Question d'origine :
Bonjour,
Je suis en étude éducateur de jeunes enfants et je cherche qui a défini le concept de "culture familiale" ? et quel est la définition de "culture familiale" ?
Cordialement,
Céve
Réponse du Guichet

Nous n'avons pas trouvé de définition canonique de la culture familiale, qui serait à mettre au crédit d'un-e grand-e auteur-e. Cette notion est toutefois utilisée par divers scientifiques, sociologues, pédagogues, historien-nes, qui en usent souvent sans la définir, ou seulement par opposition.
Ci-dessous, nous avons listé quelques définitions proposées par des auteurs de différentes disciplines dans le cadre de leurs écrits.
Bonjour,
Nous n'avons pas trouvé de définition canonique de la culture familiale, qui serait à mettre au crédit d'un-e grand-e auteur-e. Cette notion est toutefois utilisée par divers scientifiques, sociologues, pédagogues, historien-nes, qui en usent souvent sans la définir, ou seulement par opposition.
Lorsque la journaliste québécoise Isabelle Gaboriault emploie ce terme dans un article de son journal La Voix de l'est, elle la définit comme
un ensemble de convictions, de principes moraux, de traditions sociales et religieuses. La «culture familiale» inclut également la classe socioéconomique ainsi que l'histoire personnelle des conjoints et les expériences diverses des membres de la cellule familiale.
Dans L'Interculturel : langue et culture arabes en France (1998, consultable sur Google livres), Mimoun Bendjillali écrit quant à lui :
La «culture familiale» c’est l’ensemble de systèmes, de normes et de représentations qui s’imposent à l’individu lors de son enfance, voire de son adolescence, et qui déterminent une sorte de «savoir vivre en famille» de références qui règle ses rapports avec les différents membres de la famille (avec les parents, les aînés et les cadets, avec les hommes et les femmes, dans la famille et hors de la famille).
Dans un article historique, "Les transformations de la culture familiale et des structures domestiques autour de la Révolution" ( Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1993, lisible sur Persée), André Burguière semble considérer comme allant de soi une définition de la culture familiale, ou plutôt "les cultures familiales [...] plurielles" comme des "modèles d'organisation domestique" inégalement répartis sur le territoire français, grosso modo fondées sur l'opposition entre "familles souches" et "familles communautaires" définies par leur mode l'habitation, leurs moeurs matrimoniales et les liens économiques intra-familiaux. Egalement historien, Yvon Lamy, dans "Identité locale, culture familiale et systèmes de production", sa contribution à l'ouvrage collectif Cultures du travail (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Ministère de la Culture, 1989, consultable sur books.openedition.org), semble considérer la "culture (d'entreprise) familiale" sous un angle purement économique, comme un ensemble de pratiques de production basées sur les liens familiaux.
Mais ce sont les champs de la psychologie, de la sociologie et des sciences de l'éducation qui semblent faire le plus grand usage de cette notion. Concernant la plasticité de celle-ci, qui s'adapte à toutes les disciplines des sciences humaines, l'article "D'une culture à l'autre, d'une famille à l'autre" d'Édith Goldbeter-Merinfeld et Christine Vander Borght, paru en 2002 dans Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux et consultable sur Cairn en bibliothèque, pose bien le problème - avant de l'adapter à ses besoins propres :
Les définitions de ce concept [de culture] se sont succédé depuis plus d’un siècle, chaque discipline mettant l’accent sur ce qui lui paraît le plus déterminant pour son approche.
Le champ de la thérapie familiale croise le contexte culturel sur bien des points : le système de parenté, les manières de se parler, le partage des rôles au sein des familles et les rituels, les modèles d’éducation et de soins, etc.
En même temps, chaque famille s’inscrit avec sa propre singularité dans le tissu des transmissions culturelles et affronte les défis de la vie en métabolisant à sa façon les règles culturelles en vigueur dans son propre contexte. On pourrait donc considérer la famille comme un système crucial dans la création, la protection, et la préservation de la culture.
Egalement dans sa perspective de psychologue, Vincent Cornalba donne une autre définition dans son article Le Choc des cultures en placement familiale" (revue Dialogues, 2014, consultable sur Cairn en bibliothèque) :
Les représentations de ce que doit être une famille – ce qu’elle doit assurer pour chacun des membres qui la composent – ont bien entendu une influence primordiale dans ce cadre et apparaissent comme exacerbées dans ce contexte de crise rencontré par une famille, porté par une institution. [...] Nous les relierons dès lors à l’idée d’une culture familiale, la notion de « culture » étant considérée ici indépendamment de toute référence ethnique ou géographique. Chaque famille produit sa propre culture, édicte cadre, règles et repères qui ont pour objet de prévenir tout effet de modification de son équilibre et dont le but est d’assurer un principe d’organisation dans les liens et les relations qu’elle permet (Delage, 2010). Ce dispositif familial est, pour partie, déterminé par un référentiel admis par la société qui l’abrite, pour l’autre partie, le fruit d’une construction propre.
Lui aussi psychologue, Philippe Gutton, dans La Chambre des amants - La mère, le père, l’enfant, ajoute :
La culture familiale contient et anime les affects, les représentations, les pratiques et les dires qui confèrent au quotidien (aux habitudes) sa spécificité; des émotions marquent ses investissements positifs ou négatifs. L’appropriation subjectale familiale s’exprime par un usage particulier du langage, la langue des liens; celle-ci est faite de mots de passe (mots-valises à compréhension privée, surnoms…), de syntaxes propres (usage de certaines conjonctions de coordination, par exemple) et de style. Cette langue intermédiaire doit assurer à la fois communication et affirmation identitaire, identité et altérité.
Cette définition est intéressante car elle fait le lien avec des problématiques intéressant plus particulièrement le champ sociologique. Car c'est dans ce champ que l'expression tend à être le plus signifiante. Dans l'ouvrage collectif Services de proximité et vie quotidienne : de nouvelles sociabilités urbaines, la sociologue Geneviève Favrot-Laurens définit par exemple la culture familiale par ses fonctions :
La culture familiale, porteuse de valeurs et de représentations des rôles sociaux, hiérarchise les activités, influence l'affectation des moyens disponibles, l'acceptation ou l'aménagement des contraintes. Assignant à chacun un rôle en fonction de son sexe et de son âge, elle ouvre ou limite le champ des comportements possibles et donne sens à l'organisation qui résulte des arbitrages effectués. Elle assure la cohésion de la famille autour du partage des activités entre ses membres et de la décision de les réaliser elle-même ou de les déléguer à l'extérieur, au moins tant que la hiérarchie des valeurs qui sous-tend l'organisation est partagée par tous.
Elian Djaoui s'appuie sur cette définition lorsqu'il écrit, dans son article "Se confronter à l'intime et à la culture de l'autre" ( Les Cahiers Dynamiques, 2012, sur Cairn) :
Cadre de vie de la famille, le domicile est le lieu où se développe une « micro-culture » spécifique à ce groupe. Dans cette cohabitation au long cours, s’inventent, perpétuellement, des modalités du « vivre ensemble ». Cette « culture familiale » définit des normes et règles de vie (en particulier avec ses interdits, ses tabous et ses secrets), des conceptions de la réalité (la famille, la société, la politique, la religion, la morale, etc.) et des pratiques sociales (loisirs, manières de parler, de s’habiller, rythmes de vie, hygiène, alimentation, sexualité, rapports avec le monde extérieur). À l’instar d’une « table d’orientation », cette culture donne sens à tous les évènements (heureux ou dramatiques) qui affectent la famille. En constituant une sorte d’identité collective, elle dicte les conduites à tenir devant tous les aléas de la vie. Par certains de ses traits, elle peut se distinguer des schémas dominants dans la société globale. Tout « étranger » à ce groupe (relation sociale ou amicale, professionnel social ou médico-social) se confrontant à cette culture, peut expérimenter une forme de choc culturel.
Le même auteur complète sa propre définition dans "Approches de la culture du domicile"" (Gérontologie et société, 2011, sur Cairn) :
Cadre de vie de la famille, le domicile est le lieu où se développe une « culture familiale » (Favrot-Laurens, 1998) : conceptions de la réalité, univers de normes et de valeurs, morale, rituels et rythmes propres, langages, pratiques, secrets et interdits. Cette micro-culture se maintient à travers le temps ; et ce même si avec l’avancée en âge, l’habitant se retrouve à vivre seul suite aux changements affectant sa vie familiale et sociale (déménagements, deuils, etc.). Cette culture familiale se distingue, à des degrés variables suivant les groupes sociaux, de la culture de la société globale. Elle est une des manifestations de cette opposition entre « nous » et les « autres », entre le « dedans » et le « dehors ». La maîtrise du contrôle des flux entre ces deux territoires est un bon indicateur de la sacralisation du domicile.
L'article de Sylvie Octobre et Yves Jauneau, «Tels parents, tels enfants? Une approche de la transmission culturelle», (Revue française de sociologie, 2008/4, lisible sur Cairn en bibliothèque) aborde les mécanisme de transmission de ladite culture :
Dans le domaine culturel, cette question a été approchée de plusieurs manières en analysant les conditions de socialisation. Une partie des travaux s’est attachée à l’analyse de la construction des goûts, le plus souvent de manière qualitative (Lahire, 1995 ; Bromberger, 1988 ; Pasquier, 2005). Les conditions de familiarisation puis d’attachement des individus à une pratique ou une consommation culturelles y sont décrites, que cette socialisation culturelle ait lieu dans le cercle familial, dans le cercle amical ou bien à l’occasion de rencontres extérieures ou d’accidents de vie. Ainsi, les transmissions familiales peuvent être observées, y compris dans des domaines où les jeunes sont réputés plus compétents que leurs parents, en interrogeant les modalités et conditions d’émergence de cette compétence (Fluckiger, 2007).
Les auteurs remarquent ensuite que peu d'études quantitatives ont été réalisées en France sur la question de la transmission et de la formation du goût, mais que certaines "accréditent le rôle des transmissions familiales en identifiant des « passeurs » de culture, généralement les mères". L'analyse se heurte également à un autre écueil :
Dans de nombreux travaux, l’analyse des transmissions se fonde sur l’utilisation d’un indicateur principal : l’origine sociale. Celui-ci, pour puissant qu’il soit, présente des limites majeures puisqu’il ne dit rien ni de la trajectoire sociale, ni des différences intrafamiliales entre les parents (seul le chef de famille est généralement pris en compte), ni de la réalité concrète des comportements et pratiques (qui peuvent fortement varier à l’intérieur d’une même classe sociale), ni encore des relations parents/enfant. Tous ces éléments sont d’importance en matière de transmission, notamment de valeurs politiques comme l’a montré Percheron (1993).
Cependant, une notion comme celle de "home climate" a pu être dégagée par les sociologues Mohr et Di Maggio, et " Leurs travaux fournissent des pistes pour tenter de mieux comprendre les transmissions intergénérationnelles : la notion de climat familial élargit l’appréhension des facteurs influant sur la transmission culturelle en intégrant des variables décrivant les exemples parentaux en matière de loisir culturel et plus largement de projet éducatif, ou encore les relations familiales. " A ceci s'ajoutent des données cardinales : éducation explicite (les parents font passer intentionnellement des valeurs, des connaissance...) et imprégnation (ce qui est transmis inconsciemment, du fait du climat familial), à se joignent à des problématiques de genres, de classes sociales et de générations. A cet égard les auteurs remarquent que la distinction entre classes sociales tend à s'atténuer du fait de la généralisation de loisirs tels que télévision, jeux vidéos, ordinateur... sans disparaître tout à fait.
La thèse de Valérie Lanier "L'accueil des enfants (d') immigrés dans les écoles françaises - Education entre culture familiale et culture du pays d'arrivée", soutenue en 2011 et consultable sur theses.fr, accorde une belle place à la définition de la culture familiale. Docteure en sciences politiques, l'auteure aborde la notion de culture familiale sous l'angle ethnique, lié aux problématiques de scolarisation :
Nous partirons de la définition de la culture que Ralph Linton a donné en 1945 : « Une culture est la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d'une société donnée. » Ce dernier explicite cette définition en en reprenant les termes : « comportements appris » renvoie à « toutes les activités de l'individu qu'elles soient explicites ou implicites, physiques ou psychologiques (...) dont la forme a été modifiée par un processus d'apprentissage » ; les « résultats » doivent être entendus comme les résultats psychologiques et matériels ; « partagés » signifie qu'« un modèle de comportement particulier, une attitude ou une connaissance (doivent être) communs à deux ou plusieurs membres de la société » ; la transmission se faisant « par le truchement de l'instruction ou de l'imitation ». Il nous semble important d'ajouter à cette définition que la culture n'est pas qu'une « configuration de comportements » mais aussi un ensemble d'éléments, de valeurs qui forment une vision du monde, qui font sens et permettent aux personnes qui ont « intégré » cette culture d'avoir une grille de lecture du monde qui les entoure.
Par ailleurs, « les cultures sont des constructions toujours renouvelées et s'apparentent de ce fait à une définition en termes de dynamique, de stratégie, de repérage plus qu'à une identification par imposition de caractères ». Une culture n'est pas figée. Elle est interprétée par les personnes qui en sont porteuses. Elle évolue en fonction de l'environnement avec lequel elle interagit et au contact d'autres cultures. La culture qui nous intéresse ici est celle dont sont porteurs les parents et l'entourage des enfants (d') immigrés et qui leur est transmise dès les premières années de leur vie. Certains l'ont appelée « culture d'origine ». Nous préférerons le terme de culture familiale qui nous semble prendre en compte le fait que, d'une part, les cultures, comme nous l'avons dit, évoluent, sont des constructions dynamiques et ne peuvent donc se contenter d'être référées à une origine ; et que, d'autre part, cette culture dont sont porteurs les parents puis les enfants n'est pas qu'une culture nationale ou régionale.
En outre, nous nous intéresserons également à la langue et plus particulièrement celle parlée par les parents de ces enfants. En effet, « les représentations à travers lesquelles une société construit sa vision du monde résident essentiellement dans le langage et ce dernier est ainsi l'instrument fondamental de la personnalisation de l'enfant et de son intégration à la culture. Mais la culture elle même n'est pas extérieure au langage, car elle ne prend sens que dans le discours ; le langage ne se contente pas de mettre des « noms » sur des objets physiques et culturels : il est le champ où ces objets sont produits comme représentations sociales. » La langue et la culture ont un lien particulier : « On peut d'abord traiter le langage comme un produit de la culture : une langue, en usage dans une société, reflète la culture générale de la population. Mais en un autre sens, le langage est une partie de la culture ; il constitue un de ses éléments parmi d'autres (...) On peut aussi traiter le langage comme condition de la culture. » Nous appréhenderons donc souvent la culture par l'intermédiaire de la langue, et plus précisément dans le cas des enfants (d') immigrés, de la langue parlée par les parents, ce que certains dénomment « langue d'origine », et que nous appellerons langue familiale. Tout être humain est porteur de culture, culture qui lui a été transmise dans un premier temps au sein de sa famille. La culture « est véhiculée, représentée et transmise par la totalité des institutions, singulièrement par le milieu dans lequel se déroule l'enfance du sujet, et au premier chef par la famille : entrent en jeu dans cette transmission l'infraverbal (gestes, mimiques, contacts, modes relationnels, etc.) et le verbal dans la mesure où la langue, avec ce qu'elle véhicule, est non seulement un moyen de communication permettant l'échange et/ou la transmission des informations, mais aussi un médiateur affectif et culturel. »
Toujours lié à des problématiques d'intégration scolaire, "Littéracie et enfants de milieux populaires" de Marie Wibrin (Le français aujourd'hui 2021/1, consultable sur Cairn en bibliothèque) oppose la notion de "culture familiale" à la "culture scolaire", sous un angle plus socio-économique. Cet article doit beaucoup au livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers - les étudiants et la culture, un classique de la sociologie qui a établi dès 1964 comment la transmission d'une culture familiale (tributaire de la division des classes sociales) privilégie certains pans de la société au détriment des autres, vis-à-vis des exigences du système scolaire et universitaire français.
Pour aller plus loin dans nos collections :
Vous vous intéresserez sans doute aux oeuvres de Jean-Claude Kaufmann et François de Singly, sociologues de la famille.
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Bonne journée.