D'où vient cette habitude de ne pas inclure le pronom sujet dans les messages (sms, mail...) ?
Question d'origine :
Bonjour Une de mes relations n'utilise jamais le pronom sujet "Je" dans ses messages (mail ou sms). par exemple : "Espère que tu vas bien", "Ai trouvé tel truc", "Ai vu Mme Machin au marché".
Outre le fait que ça agace et choque la littéraire que je suis, je m'interroge : est ce un problème qui relève de la psychologie ou une habitude des réseaux sociaux (que je ne fréquente pas), que j'ignorerais ? Merci et bonne journée FrClaude
Réponse du Guichet
L’ellipse du sujet semble effectivement se développer avec l'écriture numérique mais il ne s'agit pas d'un usage nouveau car on le retrouve aussi dans d'autres types d'écrits comme par exemple les journaux intimes.
Bonjour,
L’ellipse du sujet semble effectivement se développer avec l'écriture numérique mais il ne s'agit pas d'un usage nouveau car on le retrouve aussi dans d'autres types d'écrits comme par exemple les journaux intimes.
A travers l'analyse d'un corpus de sms et messages WhatsApp, Elisabeth Stark, une linguiste suisse, a tenté de mieux comprendre la nature de ‘l’incomplétude’ dans l’écrit numérique mobile. Nous vous livrons ici quelques extraits de son article intitulé Le français numérique n’est pas innovant – le cas des ellipses syntaxiques :
p. 185 :
D’un point de vue variationniste, ces phénomènes ont été catégorisés par le passé comme étant des traits caractéristiques de certains registres ‘abrégés’ (titres de journaux ou journaux intimes, cf. Stowell 1991, 2013 ou Haegeman 1997, 2013), mais se retrouvent aussi régulièrement dans « l’écrit numérique mobile », comme nous avons nous-mêmes montré dans des publications précédentes (Stark/Robert-Tissot 2017, Stark et al. 2018), qui représentent, avec des résultats descriptifs inédits provenant de mémoires et thèses dirigés par nous (Reust 2015, Wyss 2018, Stuntebeck en préparation), la base empirique de cette contribution (sections 3 et 4).
p. 195 :
Haegeman propose que l’omission du sujet dans l’‘écrit abrégé’ devrait être comprise comme conséquence d’une interaction réduite entre les interlocuteurs (ce qui est certainement le cas des journaux intimes, moins des SMS et encore moins des messages WhatsApp), ce qui se traduirait dans le modèle de la grammaire générative par une structure tronquée, incomplète des phrases à sujet
omis (cf. Rizzi 1997). Le ‘système du complémenteur’ (CP, appelé également « périphérie gauche » de la phrase), où sont localisés normalement les éléments indiquant la valeur illocutoire des énoncés, les éléments focalisés ou topicalisés et ainsi de suite, serait donc absent ou extrêmement réduit dans de tels énoncés (cf. aussi Weir 2012) ; autrement dit, on trouve les sujets omis là où la valeur illocutoire est donnée ou connue par le contexte et dans des situations où il n’y a ni focalisation ni changement du topique.
p. 196-197 :
est-ce un indicateur de registre, un phénomène donc qui se produit avec une fréquence accrue dans l’écrit numérique, mais existant aussi ailleurs, ou est-ce un marqueur de registre, à la suite de Labov 1972, c’est-à-dire une variante typique et exclusive de l’écrit numérique ?
Une première observation en nette contradiction avec la deuxième hypothèse concerne l’attestation d’ellipses du sujet en dehors de l’écrit numérique, comme nous l’avions mentionné plus haut. Surtout, les phrases à ellipse du sujet se trouvent dans les journaux intimes, anglais comme français, dans des notes de lecture, des brèves biographies journalistiques etc., et ceci à des taux de fréquence absolument comparable. Suivant Haegeman (1999), le journal intime de Léautaud (1933) compte 11.54% de sujets omis, chiffre très proche des 9.4% de Robert-Tissot (2018a) pour sms4science.ch et des 7.75% de Stuntebeck (2018) pour 4 chats du corpus WhatsApp suisse. A cela s’ajoute une deuxième observation, à savoir la distribution syntaxique presque identique des sujets omis dans les différents registres d’‘écrit abrégé’ [...]
Rassurez-vous, la linguiste conclut qu'il ne s'agit pas d'un changement profond de notre langue :
p. 198 :
Nous avons constaté qu’il n’y a pas vraiment de preuve dans nos données pour un éventuel changement linguistique. Les structures morphosyntaxiques ‘déviantes’ par rapport au standard, écrit ou oral, ou à d’autres variétés, sont en général très rares (cf. Stark 2011, Stark/Riedel 2013, Stark 2017) et attestées depuis le siècle dernier, au moins, dans les journaux intimes pour l’ellipse du sujet. Les données autour de la première personne (moi sans je, ellipse de je dans un corpus oral de Suisse romande, ellipse de nous relativement fréquente) méritent pourtant une description et une réflexion plus approfondies, sur la base de données plus diversifiées. [...]
Somme toute, nous ne pouvons pas confirmer une tendance quelconque à l’omission généralisée de mots fonctionnels et surtout pas un changement linguistique considérable dans ou par l’écrit numérique.
Autres références sur ce sujet :
- Registre et moyen de communication: interdépendance ou indépendance? et notamment sa partie 4 : Le phénomène linguistique observé: l'omission du sujet / Aurélia Robert-Tissot
- Grammaire du SMS / Aurélia Robert-Tissot
- “Register-Based Subject Omission in English and its Implication for the Syntax of Adjuncts” / Liliane Haegeman - Anglophonia [Online], 28 | 2019
Cette contribution (en anglais) étudie l’omission du sujet des phrases finies en anglais dans le contexte de certains registres « abrégés » écrits, représentés en particulier par le journal intime.
- Analyser la communication numérique écrite / Michel Marcoccia
Bonne journée.
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