De quand date l’apparition du prêt en bibliothèque ?
Question d'origine :
Bonjour,
Un article du « The New York Post » signale le retour d’un livre de bibliothèque en retard de 110 ans. Cela est-il possible ? De quand date l’apparition du prêt en bibliothèque ?
https://www.nytimes.com/2021/11/30/us/overdue-book-idaho-library.html
Merci d’avance de votre réponse
Réponse du Guichet
Les premières bibliothèques publiques modernes furent, à la fin du XVIIIe siècle, des cabinets lecture qui proposaient le prêt comme la consultation sur place. Il est donc tout à fait plausible qu'un-e usager-e ait pu emprunter un livre à la bibliothèque de Boise (Idaho), et que celui-ci soit rendu... avec plus d'un siècle de retard.
Bonjour,
D'après l'ouvrage de Pierre Carbone Les Bibliothèques (collection Que sais-je ?), le prêt en bibliothèque est une pratique qui remonte à la Rome antique : héritant des bibliothèques grecques et macédoniennes, les Romains ont en effet multiplié les bibliothèques à partir de la fin du Ier siècle avant l'ère chrétienne:
De riches notables en créèrent également en Italie et dans l'Empire romain, les installant souvent près des temples et autres lieux publics. L'emprunt était possible, et les possesseurs de bibliothèques privées enrichissaient leurs fonds en faisant copier les exemplaires des bibliothèques publiques.
Au Moyen Age, ces bibliothèques permettant le prêt vont disparaître, alors que d'autres types d'établissements se développent : bibliothèques d'université ou d'abbayes, bibliothèques princières, royales, collections privées, bien éloignées de toute préoccupation de prêt public... C'est à l'époque moderne qu'à côté de ces bibliothèques prestigieuses, apparaissent les cabinets de lecture, ouverts au public. Ce sont les balbutiements de la bibliothèque publique :
On vit aussi se développer, en France, en Angleterre et en Allemagne, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des cabinets de lecture où on pouvait consulter et emprunter contre paiement livres et gazettes. La lecture populaire connaissait aussi ses débuts dans les bibliothèques paroissiales.
Suite à la Révolution et à ses confiscations, les fonds des bibliothèques françaises s'enrichissent considérablement. C'est au début du XIXe siècle que les villes reçoivent la charge pour gérer ces collections. Les bibliothécaires se professionnalisent, l'architecture des établissements évolue, et, à la faveur de l'alphabétisation de masse qui s'instaure, leur nombre augmente. Ce mouvement ne se limite pas à la France, puisque "Dans les pays anglo-saxons, les villes créent des public libraries. Dès 1850 en Angleterre, le Parlement autorise les villes à instituer à cet effet une taxe proportionnelle à leur budget. Aux États-Unis, ce principe s'applique dès 1833 à Peterborough et en 1852 à Boston."
Les États-Unis d'Amérique ont d'ailleurs été assez précurseurs dans l'essor des bibliothèques publiques pour que le bibliothécaire Eugène Morel vante en 1910 "le modèle anglo-saxon de la free library" :
En pays de librairie publique, celle-ci est volontaire : les citoyens eux-mêmes ont voté le penny-rate, l'impôt supplémentaire spécial à la librairie [= bibliothèque]. Ils le savent, et exigent que cet impôt leur serve. Ici [en France], on ne sait pas. Les livres nous viennent d'en haut. On ne sait qui a voté, on ne sait qui choisit. Des sanctuaires ! Des prêtres, qui viennent de séminaires moyenâgeux, y officient dans le mystère. Un seul souci : garder la dignité du lieu, en écarter le vain public. De ces deux méthodes, l'une est féconde et l'autre stérile. Alors que nous n'avons même pas [...] l'idée d'une bibliothèque publique, qu'il faut expliquer la "free library" de nos voisins comme on expliquerait le calorifère à des Dahoméens, non seulement des enfants, mais des "villes de cinq ans" la connaissent en Amérique.
Ces mots sont cités dans Histoire des bibliothèques [Livre] : d'Alexandrie aux bibliothèques virtuelles de Frédéric Barbier. Qui ajoute que dans la seconde moitié du XIXe siècle "La plupart des villes situées dans le monde anglo-saxon de part et d'autre de l'Atlantique disposent [...] de bibliothèques publiques modernes, qui vont devenir un modèle pour les autres pays européens". Le penny rate, impôt au bénéfice des bibliothèques, se répand dans de nombreuses villes, mais "La tradition américaine de philanthropie et de mécénat soutient souvent les initiatives locales, l'exemple le plus célèbre étant celui d'Andrew Carnegie, lequel ne finance pas moins de 1679 bâtiments nouveaux de bibliothèques à travers les États-Unis, et 295 en Grande-Bretagne [...]".
Il est donc tout à fait concevable que le livre jeunesse New chronicles of Rebecca de Kate Douglas Wiggin, publié en 1907, ait pu être prêté trois ans plus tard à la bibliothèque de Boise, Idaho, dont le site web nous apprend qu'elle a ouvert le 22 juin 1905, et qu'elle fut précisément... une bibliothèque Carnegie, avant de changer de locaux dans les années 1970.
Nous vous invitons à ce sujet à visionner un émouvant reportage vidéo sur NBC news. Vous pourrez y voir la fiche accompagnant le livre avec la date de prêt, ainsi que la partie du règlement concernant les pénalités de retard... lesquelles s'élèveraient à environ 800 dollars si le système d'amendes n'avait pas évolué !
Sur l'histoire des bibliothèques publiques en France et dans le monde anglo-saxon, nous vous signalons l'ouvrage Bibliothèque publique et public library [Livre] : essai de généalogie comparée d'Anne-Marie Bertrand.
Enfin, pour toutes questions touchant aux bibliothèques ou à l'histoire du livre, nous vous invitons également à consulter nos homologues du service Questions ? Réponses ! de l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques sur enssib.fr.
Bonne journée.