Pourquoi et quels sont les livres qui ont été censurés lors de la 2nde guerre mondiale ?
Question d'origine :
Bonjour, je suis une élève d’un lycée de Girona. Ici, nous faisons un travail que nous appelons TDR et j’ai choisi le sujet des livres interdits pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Cela m’aiderait beaucoup si vous pouviez répondre à quelques questions afin d’approfondir mes connaissances.
Pourquoi pensez-vous qu'il était nécessaire d'interdire les livres?
Quels livres ont été les plus interdits, pourquoi ?
Et les auteurs les plus censurés, pourquoi ?
Finalement, j’aimerais savoir si vous avez dans vos archives des livres qui ont été retirés du catalogue lors de l’invasion allemande et si vous connaissez la date à laquelle ils ont été interdits.
Merci beaucoup pour votre aide
Estel.
Réponse du Guichet
Le régime totalitaire nazi a développé un système de propagande qui ne pouvait omettre de contrôler l’édition et donc la lecture, et à travers elles, la pensée.
Quelques mois après l’arrivée au pouvoir du parti national-socialiste allemand (NSDAP), le chancelier Adolf Hitler commande une action organisée contre «l’esprit non-allemand». Mise en œuvre par l’association allemande des étudiants nationaux-socialistes, elle prévoit d’allumer le 10 mai 1933 d’immenses autodafés devant l’Opéra de Berlin et dans vingt autres villes allemandes. Ainsi, des dizaines de milliers de livres sont jetés publiquement au feu par les étudiants, enseignants et membres du parti national socialiste. Les œuvres de Karl Marx, Sigmund Freud, Kurt Tucholsky, Stefan Zweig, Heinrich Heine, Thomas Mann, Erich Kastner et tant d’autres auteurs sont alors réduites en cendres.
L’Occupation allemande en France a instauré un nouvel ordre dans le domaine du livre, reflet d’une politique de domination qui attribuait à la France une position de «puissance de second rang, pourvoyeuse de produits de luxe et espace de divertissement voué au plaisir de vainqueur», pour reprendre les écrits d’Eberhard Jäckel parus dans son livre «La France dans l’Europe d’Hitler», éd. Fayard, 1968.
Les troupes allemandes rentrent dans la capitale française le 14 juin 1940 et dès le mois de juillet s’établit un appareil d’occupation comprenant des structures de contrôle de la vie culturelle. Elles relayent, entre autres, les décisions prises au niveau central, et notamment l’application de la censure. En effet, en août 1940, les autorités publient une première liste d’oeuvres censurées appelée «Bernhard» avec 143 titres qui sont essentiellement des œuvres politiques. La réaction des éditeurs français est mitigée: selon Eric Alary, auteur de la «Nouvelle histoire de l’Occupation», éd. Perrin, 2019, s’ils n’ont pas souvent protesté, ils n’ont généralement pas témoigné d’un grand enthousiasme vis-à-vis de ces restrictions, mis à part Bernard Grasset et Denoël, éditeurs adhérant ouvertement à la nouvelle idéologie.
Trois autres listes ont été conçues, portant le nom d’«Otto», du prénom de l’ambassadeur du Reich en France, Otto Abetz.
Bien plus importante que la première, elle est composée de 1060 titres d’œuvres écrites par des auteurs juifs – comme Léon Blum ou Joseph Kessel - antinazis – comme Thomas Mann , Stefan Zweig ou Sigmund Freud - voire de livres anti-communistes (jusqu’à l’attaque contre l’URSS en juin 1941). En juillet 1941, une liste d’ouvrages anglais et américains complète cette liste. La réimpression des œuvres américaines et anglaises parues après 1870 est interdite.
Ainsi, au total, près de 700000 titres ont pu être détruits en France, en zone occupée comme en zone non-occupée, suite à la collaboration du gouvernement de Vichy.
Le 8 juillet 1942 une deuxième liste «Otto» élimine 1170 titres français, une troisième liste parue le 10 mai 1943 interdit 739 auteurs juifs français. Ces listes figurent parmi les plus célèbres en matière de proscription d’ouvrages et ont été conçues avec la participation d’Henri Filipacchi, dirigeant des éditions Hachette et de René Philippon, président du Syndicat des éditeurs français.
Le 28 septembre 1940, les principaux éditeurs, e.a. Gallimard, Grasset, Denoël et Albin Michel, signent une convention avec le gouvernement de Vichy dans laquelle ils s’engagent à ne pas publier d’ouvrages critiques vis-à-vis du régime ou contraires aux intérêts allemands. Le régime décide d’étendre la convention à la zone sud.
Parallèlement, l’occupant aryanise les maisons d’éditions dirigées par les juifs, tels Calmann-Lévy ou Fernand Nathan et achève ainsi la mise sous contrôle l’édition française. L’emprise allemande va jusqu’à la création le 1er avril 1942 de la Commission du contrôle du papier pour la parution d’un livre, ce qui accentue le pouvoir des autorités sur les publications.
L’existence des conventions de censure et des listes "Otto" donne l’illusion que l’occupant applique une politique bien structurée au domaine éditorial. En réalité, les dissensions et divergences entre les responsables des nombreux départements et les rivalités entre ces services (comme Propaganda Abteilung et Propaganda Staffel) laissent transparaître des contradictions, mais aussi les limites de cette politique.
Pour aller plus loin :
Concernant la liste "Otto", deux réponses ont été données par le Guichet du Savoir :
- Je cherche une copie de la liste Otto, où puis-je m'adresser ?
- Où trouver la liste intrégrale des ouvrages interdits de cette liste" Otto" ?
Quelques livres :
La vie culturelle sous l'Occupation, Stéphanie Corcy, Paris, Perrin, 2005 ;
Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Jean-Yves Mollier, Paris, éd. Fayard, 2008.