Existe-t-il une traduction du poème de Gorki "Le Chant du faucon" ?
Question d'origine :
Bonjour,
En 1898 ou 1899, Gorki publie un court poème allégorique intitulé "Le chant du faucon", qui deviendra un des textes populaires de la révolution russe.
Savez-vous s'il est possible de trouver (et de se procurer) la version française de ce texte dont on trouve des versions anglaise, polonaise sur le net, mais rien de bien convaincant en français.
Avec tous mes remerciements,
Francis
Réponse du Guichet
Nous n'avons trouvé aucune édition récente et facilement accessible du poème de Gorki. En revanche, le texte in extenso peeut être consulté dans un journal de 1921, numérisé sur Gallica.
Bonjour,
A notre connaissance et à celle de la base de données professionnelles Electre, aucune édition contemporaine des oeuvres de Gorki ne contient Le Chant du faucon. Nous avons pensé au volume de Contes et poèmes, 1894-1895 traduits par Claude Momal en 1919 ou au volume précédent (1892-1894), mais les dates ne correspondent pas. Ne possédant pas ces ouvrages, nous ne pouvons d'ailleurs vérifier.
Nous possédons un exemplaire de Nouvelles, contes et poèmes de Gorki traduits par Léon Robel et paru en 1951, mais le poème n'y figure pas.
Nous avons toutefois trouvé le texte (sans mention de traducteur) dans "Le Travailleur", journal de la Fédération communiste de l'Yonne du 24 août 1921, consultable sur Gallica :
Là-bas, sur la montagne, une couleuvre était montée et s’était réfugiée dans une gorge humide et étroite. Enroulée sur elle- même, elle se chauffait au soleil, sous le ciel azuré. Les ondes ardentes de la mer battaient les hauts rochers et, dans la vallée, un torrent rapide s’écoulait et se précipitait dans la mer en un sourd mugissement.
Tout-à-coup, sur la pierre ardente où reposait la couleuvre, un faucon, la poitrine déchirée, les plumes couvertes de sang, s’abattait. Et il se débattait, jetant des cris stridents.
La couleuvre s’effraya, se jeta en arrière, mais comprit vite que l’oiseau n’avait plus que quelques instants à vivre. Elle s’approcha donc près de lui, et lui siffla dans l’oreille :
— Comment, tu meurs ?
— Oui, répondit le faucon dans un profond soupir, je meurs, mais j’ai vécu glorieusement ; j’ai connu la félicité ; j'ai vu le ciel. Et toi, ta ne le contempleras jamais d’aussi près, malheureuse !
— Le ciel ! — grommela la couleuvre — mais c’est un espace vide. Comment pourrais-je grimper dessus ? Je suis très bien ici. Il fait chaud ; c’est humide !
Mais l’intrépide faucon tressaillit, se souleva un peu et regarda autour de lui. L’eau coulait entre les pierres grises ; dans la gorge étroite, on suffoquait sous l’âcre odeur de pourriture. Et le faucon cria douloureusement :
— Oh ! que ne puis je remonter au ciel, au moins pour un instant ! Je le serrerais contre ma poitrine blessée ; je me griserais de lui. Oh ! la gloire de lutter !
La couleuvre pensa :
— Il peut se faire que l’on soit bien dans le ciel, puisqu’on gémit ainsi après lui. — Et elle fit cette proposition à l’audacieux faucon :
— Approche-toi du bord de la gorge et précipite-toi dans le torrent. Tes ailes te soulèveront peut-être encore et tu pourras vivre un instant dans ton élément.
Le faucon frémit et, dans un rauque gémissement, se traîna au bord du précipice, rampant sur la pierre humide. Arrivé au bord, il battit des ailes, respira à pleins poumons et se jeta dans le vide. Mais les ailes brisées ne le portèrent pas et, comme une pierre, il tomba dans le torrent. Les ondes l’entourèrent et l’entraînèrent dans la mer écumante où le corps de l’oiseau disparut.
Demeurée seule dans la gorge, la couleuvre pensa longtemps à l’oiseau et à sa passion pour le ciel. Elle regardait le lointain espace qui fascine le regard et promet la félicité.
— Mais, songeait-elle, que voyait donc l’oiseau dans ce grand espace vide et sans fin ? Pourquoi lui et ses semblables s’emplissent-ils l’âme de confusion avec leurs folles aérations ? Peut-être pourrais-je le savoir si je pouvais, moi aussi, monter jusqu’au ciel rien qu’un instant ?
Elle s’entortilla sur elle-même, se détendit d’un coup et brilla au soleil comme un ruban multicolore. Mais ceux qui sont faits pour ramper ne pourront jamais se soulever. La couleuvre l’avait oublié et elle retomba immédiatement sans se faire de mal. Alors elle songea :
— C’est là toute l’impression que donne le ciel ? Oh ! ridicules oiseaux ! Sans connaître le terre, ils s’y ennuient et cherchent la félicité dans ce désert sauvage. Que voient-ils en lui ? Il fait clair là-bas, mais il n’y a pas de vie, il n’y a pas d’aliment, il n’y a aucun appui pour un corps vivant. Oh ! oiseaux ridicules ! C’en est fini. Leurs songes ne nous troubleront plus. J’ai vu tout par moi-même. Je suis allé, moi aussi, au ciel ; je suis tombé c’est vrai, mais sans me faire de mal, en emportant une certitude plus solide que jamais. Ils vivent d’illusions ceux-là qui n’aiment point la terre ! Leurs appels ne m’émouvront plus. Créature de la terre, je vis sur la terre.
Et, sur la pierre humide, elle s'enroula, toujours fière d’elle-même. La mer brillait d’une lumière éblouissante. Les ondes percutaient furieusement les rochers. Et leur rugissement semblait un hymne à l’ailé, un hymne triomphal que les rochers répétaient et qui se perdait dans le ciel :
« Ô Gloire ! Gloire à la folie des courageux ! La folie est la sagesse de la vie ! Oh ! audacieux faucon ! Dans la lutte implacable, tu as versé ton sang, mais le temps est proche où le sang versé brillera dans les ténèbres. Et une foule d’âmes, ardentes et fortes, seront parées de liberté et de lumière.
« Mort dans la lutte, tu resteras vivant dans le cœur des audacieux et tu seras, toi-même, l’appel à la lumière et à la vérité ».
Bonne journée.