Est-ce que l'évolution alimentaire de l'homme lui est bénéfique ?
Question d'origine :
Bonjour,
Wikipédia me dit que les caries sont, dans le cas des animaux, symptomatiques d'une mauvaise nutrition.
Les humains n'étant pas autre chose que des animaux, pourquoi n'en tire-t-on pas une conclusion similaire?
On sait maintenant que la transition alimentaire du néolithique a entraîné des problèmes de malnutrition.
A-t-on la certitude que cette transition a donc été réellement bénéfique?
Peut-on penser que la sélection naturelle induirait un régime alimentaire adéquat pour le métabolisme humain qu'il s'agirait alors pour de suivre pour conserver sa santé?
Dans quelle mesure est-ce que ce métabolisme et ses besoins pourraient varier dans le temps (paléo/néolithique par exemple) et l'espace (des peuples au régime principalement carné ou d'autres principalement végétariens) en continuant de donner des humains en bonne santé malgré ces variations?
Merci pour vos éclaircissements!
Réponse du Guichet

Il semble bien que le régime alimentaire ait une influence sur le développement des caries dentaires.
Les besoins en apport énergétique et la nature de ceux-ci sont variables en fonction des individus (hommes ou femmes, adultes ou jeunes), de leur activité physique et de leur environnement (température notamment). Le régime alimentaire optimal est alors le plus adapté à un individu donné dans un contexte donné, et il n’existe probablement pas de régime alimentaire «universellement bon».
Certains auteurs pointent les inconvénients provoqués par le changement de mode de vie du néolithique.
Bonjour,
Vous souhaitez savoir s'il existe un régime bénéfique, guidé par la sélection naturelle.
Un régime bénéfique?
Actuellement, les besoins énergétiques moyens seraient de 2700 kcal pour un homme, et de 2000 kcal pour une femme. Toutefois, ils peuvent monter jusqu'à 4000kcal en cas d'activité intense. Un adolescent ou une femme enceinte auront par exemple des besoins accrus.
Marylène Patou-Mathis, dans son ouvrage Mangeurs de viande, évalue par exemple les besoins de rations alimentaires minimum nécessaires à un chasseur à 3000 kcal par jour, ce qui serait donc probablement trop élevé pour notre mode de vie. Elle précise en note que ces apports devraient se répartir à 58% de glucides, 30% de lipides, 12% de protéines, ainsi que de vitamines, minéraux et autres oligo-éléments.
En cas de carence de l’un ou l’autre des éléments,le métabolisme peut fonctionner en prenant pour base d’autres nutriments, bien que cela ne soit pas sans effet. En effet, l’assimilation des aliments consomme elle-même de l’énergie, en quantité variable selon le type de nutriment disponible. L’assimilation des glucides est moins coûteuse en énergie que celle des lipides, eux-mêmes plus facilement assimilables que les protides.
des populations actuelles suivent des régimes qui s'éloignent assez largement des standards évoqués plus haut.
Si le régime alimentaire ne comporte que 20% de produits végétaux, on arrive à 1700g de viande pour 400g de végétaux, les glucides ne fournissant que 14% de l’énergie quotidienne. Le métabolisme est alors réorienté vers la néoglucogenèse à partir des lipides, c’est le cas chez les Inuit qui consomment de la viande, de la graisse de mammifères marins, quelques rares végétaux de la côte qui échappent au gel permanent et, en hiver, des algues. (Patou-Mathis, p.20)
Caries dentaires:
Marylène Patou-Mathis précise dans son ouvrage «Mangeurs de viande», à propos du régime alimentaire des populations du paléolithique supérieur et de l’influence de celui-ci sur les caries dentaires, p. 23:
Quant aux caries dentaires, elles sont quasiment inexistantes à cette période [le paléolithique supérieur], ce qui révèle une consommation réduite d’aliments riches en glucides. Cependant, leur développement peut être contrecarré par un régime à base de produits marins, aliments très riches en fluor. Par contre les caries apparaissent dès le Néolithique, avec la consommation importante de graminées désormais cultivées.
Aline Thomas, du Museum d’histoire naturelle, le confirme dans l’ouvrage Archéologie de la santé, anthropologie du soin, tout en nuançant un peu:
Certes, la carie étant liée en grande partie au régime alimentaire, son augmentation (ou diminution) en fréquence est donc significative d’un changement de mode de subsistance. Rarement observée parmi les chasseurs-cueilleurs du paléolithique, la carie devient en effet banale chez la plupart des agriculteurs néolithiques, en raison du caractère cariogène des céréales ingérées. Les fréquences sont toutefois variables en fonction de la diversité de la diète. Certains contextes de néolithisation ne montrent d’ailleurs aucune augmentation du nombre de caries, comme au Levant, où le changement de système économique n’a pas fondamentalement modifié le panel des aliments consommés.
Révolution néolithique:
Aline Thomas, du Museum d’histoire naturelle, dresse dans l’ouvrage Archéologie de la santé, anthropologie du soin, un panorama des impacts sanitaires de la transition néolithique.
Elle reprend la théorie de la «transition démographique néolithique» (TDN), selon laquelle les changements de mode de vie de cette époque auraient entraîné une augmentation des populations, associée au déclin de leur santé, lié à la densification des groupes humain et à la promiscuité continue (entre les hommes et avec les animaux domestiques) qui en résulte. Selon ce modèle, la transition néolithique aurait eu pour corollaire une hausse de la mortalité, compensée par une hausse des naissances. Elle met en doute la théorie de l’apparition des maladies infectieuses au néolithique, mais admet que les concentrations de population importantes ont pu favoriser le risque sanitaire qu’elles constituaient.
Elle relève par ailleurs que la transition agricole s’est accompagnée d’une réduction de la stature des individus, sans que l’on soit capable avec certitude d’attribuer les causes de cette évolution. Le changement de régime alimentaire est évoqué, mais également la modification des activités, sans qu’il soit pour elle possible de trancher en l’état actuel des connaissances.
Pascal Picq pointe l’effondrement de la diversité des ressources alimentaires au Néolithique lors d'un colloque de l'Institut Français pour la nutrition (p.25):
Contrairement à une conception aussi progressiste que simpliste de l’histoire de l’humanité, le Néolithique se caractérise par une diminution dramatique de la diversité des aliments avec son cortège de famines et de déficiences nutritives.
Certains auteurs ont également remis en cause de manière plus large le caractère bénéfique de la révolution néolithique. Parmi eux figurent les partisans de l’anthropologie anarchiste.
Marshal Salhins est un des précurseurs de cette thèse. Dans son ouvrage Âge de pierre, âge d’abondance. Économie des sociétés primitives, publié en 1972, il met en avant l’augmentation du temps de travail qu’a entraîné la révolution néolithique. Ainsi, d’après lui, trois ou quatre heures de travail quotidien suffisaient à assurer sa pitance à un chasseur cueilleur, quand le temps de travail nécessaire à un agriculteur (ou à un de nos contemporain), était bien supérieur.
James C. Scott, dans son ouvrage Homo domesticus, prolonge la thèse de Sahlins pour montrer que non seulement la révolution néolithique a entraîné une hausse du temps consacré à la recherche de ressources alimentaires, mais aussi un appauvrissement de leur diversité. Par ailleurs, elle aurait entraîné une explosion de la menace infectieuse. Selon lui, de nombreux indices indique des dépeuplements brutaux de sites accréditent cette thèse. Mais selon lui, le regroupement des populations et le développement de la culture des céréales aurait également été à l’origine de la création des États, et donc de la naissance des sociétés inégalitaires.
Je vous invite à consulter également la réponse à votre deuxième question Que sait-on de l'alimentation des humains du paléolithique ?, qui apporte des informations complémentaires.
Vous souhaitant bonne lectures,
Le département civilisations
Réponse du Guichet

Bonjour,
Vous souhaitez savoir si l'évolution de l'être humain lui a été bénéfique.
Plus précisément, vous voulez savoir si l'apparition des caries chez les êtres humains sont liées à une malnutrition. Elle serait, à priori, plutôt liée à un changement d'alimentation.
Vous souhaitez également savoir si la transition alimentaire à l'époque du néolithique a été réellement bénéfique pour l'être humain ? Celle-ci a eu des bénéfices et quelques effets néfastes.
Vous vous interrogez également sur le fait que la sélection naturelle peut peut-être induire un régime alimentaire spécifique adapté, hors l'être humain a montré qu'il a toujours su adapter son alimentation à son environnement.
Bonjour,
Vous souhaitez savoir si l'évolution de l'alimentation des êtres humains leur a été bénéfique. Nous avons, pour répondre, trouvé certains éléments liés à l'apparition des caries.
Concernant les dents, il semblerait que l'évolution alimentaire de l'homme, avec une alimentation très différente des alimentations "précédentes", soit à l'origine de de la mauvaise santé dentaire actuelle d'une majorité de la population, comme l'explique l'article "Aux racines de nos problèmes dentaires" publié dans la revue "Pour la science" n°512, paru en juin 2020.
C'est donc une alimentation différente et non une malnutrition qui semble être à l'origine de l'apparition des caries dentaires.
C'est également ce qu'évoque l'article du Monde "L'apparition des premières caries, il y a quelques 11000 ans...". Le fait de maîtriser l'élevage, ainsi que l'agriculture a permis à l'être humain d'augmenter la quantité de sucres "lents" dans son alimentation, grâce à la consommation de céréales. Les caries dentaires ont alors commencé à apparaître à ce moment-là, selon Mark Guillon, anthropologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives.
D'après l'article paru dans le magazine "Pour la science", la carie dentaire est la maladie chronique la plus courante et la plus répandue au monde. Elle touche près de 8 Français sur 10, et des milliards de personnes dans le monde.
Comme l'énonce l'article, c'est l'utilisation du saccharose, un sucre très nocif, qui est actuellement très problématique car il favorise grandement la production des caries.
Dans ce même texte, l'auteur évoque le fait que pour les archéologues, il existe un lien entre agriculture et caries : à la période dite du "Néolithique", il y a environ 10 000 ans, le passage d'un mode de vie de chasseurs-cueilleurs à agriculteurs-éleveurs semble correspondre à l'apparition d'un nombre élevé de caries pour une majorité d'êtres humains à cette époque.
D'après des études de Clark Larsen, de l'Université d'Etat de l'Ohio, l'incidence des caries a, par exemple, été multipliée par plus de sept avec l'adoption et la propagation de la culture du maïs au bord de la côte préhistorique de Géorgie américaine.
D'autres études, génétiques celles-ci, ont montré que l'apparition des caries a surtout augmenté à partir de la révolution industrielle et l'utilisation plus générale du saccharose et des aliments hautement transformés.
Vous vous interrogez également sur la question suivante : a-t-on la certitude que cette transition a réellement été bénéfique ?
L'article tiré du journal "Le Monde" cité précédemment évoque également le fait que lors de la transition nutritionnelle qui a eu lieu durant le néolithique, de nouveaux troubles sont apparus comme les troubles de la posture, dus à la répétition de tâches pénibles que nous appelons actuellement "troubles musculosquelettiques."
Cette transition alimentaire n'aura donc pas eu que des bénéfices. Cependant, comme le souligne l'article "Le régime "paléo" : lubie moderne ou vraie bonne idée ?", se tourner vers un régime alimentaire proche de celui de nos ancêtres du temps de la paléontologie s'avérerait difficile, en raison de la quantité très importante de produits transformés que nous consommons (partie : Evolution (s) et alimentation).
De plus, l'être humain a évolué aux niveaux morphologique et génétique (partie : Manger paléo aujourd'hui). Il possède des intestins plus petits (raccourcis) qu'auparavant et a acquis la capacité de digérer le lait par exemple.
Vous vous posiez également la question suivante : peut-on penser que la sélection naturelle induirait un régime alimentaire adéquat pour le métabolisme humain qu'il agirait alors pour conserver sa santé ?
Les différentes études ont également montré que notre système digestif n'est "fait" pour aucun régime alimentaire spécifique : nous digérons plus difficilement les végétaux que les herbivores, et nous avons plus de difficultés à digérer la viande que les carnivores (partie : La cuisine comme moteur de l'évolution).
En partant de ce constat, nous pensons pouvoir imaginer que la sélection naturelle n'induit pas de régime alimentaire adéquat pour le métabolisme humain car notre appareil digestif a toujours su s'adapter à la nourriture trouvée au fil du temps pour lui permettre de se substenter et de survivre.
En fin, vous souhaitez savoir : Dans quelle mesure est-ce-que le métabolisme et ses besoins pourraient varier dans le temps (paléo / néolithique par exemple) et l'espace (des peuples au régime principalement carné ou d'autres principalement végétariens) en continuant de donner des humains en bonne santé malgré ces variations ?
Le métabolisme et les besoins alimentaires de l'être humain ont changé, car notre mode de vie a changé, grâce aux évolutions technologiques et au confort qu'elles nous ont apportées. Notre dépense d'énergie s'avère également moindre qu'auparavant comme l'énonce l'article (partie : Manger paléo aujourd'hui), du fait de la baisse d'activité physique constatée dans notre société actuelle.
Pour rester en bonne santé, ce qui ressort des études (partie : manger paléo aujourd'hui), c'est qu'une alimentation avec une consommation moins importante de sel, ainsi que d'aliments à indice glycémique élevé et riche en oméga 6 est la meilleure possible pour la santé.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter nos ouvrages liés aux dents, au néolithique, et au paléolithique.
Bonne fin d'après-midi.
Cordialement.
L'équipe de la médiathèque du Bachut Santé.