Quel fut le rôle précis de la Turquie durant la guerre du Haut-Karabagh ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourriez-vous m'expliquer quel fut le rôle précis de la Turquie dans le soutien apporté à l'Azerbaïdjan durant la guerre du Haut-Karabagh à l'automne 2020 ?
En vous remerciant d'avance.
Sincères salutations.
J. Lecouturier
Réponse du Guichet
Le soutien de la Turquie à l'Azerbaïdjan durant la guerre avec l'Arménie a consisté en un soutien diplomatique et militaire de plusieurs ordres : logistique, technologique et humain. Ce soutien a été décisif est constitue un épisode de plus dans la stratégie politique, économique et géopolitique de Recep Tayyip Erdogan.
Voici quelques éléments d’explication sur le dernier épisode en date du conflit arméno-azéri qui prend sa source au début du XXème siècle.
Comme le précise Sébastien Forest dans son article Turquie et Azerbaïdjan, « une seule nation, deux Etats » (1/5), il faut remonter au début du XXème siècle pour comprendre les origines de ce conflit complexe. (source : site DSD - Dauphine Stratégie Défense, une association généraliste de l’Université Paris-Dauphine — PSL qui propose des événements et des publications autour du monde de la géopolitique, des relations internationales, de l’intelligence économique et de la défense.)
« En 1920, les Républiques Démocratiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan sont envahies par les troupes de l’Armée Rouge, leurs gouvernements sont renversés et sont érigées en lieu et place les Républiques Socialistes Soviétiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan. L’année suivante, Joseph Staline, alors haut-commissaire aux nationalités, offre la région du Haut Karabakh, essentiellement peuplée d’arméniens, à l’Azerbaïdjan en gage d’amitié.»
L’auteur explique que la guerre de six semaines avec l’Arménie à l’automne 2020 qui « s’est conclue par une victoire azérie (…) profite tout autant à Ankara dans le développement de sa politique d’influence. Le Caucase semble être devenu le nouveau théâtre des ambitions turques, une nouvelle étape dans les politiques «néo-ottomanes» et panturques menées par Recep Tayyip Erdogan.»
En effet, il précise «Le 10 décembre dernier, l’Azerbaïdjan célébrait sa victoire dans le Haut-Karabakh face à son ennemi historique l’Arménie. Pour l’occasion, une parade militaire importante a été organisée à Bakou, capitale azerbaïdjanaise, en l’honneur de son armée mais également de la Turquie, dont le Président Recep Tayyip Erdogan a été convié par son homologue Ilham Aliyev, président de la République d’Azerbaïdjan. Bien que la Turquie semble toujours nier avoir apporté une aide militaire directe à sa cousine l’Azerbaïdjan, deux escadrons des forces spéciales turques ont défilé accompagnés d’engins militaires et de drones sous les couleurs des deux pays unifiés, traduisant une forme de reconnaissance de la part de Bakou envers Ankara.»
Dès l’été 2020, la Turquie a soutenu l'Azerbaïdjan lors de «deux semaines d'exercices militaires conjoints dans des domaines aussi variés que l'artillerie ou la défense aérienne. Pour la Jamestown Foundation, un institut de recherche et d'analyse basé à Washington, il s'agit du "plus grand du genre dans l'histoire récente de la coopération militaire entre les deux pays".(source : France 24)
L’interventionnisme turc
Concrètement, «Ce soutien s’est matérialisé par l’envoi d’armes et d’experts militaires sur le terrain mais également par l’envoi de miliciens rebelles syriens, une stratégie déjà adoptée lors des interventions en Libye et en Syrie.»
Sébastien Forest ajoute que «Plus de 1500 mercenaires syriens ont ainsi été envoyés (en quelques jours) suppléer les troupes de Bakou et ont joué un rôle non négligeable dans la victoire azérie. En utilisant ces milices en lieu et place de son armée régulière, Ankara limite ses pertes humaines mais peut également nier avoir agi directement sur le terrain en faveur de son allié. Ces miliciens proviennent pour l’essentiel de l’Armée Nationale Syrienne, un rassemblement de groupes rebelles équipés, entrainés et soutenus par la Turquie. Ils sont principalement motivés par les avantages financiers proposés par les services secrets turcs mais également parfois par des promesses de naturalisation.»
«En intervenant militairement, de façon plus ou moins dissimulée, et diplomatiquement la Turquie a été partie prenante de cette guerre dans le camp des vainqueurs. L’utilisation sur le terrain du matériel militaire technologique turc par les forces azerbaïdjanaises a permis de démontrer en condition réelle l’efficacité de l’industrie d’armement turc, notamment de ses drones, pouvant lui permettre à l’avenir de décrocher des contrats avec des pays d’Europe de l’Est ou du Moyen-Orient qui auraient plutôt souscris à l’armement européen ou russe si cette guerre n’avait pas eu lieu.»
Dans un podcast de 9 mn (site de France Culture), l’enseignant - chercheur en sciences politiques, Gaïdz Minassian explique que "Les drones turcs ont fait la différence" au profit de l'Azerbaïdjan». Il parle de l’utilisation massive de drônes, de milliers de djiadistes (2000 à 3000) envoyés par elle hors de ses frontières par la Turquie. La Turquie qui est donc intervenue directement sous la forme d’instructeurs (soldats turcs), d'envoi de mercenaires, d’assistance technologique pour l'utilisation de ses drônes et d'intervention des forces spéciales de l’armée turque.
Le chercheur Tigrane Yégavian évoque lui aussi le recrutement par la Turquie de mercenaires dans ce Dessous des cartes de la chaîne Arte.
«Ankara a notamment vu (dans son intervention dans cette guerre arméno-azérie) l’occasion de démontrer l’efficacité de ses drones armés.»
D’ailleurs «Au plus fort du conflit, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev avait d’ailleurs remercié Ankara, estimant que ces drones montraient «le potentiel de la Turquie».
Plus loin, on lit en effet que «Le président turc est particulièrement fier d’avoir propulsé son pays parmi les leaders mondiaux de cette technologie. La guerre dans le Haut-Karabakh a donc été perçue à Ankara comme une campagne de promotion pour son industrie de défense, comme l’avait été quelques mois plus tôt le conflit en Libye.
Ce n’est pas un hasard si la Turquie, qui fournit déjà à l’Ukraine ses drones de type Bayraktar TB2, a annoncé le mois dernier en avoir vendu 24 à la Pologne, en précisant bien qu’il s’agissait d’une première commande pour un pays de l’Otan et de l’UE. Cette semaine, la Lettonie s’est montrée très intéressée. Dans les deux cas, ces États européens ont souligné l’efficacité des drones turcs dans le Haut-Karabakh.» (source: article d’Anne Andlauer pour RFI (juin 2021).
Pour aller plus loin :
- Le sabre et le turban : jusqu'où ira la Turquie ? / Jean-François Colosimo
- Turquie : nation impossible / réal. Nicolas Glimois
- article de l’historienne Taline Ter-Minassian pour The Conversation (octobre 2020)
- L’article d’Anne Brigaudeau pour France Info (octobre 2020)
- Le chapitre «Le rôle déterminant de la Turquie» dans le Rapport d'information du Sénat n°754(2020-2021) de M.Olivier CIGOLOTTI et Mme Marie-Arlette CARLOTTI, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 7 juillet 2021