Y a-t-il une guerre secrète entre les différents paradis fiscaux ?
Question d'origine :
Bonjour
Y-at-il une guerre secrète (ou pas) entre les différents pays ou régions dits paradis fiscaux et quelles sont leur techniques ? Chacun d'un entre eux a sûrement intérêt à faire venir chez lui le plus possible d'évadés et de fraudeurs fiscaux, en en prenant chez les autres. Par exemple, en faisant d'une pierre deux coups, les USA ont bien récupéré des données bancaires des banques suisses et décrédibilisé leur système financier, et probablement favorisé stratégiquement d'autres paradis fiscaux.
Merci
Réponse du Guichet
Si une concurrence fiscale féroce semble être livrée entre les différents paradis fiscaux, la guerre ne parait pas avoir encore éclaté. Vincent Piolet explique toutefois que les paradis fiscaux sont le trrain de jeu de rivalités géopolitiques des grandes puissances.
Bonjour,
Dans son ouvrage intitulé Paradis fiscaux, enjeux géopolitiques, Vincent Piolet explique que les paradis fiscaux sont le terrain de jeu de rivalités géopolitiques où sont impliqués des lobbies industriels et financiers.
En voici une présentation :
En réalité, et c’est ce que démontre Vincent Piolet dans son ouvrage, l’existence des paradis fiscaux est liée aux rivalités géopolitiques entre grandes puissances, qui cherchent à conserver ou prendre le contrôle de ces flux financiers abrités dans des petits États faussement indépendants – car placés de facto sous leur contrôle : les Bahamas pour les États-Unis, Monaco et Andorre pour la France, les îles anglo-normandes pour le Royaume-Uni, le Liechtenstein pour l’Allemagne, Hong Kong, Singapour et Macao pour la Chine ou le Japon, Chypre pour la Russie, le Luxembourg et la Suisse pour tout le monde… [...]
Chaque puissance économique dispose ainsi, plus ou moins indirectement, de ses paradis fiscaux, qui restent indispensables pour attirer les flux de capitaux et les investir chez elle ou les réinvestir dans le reste du monde, généralement via de grandes entreprises ou des fonds spéculatifs.
« Si les États peinent à régler le problème des paradis fiscaux, c’est justement parce qu’il n’en est pas un de leur point de vue, analyse ainsi Vincent Piolet. Les paradis fiscaux ne sont pas à la marge du système financier international, ils en sont le cœur. Loin de se limiter à la fraude fiscale, ils voient passer des flux financiers de plusieurs milliers de milliards de dollars du fait de réglementations laxistes. » [...]
Mais, derrière les discours, les actes ont leur importance. « Si chaque puissance économique a ses paradis fiscaux, certains sont assurément plus habiles que d’autres à imposer la transparence fiscale à leurs concurrents tout en préservant la leur, rappelle Béatrice Giblin, professeur émérite de géopolitique à l’université Paris 8 [...].
Rivalités de pouvoir pour la captation de la finance offshore
Il est indéniable qu’en la matière, les États-Unis sont particulièrement offensifs. En témoigne le règlement fiscal Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) adopté par le Congrès en 2010, progressivement imposé à l’ensemble des pays du monde, car il s’applique à toute banque souhaitant avoir accès au marché américain. De quoi s’agit-il ?
« FATCA oblige toutes les banques installées aux États-Unis à communiquer à l’administration fiscale américaine tous les comptes de citoyens américains gérés par elles n’importe où dans le monde. »
Déjà fragilisées par l’affaire UBS, société épinglée pour avoir systématisé des opérations de blanchiment et de fraude fiscale au profit de ses clients étrangers, les banques suisses, massivement présentes aux États-Unis, se soumettent.
« La manœuvre est parfaite, le coup est double : non seulement la finance américaine peut récupérer des milliards en gestion d’avoirs offshore mais elle passe aussi pour être l’adversaire des paradis fiscaux », analyse encore Vincent Piolet pour Conflits.
FATCA ne s’attaquant pas aux trusts qui permettent une véritable dissimulation des avoirs via le secret fiduciaire, les concurrents suisses ou luxembourgeois des banques américaines se trouvent évincées d’un marché particulièrement rentable.
Dans ces conditions, la souveraineté américaine sur le système financier ressort renforcée. « Reste une certitude : les États-Unis sont en train de réussir leur OPA sur la finance offshore ».
Parce que celle-ci est devenue l’un des rouages essentiels de la mondialisation, elle ne saurait échapper au jeu des puissances, et encore moins disparaître.
source : Financiarisation de l’économie, retour de la loi du plus fort - Géopolitique des paradis fiscaux CLES
Il est indéniable que les État rivalisent en matière d'imposition et que la concurrence fiscale est bien réelle. Elle prend alors le nom de dumping fiscal.
Les grands centres financiers, qui se disputent une clientèle limitée de HNWI [ High-Net-Worth-Individual – désigne une personne disposant d'un patrimoine investissable d'au minimum 1 million de USD selon le «World Wealth Report» de Capgemini (2011).], sont en permanence sur le qui-vive. Ils s’observent mutuellement et se répondent, afin d’offrir un cadre fiscal et réglementaire toujours plus accueillant.
Nous vous laissons poursuivre la lecture du livre intitulé Dumping fiscal. Enquête sur un chantage qui ruine nos états d'Éric Walravens pour en savoir plus.
Mais la guerre ne semble pas encore avoir été déclarée. C'est en tout cas ce qu'explique Jacques Fontanel dans L’Europe des paradis fiscaux :
La guerre fiscale n’est pas encore déclarée, mais elle menace. En exigeant plus de transparence, chaque pays est obligé de faire des efforts pour son attractivité. Londres a déjà menacé, en cas de Brexit difficile, de répliquer par un dumping fiscal agressif. Depuis septembre 2015, plusieurs pays ont diminué les impôts sur les sociétés (Chine, Australie, Royaume-Uni, Italie, Japon, Israël, Norvège, Namibie, etc.) et les Etats-Unis et la France se proposent de leur emboîter le pas. La créativité des fiscalistes n’a pas de limite, avec les incitations fiscales à l’investissement et à la R&D, les soutiens aux PME, la création de zones économiques spéciales, les havres fiscaux bien définis, etc. Les écarts de coût du travail ne suffisent plus à attirer les multinationales. Si Washington s’engageait dans cette voie, Washington pourrait devenir très clairement le plus important paradis fiscal de la planète.
En 2018, l’Union européenne a adopté une réforme importante en vue de lutter contre l’opacité financière excessive, chaque Etat membre étant astreint à créer des registres sur les bénéficiaires effectifs des sociétés (RBE). Le Luxembourg a été le premier à fournir des informations, avec 88% de réponses effectives. En Février 2021, une enquête appelée OpenLux, conduite par plusieurs journaux, dont le Monde, considère que les réponses ne sont concrètement fournies que par 52% des entités concernées (68.000 entités n’ont aucun propriétaire identifiable, 40.000 n’ont pas d’actionnaire disposant d'au moins 25 % des actions et 26.000 sociétés ont failli à leur obligation).
A lire aussi :
- La Richesse cachée des nations : Enquête sur les paradis fiscaux / Gabriel Zucman
- Concurrence fiscale et modèle social dans l’Europe élargie Convergence ou désunion européenne ? / Éric Magnin
- Les paradis fiscaux dans la concurrence fiscale internationale / Antoine MOLE
Bonne journée.