Le directeur d'une médiathèque municipale a t-il un rôle de conseil auprès de son élu de tutelle ?
Question d'origine :
Bonjour,
Dans le cadre de ses fonctions et quel que soit le grade, le directeur d'une médiathèque municipale a t-il un rôle de conseil auprès de son élu de tutelle ?
Que disent les textes ?
Merci beaucoup !
Réponse du Guichet

Si les directeurs de médiathèques ont évidemment des comptes à rendre à leurs élus, ceux-ci peuvent bénéficier des compétences de ceux-là pour l'élaboration du projet culturel de la collectivité, tout en gardant la décision finale. Il existe pourtant de nombreuses modalités de relations entre eux, et leur travail commun ne se fait pas toujours sans heurts.
Bonjour,
Commençons par rappeler les principes qui guident les relations entre le ou la responsable de médiathèque et son élu-e. Selon la réponse Responsable de bibliothèque municipale sous la tutelle d'un responsable d'une autre structure de la commune de l'Enssib
Tout d'abord, il convient de distinguer responsabilité hiérarchique et tutelle. Les bibliothèques municipales sont en effet toujours sous la tutelle du maire et du conseil municipal, auxquels les directeurs doivent rendre des comptes.
Précisons ensuite qu'il existe de nombreuses configurations, et que les municipalités ont une grande latitude en ce qui concerne l'organisation de leurs services.
Ainsi, la conception/application des politiques du territoire relèvent de "l’hôtel de ville (directeur des affaires culturelles et/ou service des affaires culturelles, élus) qui est censé assurer la coordination de l’ensemble dans le cadre de la politique culturelle de la municipalité".
Les missions d'un-e responsable de médiathèque sont, d'après la fiche-métier du CNFPT :
Élaboration et mise en œuvre du projet d'établissement
Programmation, mise en projet et conduite d'orientations documentaires et de services
Veille et recherche scientifiques et techniques relatives au management des bibliothèques et aux politiques publiques
Cependant, le directeur de médiathèque, et c'est bien l'intérêt de sa présence, possède des compétences que l'élu-e ne possède pas. Son rôle est entre autres d'"Identifier les besoins de la population à desservir en matière de formation, d'information et de culture", "Mobiliser l'intelligence collective des équipes pour situer et proposer aux élues et élus un positionnement de l'établissement approprié aux besoins identifiés en cohérence avec les politiques publiques engagées", et "Proposer aux élues et élus des orientations stratégiques et les décliner en projet d'établissement".
Ce projet d'établissement sera toujours à faire valider par l'élu.
Dans ce cadre, les rapports de l'autorité et du responsables peuvent varier énormément d'une collectivité à l'autre et dépendent du degré de confiance qui s'établit entre eux.
Le BBF a publié en 2003 les résultats d'une enquête intitulée L'élu, le directeur et la bibliothèque qui met en évidence la demande de la part des élus des avis des directeurs de structures culturelles pour la constitution de projets culturels, du fait des compétences de ces derniers :
Certes, la façon dont cet aspect est mis en avant est rarement résumée ou formulée de manière totalement construite, mais cela se retrouve sous de nombreuses formes : « Je lui ai demandé des projets, en particulier sur l’animation », dit un maire et il insiste, car il espère « que la majorité des bibliothécaires adhèrent à ce projet […], ce qui est le rôle (travail) du directeur ».
Un second élu le dit ainsi : « Il [le directeur] doit savoir où va la politique municipale pour la mettre en œuvre le mieux possible », car « un cadre permet ensuite, en toute matière, et en particulier sur le plan culturel ou sportif, une liberté d’action. » En effet, « un élu n’est pas un spécialiste. La mise en œuvre d’un projet, d’une action appartient en grande partie aux responsables du secteur. » Après, il doit y avoir « validation de l’exécutif ».
Un troisième élu se félicite ainsi d’avoir pu recruter le bon directeur : « C’est une personne capable d’imaginer un fonctionnement. Qui n’aurait pu se faire sans un conservateur compétent pour gérer le quotidien, mais prêt à réfléchir avec nous et à concevoir quelque chose de nouveau. » Et il a cette formule : « La mise en musique professionnelle ne peut venir que d’un professionnel. »
Ce que disent plus techniquement d’autres élus : « Les élus ne sont pas toujours à même de savoir tout ce qui peut exister dans tous les domaines », ou à propos de contrats ville-lecture : « Ce sont les services qui ont sollicité les élus », ou encore : « Le second point que je recherchais [là encore, dans un recrutement], c’était quelqu’un capable d’améliorer le service public, ses heures d’ouverture, ses relations avec l’ensemble des partenaires, le scolaire, mais pas seulement, les équipements artistiques de la ville […], quelqu’un capable de dégager une cohérence. »
On arrive ici à cette notion de projet, qui est plus ou moins explicitée par les interlocuteurs, selon, vraisemblablement, qu’ils affirment ou explicitent eux-mêmes une politique municipale de la culture. Un directeur des affaires culturelles en est bien conscient : il observe qu’il y a « des profils bien différents selon les types d’équipement et les missions que se donnent (ou pas) une commune, une université, une bibliothèque départementale de prêt ».
En fait, que cela soit implicite ou explicite, la capacité à dynamiser une équipe traduit autre chose : « Il faut avoir des personnes capables d’impulser des projets, capables de prises d’initiative. » Cela se traduit en particulier par des termes tels que cohérence, transversalité, territoire… et d’abord par le souci que le directeur de bibliothèque « ne soit pas seul à travailler dans son coin ».
Cette nécessité de travailler en réseau revient plusieurs fois : « Le pire est que chacun travaille dans son coin. Il faut que tous [les acteurs culturels de la ville] se connaissent. Le responsable de la bibliothèque doit être immergé dans tout cela. » Et la cohérence est définie comme devant « être en bonne intelligence avec les programmes et entre les institutions de la commune ».
[...]
La notion de projet débouche donc sur une dimension politique : « Il faut avoir une réflexion politique. De politique culturelle : à quoi sert une bibliothèque ? » et plus loin : « Travailler sur l’apport que les bibliothèques peuvent prendre dans la politique municipale » ou encore : « Donner plus de lisibilité, plus de cohérence, pour que la structure soit bien identifiée comme ayant une politique culturelle propre. » Et l’élu insiste pour que celle-ci soit l’émanation de la bibliothèque tout entière, perçue comme un seul équipement et non comme la juxtaposition de plusieurs sections…
La participation à une politique culturelle et la capacité à dynamiser peuvent aller – mais c’est un directeur des affaires culturelles qui l’affirme – jusqu’à la « capacité à mobiliser une équipe municipale autour d’un projet fédérateur et donc une grande capacité de dialogue et d’écoute. Ceci implique aussi naturellement de se saisir des enjeux d’aménagement du territoire qui vont se jouer dans les deux ans qui viennent dans le cadre des communautés d’agglomérations, de communes ou de pays. »
Ces relations avec le politique sont revendiquées, fût-ce sous d’autres angles. Cette fois, c’est un maire qui l’exprime : « En matière artistique ou culturelle, la clef du succès est que chacun décide dans son domaine. Les élus donnent des principes, font des choix d’opportunité, mais toute la mise en musique revient aux responsables des équipements. D’où la nécessité de travailler en commun. » Et plus loin : « J’ai écrit un texte court qui met en avant les axes culturels de la ville […]. Le conservateur a proposé un texte pour la médiathèque qui entre dans la politique générale. »
En fait, il y a une oscillation entre deux points de vue. D’un côté : « Il faut solliciter l’équipe municipale », mais de l’autre : « J’attache beaucoup de prix à la différence et la complémentarité entre le rôle du politique et le rôle du technicien. »
Il faut, ici, souligner que tous les élus insistent sur la confiance qui doit régir leurs relations avec le directeur de la bibliothèque (et plus généralement avec les directeurs d’établissements) : « S’il y a de la suspicion, c’est invivable. » Ce qui implique évidemment un certain sens de la négociation, terme qui n’a cependant jamais été utilisé au cours des entretiens.
Vous pourrez lire avec profit le Vademecum Se positionner dans sa collectivité publié en 2016 dans lequel L'ABF indique que le rôle de conseil peut être crucial à l'arrivée d'une nouvelle équipe d'élus, lorsque ceux-ci n'ont pas encore élaboré une politique culturelle structurée :
À l'arrivée d'une nouvelle équipe, dans le cadre ou non d'une alternance, ou simplement d'un nouvel élu ayant dans son domaine de responsabilité la lecture publique, celle-ci ne fait pas forcément l'objet d'une politique élaborée ni même d'une vision précise fondée sur des faits et une volonté. C'est normal, le champ de l'action publique est vaste et, sauf si le sujet a été localement sous le feu de l'actualité, il n'est pas forcément des plus en vue.
Mais lorsqu'on n'a pas d'idée, on en a quand même : ce qui prime alors ce sont des représentations a priori sur les bibliothèques, qui peuvent être très réductrices, surtout si elles ne reposent sur aucune pratique personnelle de fréquentation, ou sur des pratiques trop anciennes ou dans un contexte de bibliothèques peu développées.
Il est normal qu'il y ait un temps d'appropriation, plus ou moins long, de ce sujet comme de bien d'autres, temps nécessaire pour que les décideurs se fassent leur propre opinion, prennent personnellement la mesure d'un domaine de l'action publique au départ peu familier. Dans cette phase, le rôle des professionnels est pédagogique : faire en sorte d'aider peu à peu le décideur à appréhender lui-même le sujet, par des faits, des projets ponctuels, le recours mesuré à des exemples pris ailleurs, plutôt que par un exposé définitif et clos qui n'emportera pas l'adhésion.
Ensuite, "Il appartient aux professionnels de faciliter la prise de position en l'éclairant le mieux possible par des faits et des propositions d'orientation". Et ce pour des domaines très divers :
Cela peut concerner de grands dossiers comme un projet de création ou de rénovation de bâtiments, ou bien la tarification, les horaires d'ouverture, une démarche de partenariat, etc. Mais on peut aussi transformer en objet de validation ce qui relève d'une activité quotidienne ou régulière : un programme d'actions culturelles, ou encore la politique documentaire qui peut faire l'objet d'une charte validée par les élus. La validation étant alors une forme suprême d'appropriation. Et n'oublions pas que l'élaboration annuelle du budget peut être l'occasion d'une validation d'objectifs et de moyens.
Nous vous laissons lire ce document in extenso.
Nous vous invitons également à consulter le dossier "Bibliothécaires et décideurs" publié en 2016 dans la revue Bibliothèque(s). Celui-ci, à l'aide de nombreux exemples, vous fera comprendre les relations parfois difficiles et les enjeux de confiance que les professionnels sont bien obligés de prendre en compte...
Vous pourrez également consulter cette autre réponse de l'Enssib, Relations entre le directeur de bibliothèque, le DAC et l'élu.
Nous vous suggérons d'adresser votre question au service Questions ? Réponses ! de l'Enssib, nos homologues pour les questions de bibliothéconomie.
Bonne journée.