Pourquoi ne faut-il pas dormir sous un noyer ?
Question d'origine :
Pourquoi ne doit on pas dormir sous un noyer?
Réponse du Guichet
Une croyance répandue veut qu'il soit dangereux de faire la sieste à l'ombre d'un noyer. En cause, une ombre trop épaisse ou une substance toxique... d'après nos sources, il s'agirait d'une légende.
Bonjour,
Il suffit de faire un petit tour en ligne pour s'apercevoir que la croyance selon laquelle il serait dangereux de dormir sous un noyer est très répandue : selon Rustica, "son ombre est froide", son pollen "allergisant", sans compter que "La pourriture de l’enveloppe des noix, l’écale", dégagerait "des toxines impropres à la consommation" et que l'arbre contient "une substance toxique, la juglone, qui bloque la croissance d’autres plantes situées à proximité"...
Cette croyance n'est pas nouvelle, si on se fie aux nombreux documents anciens trouvés sur Gallica et qui la colportent : un article du Travailleur charentais de 1922 qui recommande d'éviter de telles siestes arboricoles "surtout en étant en transpiration" sous peine d'attraper un "refroidissement dangereux". Quant à la comtesse de Genlis, elle assure au début du XIXè siècle dans une note de son ouvrage Les Jeux champêtres des enfants et de l'île des monstres, conte de fées qu'"il est dangereux de se reposer long-temps, et surtout de dormir sous un noyer, son ombrage donne de violens maux de tête", sans plus d'explications. Un numéro du journal La Picardie de 1904 accuse "l'odeur du feuillage"... tandis que dès 1924, la rubrique de questions/réponses du Dimanche illustré (notre ancêtre !) y voyait un "préjugé, provenant sans doute de ce que les noyers, en pleine floraison, dégagent une odeur assez forte". D'ailleurs, de nombreuses sources relèvent que rien ne pousse au pied du noyer, ce qui n'est jamais bon signe...
Qu'en est-il vraiment ?
Selon un article du Figaro, le noyer "sécrète dans ses feuilles une substance herbicide", la juglone. Celle-ci a tendance à faire le vide autour de lui. En tant que "poison", elle était utilisée par les Romains pour la pêche.
Pour en savoir plus sur le modus operandi de ce "poison", lisons une page du site du Ministère de l'Agriculture canadien :
On a démontré, expérimentalement, que la juglone est un inhibiteur de la respiration qui soutire aux plantes sensibles l'énergie qui leur est nécessaire pour assurer leur métabolisme. Les plantes touchées ne peuvent pas transformer le dioxyde de carbone et l'oxygène de manière adéquate. Dans le cas des tomates, les vaisseaux du xylème sont bouchés par du tissu calleux, ce qui obstrue la circulation ascendante de l'eau dans le plant.
Les symptômes de toxicité attribuable au noyer peuvent se manifester par une interruption de la croissance, un flétrissement partiel ou total ou la mort des plants touchés. La réaction toxique se produit parfois rapidement. Des plantes sensibles saines peuvent mourir en un ou deux jours. Bon nombre de jardiniers s'inquiètent et croient souvent que le flétrissement est causé par un champignon ou une maladie bactérienne. Une fois que la plante a commencé à flétrir, le processus est irréversible. La gravité des symptômes toxiques peut varier selon l'espèce végétale qui est en contact avec la juglone.
Bien que les plantes tolérantes à la juglone ne soient pas rares, une exposition prolongée du sol à la substance peut rendre celui-ci stérile, impliquant un traitement particulier pour les débris de noyer si vous souhaiter les utiliser comme compost. De plus, les animaux peuvent être intoxiqués :
Les chevaux et les poneys peuvent présenter des signes de fourbure aiguë, c'est-à-dire une inflammation des pattes, lorsque des copeaux ou de la sciure de noyer noir sont utilisés comme litière. Des cas de fourbure aiguë et de fréquence respiratoire élevée chez les chevaux et les poneys ont également été signalés lorsque les écuries et les paddocks sont situés à proximité de noyers. La dissémination du pollen des noyers peut causer des réactions allergiques chez les humains et les chevaux.
Les écales provenant des noix peuvent être toxiques pour les animaux d'élevage et mortelles pour les chiens, si elles sont ingérées, en raison d'une mycotoxine appelée Penitrem A, produite par une moisissure de type Penicillium. Par conséquent, les noix provenant de noyers qui présentent des symptômes de décomposition, par la présence de pourriture brune ou noir sur les écales, peuvent dégager des toxines qui les rendent impropres à la consommation humaine.
En-dehors des cas d'ingestion ou d'allergies, rien n'est dit sur la toxicité de la juglone pour l'homme. En effet, entre une sieste à l'ombre et une vie dans une litière faite de copeaux de noyer, l'exposition n'est pas la même. Et ici, nous devons vous dire que la question a déjà été posée deux fois ici :
Nous avions à l'époque contacté le centre antipoison de Lyon qui nous avait fait cette réponse :
Il y a dans ce genre d'interrogation pas mal de croyances, dictons populaires, voire de superstitions pas toujours aisément réfutables.
Après avoir regardé la littérature, les données des bases toxicologiques (entre autres internet) à notre disposition et avoir interrogé mes collègues, j'ai retenu que la sieste sous le noyer avait mauvaise réputation en raison du feuillage touffu. En pratique, on y a froid. Quant aux principes toxiques (le juglon), la mauvaise réputation est peut-être liée à sa participation à la confection du brou de noix qui a permis à nombre de menuisiers et d'ébénistes de teinter moult meubles. La chimie et les chimistes nous ont appris qu'un des principes était la juglone (hydroxynaphtoquinone). Elle porte d'autres noms comme nucine ou "natural brown ". La recette du brou de noix comporte entre autres de l'eau de vie et de la cannelle.
Cette hydroxynaphtoquinone s'évapore-t-elle, s'échappe-t-elle du noyer, des feuilles, du tronc, des racines, des noix, de leur enveloppe, de leur fruit, des cerneaux. ? C'est bien improbable ; la plupart du temps, les principes actifs (donc parfois toxiques) tels la digitaline, la colchicine, les amygdalosides cyanogénétiques, la pervincamine etc. sont extraits en laboratoire efficacement par des solvants qui sont tout sauf de l'eau. Je vous accorde que dans le thé, les tisanes, le café il y a un goût, donc quelque chose, mais ce quelque chose représente une proportion infime par rapport à l'eau. Alors dans l'air qui n'est pas vraiment un solvant même s'il contient pas mal de scories ??!? On a plus de chance (au sens risque, statistique) d'y rencontrer même à la campagne des gaz d'échappements ou des odeurs d'origine animale parfois incommodantes mais la plupart du temps considérées comme des nuisances plus que comme des empoisonnements ou des contaminations.
Quant aux enfants, on entend souvent dire qu'ils sont plus fragiles ; c'est évident dans certains domaines et certaines circonstances. Mais le jeune enfant est souvent bien plus résistant que ses parents et notamment sa mère qui lui donne à la naissance toute son immunité. De plus et c'est heureux, beaucoup de toxiques affectent moins l'enfant que l'adulte (l'exemple du paracétamol et son impact moindre sur le foie de l'enfant que de l'adulte).
Le risque à long terme n'a bien évidemment pas été étudié, pas plus en tout cas que le risque immédiat. Le centre antipoison de Lyon a été interrogé depuis ses débuts (vers les années 1960) une dizaine de fois pour le noyer ; il n'y a jamais eu aucun souci avec le juglon (des infusions de feuilles prétendument antidiabétiques, des peaux de cerneaux avalées de travers).
Bonne journée.