Existe-t-il des sociétés matriarcales dans le monde ?
Question d'origine :
Bonjour cher Guichet, nous vivons dans une société héritant de la tradition indo-européenne dans laquelle les hommes sont socialement vus comme ayant davantage de pouvoir que les femmes (c'était présent chez les Grecs, chez les Romains, chez les Indo-iraniens...). Mais est-ce qu'il existe des sociétés dans le monde, ailleurs du groupe de civilisations indo-européennes et de ses dérivés, dans lesquelles la femme possède davantage de pouvoir que l'homme, ou un pouvoir plus ou moins égal ? Certains avancent qu'un tel déséquilibre est biologique, mais il pourrait aussi résider dans la culture ?
(Enfin, peut-être que je me trompe et que même au sein des civilisations du groupe indo-européen il existe des peuples où le statut de la femme est aussi voire plus puissant que celui de l'homme ?)
Je vous remercie de votre attention et de vos réponses pertinentes,
Curieusement vôtre,
Fabre.
Réponse du Guichet
Dans les sociétés matriarcales, les femmes ne dominent pas les hommes. Il s'agit de sociétés égalitaires sans domination d'un sexe sur l'autre ou d'un peuple sur l'autre.
Nous vous engageons à lire l'ouvrage écrit par Heide Goettner-Abendroth Les sociétés matriarcales [Livre] : recherches sur les cultures autochtones à travers le monde traduit de l'anglais par Camille Chaplain, dans lequel l'autrice décrit une vingtaine de sociétés matriarcales.
Bonjour,
Nous vous engageons à lire l'ouvrage écrit par Heide Goettner-Abendroth Les sociétés matriarcales [Livre] : recherches sur les cultures autochtones à travers le monde traduit de l'anglais par Camille Chaplain, dans lequel l'autrice décrit une vingtaine de sociétés matriarcales. Dans cet ouvrage, elle déconstruit bon nombre d'idées reçues notamment celle selon laquelle...
... "les matriarcats seraient un miroir inversé des patriarcats, c’est-à-dire toujours des sociétés de domination d’un sexe sur l’autre. Au contraire, selon Goettner-Abendroth, «les sociétés matriarcales sont des sociétés de réelle égalité entre les sexes». Plus qu’un postulat, cette définition s’élabore et se précise au fur et à mesure de ses recherches. Car, si chaque chapitre a pour objet une société – l’auteure en étudie une vingtaine dans ce livre, des peuples autochtones chinois aux Touareg d’Afrique du Nord, en passant par les Kuna d’Amérique centrale –, ils s’achèvent tous par un bilan visant à produire une définition générale de la notion de matriarcat.
L’égalité ne vaut certes pas, dans son esprit, comme refus de la prise en compte de la différence des sexes, voire d’une forme de binarisme et de complémentarité. Si le soin dévolu aux enfants est à la charge de l’ensemble de la communauté, les rôles religieux sont en revanche assignés différemment aux femmes et aux hommes, tout comme le travail – les premières sont le plus souvent agricultrices et horticultrices quand les seconds prennent en charge la chasse et la pêche. Il n’en reste pas moins que l’égalité politique entre les hommes et les femmes est un fait, et loin d’être le seul à caractériser ces sociétés.
Un livre engagé
L’équilibre entre les sexes induit, de toute évidence, des modes d’organisation qui contrastent radicalement avec ceux que nous connaissons. La plupart des peuples matriarcaux ignorent ainsi le régime de la propriété privée, à l’instar des Iroquois d’Amérique du Nord. «Chaque village est autosuffisant, autonome (villages-républiques) et égalitaire.» De la même façon, ces sociétés ne sont jamais colonisatrices. Et toute décision politique, en particulier concernant les conflits et leur gestion, doit faire l’objet d’un consensus – les femmes n’ont pas le droit de gouverner par la violence, et n’ont pas de forces de coercition sur lesquelles s’appuyer si elles tentaient de le faire.
source : «Les Sociétés matriarcales», d’Heide Goettner-Abendroth : là où le pouvoir est aux femmes / Sophie Benard - Le Monde - vendredi 11 octobre 2019
Qui est Heide Goettner-Abendroth ?
Heide Goettner-Abendroth a 78 ans, elle a consacré sa vie à l’étude de chacune de ces populations, a publié huit ouvrages sur le matriarcat, sans compter les trois tomes et deux mises à jour de son livre “Le matriarcat”, entre 1989 et 1999.
Elle a vécu auprès des Mosuo de Chine, à leur invitation. Elle a compilé les articles scientifiques de ses collègues, par exemple sur les femmes de Juchitan, au Mexique. Elle décrit en détail la vie des Khasi d’Inde, des Newar du Népal, des nombreux Minangkabau d’Indonésie, des Iroquois d’Amérique du Nord, des Touaregs, et leur vulnérabilité actuelle. Elle a lutté pour élever ce pan de l’ethnologie au rang de matière scientifique.
source : Cette chercheuse allemande a passé sa vie à étudier les sociétés matriarcales, voici ce qu'elle a découvert / Annabel Benhaiem - Huffington Post - 19/09/2019
Nous vous invitons à consulter le site internet de son académie : International Academy HAGIA for Modern Matriarchal Studies.
Cette extrait d'interview publiée dans Télérama invite à la réflexion :
À vous lire, il n'existerait pas de violence à l'encontre des femmes et des enfants dans les sociétés matriarcales.
Les peuples matriarcaux méprisent la violence autant que nous la glorifions. Chez eux, aucun homme n'aurait l'idée de violer une femme. Chacun prend part au processus de maternité, dans un respect mutuel. Les féminicides, les infanticides, les mutilations génitales n'existent pas. Il n'y a pas d'exploitation entre les individus - ni entre les hommes et les femmes, ni entre les plus âgés et les plus jeunes. Les enfants sont d'ailleurs considérés comme des êtres sacrés, parce qu'en eux se réincarnent les ancêtres disparus.
Quelles solutions aux maux endémiques de nos sociétés pouvons-nous emprunter aux matriarcats ?
Pour sortir des structures patriarcales mortifères, il ne s'agit pas d'imiter les matriarcats traditionnels mais d'en inventer de nouveaux. Nous devons fonder des communautés qui ne reposent plus sur les liens du sang, mais sur des relations d'affinités, choisies. Des communautés de femmes, avant tout, pourraient créer des projets innovants. Les mouvements féministes l'ont déjà fait, mais faute de moyens, leurs réalisations n'ont pas duré. Il est donc primordial que les femmes récupèrent des pans entiers de l'économie, aujourd'hui presque entièrement aux mains des hommes. Je suis convaincue que si les États leur confiaient la moitié de leurs ressources, la société changerait du tout au tout, aussi bien en matière d'éducation que d'écologie, de soins... Ce n'est pas totalement utopique. Pensez aux écologistes, aux luttes féministes ou anticolonialistes : ces courants de pensée alternatifs existent déjà et promeuvent sans le savoir des idées matriarcales. Il leur reste à trouver un point de jonction entre eux. Le matriarcat articule toutes ces idées, et pourrait demain permettre de rassembler celles et ceux qui les défendent. Soit énormément de monde. En tout cas assez pour constituer un vrai contre-pouvoir face au patriarcat.
source : Le matriarcat est-il l’avenir de l’homme ? / Propos recueillis par Clara Delente - Télérama - le 05/01/20
Lire aussi :
- Le matriarcat est-il l'avenir de l'homme ? / Propos recueillis par Véronique Radier - L'Obs - 15 septembre 2019
- Le matriarcat, une utopie ? Non, réalité d’hier et d’aujourd’hui / Morgane Pellennec — Axelle - N°227 / p. 14-19 • Mars 2020
Nous vous renvoyons également à cette ancienne réponse du Guichet du Savoir dont certains liens URL ne fonctionnent plus mais qui pourra peut-être vous intéresser : tribus matriarcales, ainsi qu'à ces ouvrages :
- Le royaume des femmes : voyage au coeur du matriarcat / Ricardo Coler ; traduit de l'allemand par Danièle Darneau
- Une maison sans fille est une maison morte [Livre] : la personne et le genre en sociétés matrilinéaires et/ou uxorilocales / sous la direction de Nicole-Claude Mathieu
Pour des sociétés plus proches de nous, nous pouvons citer ces écrits qui ne manqueront pas de susciter votre intéret :
- Le Matriarcat breton / Agnès Audibert
- Le matriarcat psychologique des Bretons : essais d'ethnopsychiatrie / Philippe Carrer
- Pour en finir avec le matriarcat breton : essai sur la condition féminine / Anne Guillou
- Femmes pyrénéennes : un statut social exceptionnel en Europe / Isaure Gratacos
Une émission de France culture sur ce sujet : Le matriarcat a-t-il existé ?
et une petite vidéo :
Bonne journée.