Peut-on apposer des droits à la reproduction numérique d'une œuvre du domaine public ?
Question d'origine :
Bonjour,
Je me suis rendu à l'exposition "Monet, Renoir… Chagall, Voyages en Méditerranée" aux Bassins de lumière à Bordeaux, et quelle ne fût pas ma surprise de voir défiler une liste longue comme le bras de copyrights à la fin de l'exposition.
Monet et Renoir, pour ne parler que d'eux, sont décédés respectivement en 1926 et 1919, 70 ans ont passé depuis la mort de ces artistes et leurs œuvres sont dans le domaine public (voir une explication ici sur le site de France Culture).
Ma question est la suivante : peut-on apposer des droits à la reproduction numérique (photo, scan), fût-elle d'excellente facture et réalisée avec des moyens professionnels, d'une œuvre du domaine public ?
Question annexe : n'est-ce pas aussi la mission des musées, bibliothèques, etc. de fournir au public des versions numériques gratuites et libres de droit des œuvres du domaine public, quand cela est techniquement possible et intéressant pour le public ?
Réponse du Guichet

Les institutions culturelles que sont les musées et les bibliothèques assurent une mission de diffusion de la connaissance et du patrimoine pour tous, en déployant notamment des outils de diffusion numérique valorisant leurs collections.
Ces outils en ligne, très variés, accessibles gratuitement, s’adressent à tout usager, du curieux au spécialiste. Cependant l'usage de ces collections numériques n'est pas forcément libre de droit.
Bonjour,
Votre question annexe porte sur le rôle des musées et des bibliothèques quant à la diffusion gratuite d’œuvres numériques tombées dans le domaine public.
- Concernant tout d’abord la mission de diffusion numérique des musées.
Comme l’indique le site du Ministère de la Culture, la loi du 4 janvier 2002 édicte le rôle patrimonial des musées (conserver, étudier, enrichir les collections) mais affirme également leurs missions d'éducation et de diffusion de la connaissance.
Pour ce faire, le musée peut disposer de son site internet propre et mettre en ligne ses collections sous des formes diverses : promenade virtuelle dans le musée, sélection d’œuvres commentées, catalogues, expositions virtuelles, jeux en ligne.
Le musée peut également participer à des supports de diffusion locaux, nationaux ou internationaux permettant de mettre en lumière la diversité et la richesse de collections susceptibles d’intéresser une part importante de la population et d’en faciliter l’accès pour des publics parfois éloignés du monde de la culture.
Ainsi Joconde, le catalogue collectif des collections des musées de France, proposé par l’État à tous les musées de France, est un outil de diffusion public, institutionnel, national et gratuit. Il existe d’autres banques de données d’images importantes dont la collection de l'agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux.
- Concernant la mission de diffusion numérique des bibliothèques publiques.
Comme le rappelle le site de l’ENSSIB, Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, chaque collectivité décide des missions assignées à sa bibliothèque, au sein d’un ensemble d’activités traditionnelles (informer, former, distraire), en écho à des textes incitatifs (le manifeste de l’UNESCO, la charte des bibliothèques) et en fonction d’un territoire à desservir et des priorités locales.
Ainsi, le manifeste de l’UNESCO rappelle que les missions fondamentales, à l’accomplissement desquelles doit tendre la bibliothèque publique, ressortissent à l’information, l’alphabétisation, l’éducation et la culture.
Et selon l’article 4 de la charte des bibliothèques, les bibliothèques publiques «doivent rendre accessibles leurs collections par tous les moyens appropriés, notamment par […] le recours aux techniques de communication à distance.»
Dans ce cadre, Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France et de ses partenaires, est l’une des plus importantes bibliothèques numériques accessibles gratuitement sur l’internet. Elle offre l’accès à tous types de documents (imprimés en mode image et en mode texte, manuscrits, documents sonores, documents iconographiques, cartes et plans, vidéos) et s’adresse à tout lecteur, du curieux au bibliophile, du lycéen à l’universitaire.
Notons que la Bibliothèque municipale de Lyon, aux missions variées, déploie quant à elle une grande diversité d’offres numériques dont Numélyo, sa bibliothèque numérique, qui donne accès à des collections patrimoniales rares et précieuses : estampes, affiches, manuscrits, livres anciens, presse lyonnaise etc.
Sachez que les services d'archives publiques et privées misent également sur le numérique pour mieux valoriser et diffuser leurs fonds, comme l'explique cet article de la Gazette des communes.
- Notons toutefois que la gratuité de l'accès à ces outils de diffusion numérique de collections entrées dans le domaine public n'implique pas forcément que l'usage de ces documents numériques soit libre de droit.
Sur ce point, nous vous orientons vers une réponse du Guichet du savoir qui explicite cet aspect juridique.
- Pour approfondir la question des contenus numériques en musée, nous vous orientons vers ces ouvrages de la Bibliothèque municipale de Lyon :
- La muséologie : histoire, développements, enjeux actuels / André Gob, Noémie Drouguet.- 2021
- Ré-inventer les musées ? / Yves Winkin. Suivi d’un dialogue avec Milad Doueihi sur le musée numérique.- 2020
- Les imaginaires numériques au musée ?: débats sur les injonctions à l’innovation / Eva Sandri.- 2020
- Scénographies numériques du patrimoine : expérimentations, recherches et médiations / Julie Deramond, Jessica de Bideran, Patrick Fraysse, dir.- 2020
- Musées, mutations... / sous la direction de Joëlle Le Marec, Bernard Schiele et Jason Luckerhoff.- 2019
Et en bibliothèque...
- Bibliothèques numériques: solutions de diffusion: Gallica marque blanche, archive.org, etc. / Mathieu Andro, Marc Maisonneuve.- 2021
- Histoire des bibliothèques : d'Alexandrie aux bibliothèques virtuelles / Frédéric Barbier.- 2021
- Le métier de bibliothécaire / Association des bibliothécaires de France ; sous la direction de Charlotte Henard ; avec le concours de Romain Gaillard, Coline Renaudin et Mélanie Villenet-Hamel.- 2019
- Cinquante ans de numérique en bibliothèque / Yves Desrichard ; préface de Jean-Noël Jeanneney.- 2017
- Médiation numérique des savoirs : des enjeux aux dispositifs / Lionel Dujol, Silvère Mercier.- 2017
Et les archives...?
- Les chantiers du numérique : dématérialisation des archives et métiers de l'archiviste : actes des 11e Journées des archives, Louvain-la-Neuve, 24 et 25 mars 2011 / organisées par le service des Archives de l'Université catholique de Louvain ; Nicolas Delpierre, Françoise Hiraux et Françoise Mirguet (eds)
Belle journée à vous.
Complément(s) de réponse

Réponse du département Société concernant la question du droit d'auteur :
Une reproduction d’œuvre (photographie par exemple) peut être considérée comme œuvre elle-même et donc être protégée par le droit d’auteur définit par le Code de la Propriété Intellectuelle (œuvre comme création de l’esprit):
- " L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d'ordre patrimonial » (Art. L’article L111-1).
- Les Dispositions du [code de la propriété intellectuelle] protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. (Art. L122-1)
Toutefois, la question demeure complexe car voici les conditions à la protection des créations :
L’œuvre doit être nouvelle (c’est-à-dire qu’elle ne doit pas être identique à un dessin et un modèle divulgué antérieurement), présenter un caractère propre, c’est-à-dire susciter chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle suscitée par toute création divulguée antérieurement. (p. 39-La propriété intellectuelle. Retenir l’essentiel, éd. Nathan, Repères pratiques).
Toutefois, concernant la reproduction des œuvres «tombées dans le domaine public » notamment par les institutions culturelles de types bibliothèques et musées, nous vous invitons à lire cet article publié sur le site officiel des Creative Commons qui recommande plutôt une continuité d’ouverture.
Effectivement, la reproduction exacte d’une œuvre du domaine publique, en cela qu’elle manque de caractère d’originalité et œuvre de l’esprit, et appartement au domaine public devrait se voir apposer le sigle CCO : afin de respecter le principe du libre accès au domaine public numérique. (Lire les exemples assez évocateurs du Rijksmuseum, de la Bibliothèque publique de New-York ou encore Europeana).
En complément :
Droit de la la propriété intellectuelle / Séverine Visse-Causse
Nous vous invitons à consulter en ligne le cours de Lionel Maurel, Les notions de bases du droit d’auteur, Contenus numériques: droits d’auteurs et licences libres.