Dans la formule ''J'ai l'honneur de vous rendre compte des faits suivants '' : en quoi est-ce un honneur ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi écrivons-nous dans un compte-rendu ''J'ai l'honneur de vous rendre compte des faits suivants '' ? Pourquoi est-ce un honneur ?
Excellente journée
Réponse du Guichet
Nous n'avons pas trouvé d'informations spécifiques relatives à cette expression mais nous pouvons vous affirmer que le terme d'"honneur" est polysémique et qu'il faut peut-être entendre cette formule de politesse comme "c'est à moi que revient le privilège ou la responsabilité de vous rapporter les faits suivants".
Bonjour,
"j'ai l'honneur de vous rendre compte des faits suivants ..."
Cette formule d'introduction (appelée aussi formule d'attaque) est une formule de politesse utilisée dans les courriers administratifs et notamment dans les rapports de police ou rapports militaires. Elle témoigne du respect et de l'estime témoignés à l'interlocuteur.
On la retrouve d'ailleurs dans les manuels suivants :
Gardien de police municipale Garde champêtre
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Nous n'avons pas, malgré nos recherches, trouvé d'éléments d'information plus précis à son sujet mais nous pouvons néanmoins avancer quelques hypothèses.
Le terme "honneur" est polysémique. Cette formule pourrait donc être comprise de plusieurs manières.
Tout d'abord on pourrait l'interpréter comme "je suis honoré de venir vous rendre compte des faits suivants" mais peut-être faut-il mieux la comprendre comme "C'est à moi qu'échoit l'honneur de venir rendre compte des faits suivants". Elle pourrait ainsi s'entendre comme "j'ai la responsabilité de", "la prérogative", "le bénéfice", "le privilège" de venir vous rapporter ces faits.
Peut-être signifie-t-elle aussi "en restant fidèle à l'honneur" et pourrait s'interpréter comme : "j'atteste sur mon honneur l'exactitude des faits qui vont être rapportés". L'honnêté et la morale du rédacteur seraient ici mises en avant.
On trouve une remarque (misogyne ou simplement désuète ?) dans le Trésor de la langue française : L'honneur dans cette acception semble être une qualité spécifiquement masculine, la documentation n'atteste que de rares emplois concernant les femmes.
D'ailleurs, le document intitulé Guide-manuel de la civilité française, ou Nouveau code de la politesse et du savoir-vivre : indiquant la manière de se conduire comme il faut chez soi, dans le monde et dans toutes les circonstances de la vie le confirme : " Une femme doit éviter le mot honneur dans ses lettres; « me faire l'honneur » « avoir l'honneur » sont des expressions masculines."
Nous ne saurions imaginer le dilemme des agentes de police devant rédiger un compte-rendu !
La notion d'honneur revêt plusieurs acceptions qui diffèrent selon le contexte et l'époque. Voici un extrait de l'encyclopaedia universalis qui pourra peut-être vous intéresser :
Parce que l'honneur est le miroir de la société, et un miroir embellissant, l'honneur est un concept qui varie selon les temps, selon les lieux, selon les personnes. Le comportement d'honneur n'est pas le même pour l'homme et pour la femme. À l'un les actions viriles, la bravoure, le courage. À l'autre la pureté sexuelle, la chasteté, la modestie ; les joues qui s'empourprent prouvent la niaiserie de l'un, la vertu de l'autre. À une époque où celui qui avait le pouvoir, qui décidait, était avant tout un guerrier, où les temps étaient durs et où la puissance se conquérait et se gardait à la pointe de l'épée, l'homme d'honneur, c'est le chevalier. Les romans courtois exaltent Roland, le preux dont la vie tout entière est fondée sur l'honneur : honneur féodal qui commande respect, obéissance, respect au seigneur – Charlemagne ; honneur guerrier qui commande vaillance, bravoure, mépris de la mort ; honneur chrétien qui remet tout à Dieu, le suprême Seigneur. À l'heure de mourir, Roland bat sa coulpe, prie et offre à Dieu son gant droit...
Lorsque, au XVIe siècle, les humanistes dominent la pensée intellectuelle, lorsque la culture savante l'emporte sur les « coups au cœur » de la culture populaire, alors l'homme d'honneur devient un savant – Philippe de Commynes fut, selon Ronsard, le premier gentilhomme « Qui d'un cœur vertueux fist à la France voir / Que c'est l'honneur de joindre aux armes, le savoir » –, ou bien un robin : « C'est l'honneur de plaider et juger : sotte est l'opinion des brutaux que les Présidents et Conseillers ne sont gentils hommes. »
Pour Molière, l'homme d'honneur est avant tout un être vertueux, qui s'attaque aux déguisements, aux mensonges ; il résiste à la mode, même celle de la Cour et des petits marquis. Alceste l'affirme : « Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur On ne sorte aucun mot qui ne parte du cœur. »
Bien entendu, ces exemples sont empruntés à un milieu choisi. L'honneur serait-il un sentiment noble, réservé aux aristocrates, aux « meilleurs » – ἄριστοι (aristoi) – selon l'étymologie même ?
L'ambiguïté est manifeste. Les honneurs, ces marques d'estime données à ceux qui sont considérés comme honorables, sont bien souvent octroyés aux nobles, de par leur naissance. Les aristocrates ont leurs préséances, les pigeonniers, les tours de leurs résidences... témoignant de leur excellence. « Votre honneur » est somme toute un titre de noblesse... Les honneurs qui devraient, en théorie, être réservés à l'élite de la nation sont souvent acquis par la naissance, non par le mérite. C'est un paradoxe, que Montesquieu, par exemple, a stigmatisé : si le gouvernement monarchique est en péril, c'est que précisément « [dans le gouvernement monarchique] l'honneur prend la place de la vertu politique et la représente partout », or « cet honneur a été corrompu avec les hommes et l'on peut à la fois être couvert d'infamie et de dignités ». L'entourage du roi, les courtisans, qui devraient, par essence, être les « aristocrates », ne sont plus les meilleurs. Voltaire le montre magistralement, « le parfait courtisan n'a ni humeur, ni honneur »... Ce sont là des débats devenus stériles entre pouvoir, naissance, mérite, honneur et honneurs qui intéressaient le milieu des grands.
Est-ce à dire que le peuple n'a pas d'honneur ? Certes non ! Mais les témoignages appartiennent surtout à la culture savante, reflet de la classe dominante. Les gestes et les coutumes de la culture populaire sont plus difficiles à saisir. Il semble que dans les milieux populaires – aujourd'hui comme hier, et notamment sur le pourtour de la Méditerranée – l'honneur ait surtout été lié au souci de la réputation. Réputation fondée sur la virilité – reliée au courage physique – ou sur la pureté sexuelle, réputation d'ailleurs indifférente à la valeur morale de l'individu. Le mari trompé, par exemple, dans tous les villages méditerranéens est le prototype de l'homme déshonoré : il n'a pas su faire respecter sa virilité ; il n'a pas su défendre l'honneur (la pudeur) de sa femme, il a manqué à son devoir de mari et à son devoir d'homme, membre d'une communauté qui se doit de défendre la vertu des plus faibles, en l'occurrence la vertu de sa femme, tant il semble vrai que « l'honneur d'une femme est sous la protection des hommes de bien ».
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire : Drévillon Hervé, « L'âme est à Dieu et l'honneur à nous. Honneur et distinction de soi dans la société d'Ancien Régime », Revue historique, 2010/2 (n° 654), p. 361-395.
Voir aussi le chapitre 3 de Aimer l'armée : une passion à partager / Henri Bentégeat
et
Etre soldat en France de la Révolution à nos jours [Livre] / François Cochet que l'on peut consulter partiellement sur Google Livres
Étant actuellement en télétravail, nous ne pouvons pousser plus loin nos recherches mais nous ne manquerons pas de les relancer lors de notre retour à la bibliothèque. Si nous trouvons de nouvelles informations sur cette formule, nous viendrons compléter cette réponse et vous en serez averti par mail.
Bonne journée.