêt.
La Revue critique de droit international privé n°2 de 2021 est consultable au silo de la Bibliothèque de la Part Dieu. Elle comporte plusieurs articles qui pourront vous intéresser. Notamment :
- Quelques observations relatives à la réserve héréditaire dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République / PERES Cécile - Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), p. 296-302.
- Devoir de réserve ? / MUIR WATT Horatia, BUREAU Dominique, CORNELOUP Sabine, Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), p. 287-289
- Droit de prélèvement, réserve héréditaire, protection des héritiers contre les discriminations, quelle méthode ? / JOUBERT Natalie, Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), p. 322-332.
- Le prélèvement compensatoire du projet d’article 913 du code civil à l’épreuve des exigences européennes et constitutionnelles / RAMACIOTTI Suzel, Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), p. 310-321.
Enfin, quelques livres à consulter :
- Successions et libéralités 2022 / par la rédaction des Editions Francis Lefebvre
Présentation thème par thème de l'ensemble des règles applicables aux successions et libéralités. Ce mémento illustré d'exemples ou de conseils indique notamment comment organiser et optimiser la transmission du patrimoine, conseiller les héritiers dans le choix de l'option successorale, réaliser les opérations de partage ou encore décrypter les avantages et les mécanismes de l'assurance-vie.
- Successions et libéralités 2022 / Sylvie Ferré-André, Stéphane Berre
Exposé du droit des successions intégrant les débats et interrogations liées aux nouveautés issues des lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006. Des développements sont consacrés à la fiscalité des libéralités et des successions. Le cours est accompagné d'exemples chiffrés et de nombreux outils pédagogiques (quiz, schémas, tableaux de synthèse, méthodologie, etc.).
- Gestion de patrimoine : la transmission aux enfants / Jérôme Leprovaux
Une description des outils et des règles juridiques ou fiscales à connaître pour préparer la transmission de son patrimoine à ses enfants, en fonction des différentes situations familiales : familles recomposées, familles avec des enfants communs, entre autres. Avec un focus sur la question de la succession aux petits-enfants.
Bonne journée.
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