Qui habillait les femmes lors des revues de cabaret avec des costumes à plumes ?
Question d'origine :
Bonjour, je suis en quête de savoir sur les années folles à Paris. Y avait-il déjà des revues de cabaret avec des costumes à plumes, mis à part le spectacle avec Joséphine Baker ? Quels couturiers ou maisons de mode habillaient les femmes pour ce type de spectacle ?
Réponse du Guichet
Les revues et spectacles de cabarets durant les années folles étaient nombreux. Ils ont fait le music-hall avec la comédie, le cirque, la chanson et la danse. Les chorégraphies, de styles variés, pouvaient être réalisées par des "bataillons de girls" à demi-nues et emplumées. Outre Joséphine Baker, Mistinguett fut une meneuse de revue célèbre de cette époque. Leurs costumiers furent nombreux mais c'est surtout la maison Février qui réalisa l'attribut le plus spectaculaire que portaient les girls des revues, la gabrielle.
Bonjour,
C'est à la Belle Époque qu'apparaissent les premiers music-hall à Paris avec les établissement comme le Ba-Ta-Clan, la Gaîté qui devient Bobino, les Folies-Bergère, le Moulin-Rouge. Différents types de spectacles y sont présentés, allant de la comédie sous forme de sketch aux artistes de cirque (jongleurs, équilibristes, illusionnistes, acrobates) ou de la chanson à la danse exercée de manière acrobatique, fantaisiste, avec des "bataillons de girls" ou des claquettes.
Avec Joséphine Baker, une des plus célèbres meneuses de revues durant les années folles fut Mistinguett.
Après la Première Guerre mondiale, le jazz, parti des États-Unis à la conquête de l'Europe, participe au succès de la revue du Casino de Paris, Pa-Ri-Ki-Ri, où Max Dearly et Mistinguett dansent la valse chaloupée. Les Folies-Bergère, le Palace et le Moulin-Rouge se lancent dans l'aventure. Durant une vingtaine d'années, de grandes vedettes contribuent à la renommée du music-hall en France, parmi lesquelles, outre les deux noms cités, figurent la Loïe Fuller, Harry Pilcer, Argentina, Maurice Chevalier, Joséphine Baker.
Source : Music-hall,Encyclopedia Universalis, disponible à la BML ou en accès à distance pour nos abonnés.
Déjà en 1918 Mistinguett tenait le haut de l'affiche avec la revue Pa-Ri-Ki-Ri annoncée et plébiscitée par toute la presse française et américaine, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Figaro, Le Matin, The New-York Herald, The Chicago Tribune, L'Information financière, économique et politique... également chroniquée de façon plus polémique par Le Ruy Blas.
Comme en témoignent plusieurs photos réunies en deux images (image 1 et image 2)1 et sa chanson C'est vrai, pour les "trucs en plumes2", Mistinguett n'était pas en reste : On dit que j'aime les aigrettes, les plumes et les paillettes, C'est vrai !...
C'est vrai - Interprète : Minstinguett - Paroles et musique : Oberfeld, Willemetz, 1933
"On dit que j'ai de belles gambettes, fait référence à ses jambes magnifiées par les plumes, les « plus belles jambes de Paris » qu'elle fait assurer pour 500 000 francs français en 1919", (Source Wikipédia). En 1933, L'Excelsior livre des chiffres :
Il y a dans la fameuse entrée de Mistinguett, pour 120 000 francs de plumes, les éventails valent chacun 950 francs, le boa de Miss vaut 4 000 francs et une seule de ses robes s'agrémente de 12 000 francs de crosses...
On y apprend également qu'un de ses costumiers à cette époque était Max Weldy qui "travaille principalement pour les Folies Bergère de 1919 à 1937" (source : collection Piollet). Freddy Wittop était aussi l'un d'eux et auparavant, l'ouvrage Music hall : demandez le programme ! de Martine Clément indique qu'il y eut Charles Guesmar, décédé à l'âge de 27 ans. Les costumiers comme les perruquiers, décorateurs, chorégraphes, paroliers... étaient désignés par les directeurs de ces établissements.
Il [Paul Derval] confie ses somptueux spectacles à Louis Lemarchand. Les costumes, les décors et la mise en scène doivent être luxueux, les troupes des girls doivent être de préférence anglaises et très sélectionnées. (Martine Clément)
Freddy Wittop était également l'un des costumiers de Joséphine Baker. Le site Une icone : josephine baker lui en attibue 12 :
- Georges Barbier (1882-1932)
- Lucien Bertaux (1905 - ?)
- Marcos Cotti Lorango Jr. (1935 -)
- Erté (Romain de Tirtoff, dit) (1892-1990)
- Anthony Holland
- Eric de Juan
- Tamara Kristin
- André Levasseur (1927-2006)
- Raoul Pène Du Bois (1912-1985)
- José de Zamora
- Freddy Wittop (1911-2001)
- Zig (Louis Gaudin, dit)
Umberto Brunelleschi (1879 - 1949) créa aussi des costumes pour les Folies Bergère et le Casino de Paris entre autres.
D'autres spectacles menés par des femmes ont marqué l'histoire du music-hall. Elles se nommaient Jane Avril, Grille d'Égout (Lucienne Beuze) qui, comme La Goulue, étaient danseuses de cancan au Moulin Rouge. L'une fut célèbre à la fin du XIXe siècle, l'autre, comparse de Grille d'Égout, fut immortalisée par Toulouse-Lautrec. Leur nom était encore Florelle, Gaby Deslys ou plus prosaïquement, les girls. Elles dansaient au Lido, aux Folies bergères, au Casino de Paris, au French Cancan...
En 1890, les Folies-Bergère se distinguent à leur tour en empruntant au fonctionnement anglo-saxon et en présentant la première troupe de girls, les Sisters Barisson. Leur succès est tel qu’il installe les premières normes significatives : l’extrême jeunesse, l’illusion de la même femme démultipliée et les prémices de dévoilement du corps. Dorénavant les girls vont devenir des éléments fondamentaux dans l’architecture du spectacle. En 1911, les Tillers girls qui reviennent régulièrement aux Folies-Bergère répondent ainsi aux attentes du spectateur et fondent, à leur insu, la norme encore en cours actuellement. Le Monde illustré du 16 décembre 1911 commente : « [Elles sont] éduquées d’une façon rigide, quasi militaire, pas de fantaisies personnelles autorisées et soumission à la discipline même en dehors des spectacles » [Muriand, 1994 : 27].
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La danseuse de revue parisienne
Au croisement de la grisette et de la girl anglo-saxonne
Les premières danseuses du Bal du Moulin Rouge sont, à l’origine, d’anciennes grisettes. Le lexicographe Alain Rey les définit comme « fille de condition modeste, de mœurs faciles […] type social reconnu et littérairement très exploité » [Rey, 2000 : 1649], tandis qu’Olivier Penot-Lacassagne [2009 : 5043] les caractérise comme « jeune ouvrière coquette et galante [qui] appartient non pas au monde des grandes fabriques textiles, mais à celui de l’artisanat à l’ancienne mode, œuvrant dans les boutiques de marchandes de mode, de lingères et de couturières ou travaillant seule, indépendante, dans une modeste mansarde ». Ce sont elles que l’on trouvait déjà dans les bals de la butte Montmartre. Tel est le cas de Louise Weber, connue sous le surnom de la Goulue, et qui, ancienne blanchisseuse, fut aussi modèle pour peintres avant de devenir danseuse de cancan. Elle correspond à la description qu’en donne Alain Lescart qui présente la grisette comme étant « la Parisienne [en] femme romantique, passionnée, aimante, tragique, coquette, futile, superficielle, facile » [2008 : 47]. La reconstitution romancée proposée par le film de Renoir French cancan (1954) insiste très justement sur l’origine sociale modeste des jeunes femmes et leur beauté facile d’accès. Les danseuses vedettes du Bal du Moulin Rouge portaient toutes des noms qui qualifiaient une capacité technique ou une particularité physique, ce qui contribua à leur notoriété : la Goulue fut d’abord surnommée « Vide-bouteilles », « Grille d’égout » devait ce surnom à ses dents du bonheur, « Nini Pattes-en-l’Air » à sa capacité à lever la jambe, sans oublier « Rayon d’or », « Cha.Hu.Ko », etc. Ces noms de scène ne sont pas sans rappeler ceux que portent les danseuses du Crazy Horse . Cette tradition s’est transmise dans le temps et témoigne du passage d’un état à un autre, la jeune femme ordinaire se trouvant ainsi liée à l’établissement qui l’embauche et la rebaptise selon des critères propres au fonctionnement interne .
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Le croisement des deux types féminins – parisien et anglo-saxon – a donné naissance à une seule et même femme : la danseuse de revue parisienne, type qui perdure encore aujourd’hui. Cependant la girl peut avoir n’importe quelle nationalité puisque l’hybridation continue de s’effectuer au sein de l’établissement. L’incarnation de la Parisienne se fait sous l’œil vigilant du chorégraphe, des créateurs et réalisateurs de costumes et des habilleuses. Si les girls sont toujours d’origine anglo-saxonne dans les sélections faites au Moulin Rouge et au Lido par exemple, elles répondent aussi à la description donnée par Mistinguett qui renvoie à la grisette, « une blonde qui plaît à tout le monde ». C’est donc le music-hall qui, par la construction de l’apparence des danseuses, garantit une revue authentiquement parisienne.
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Les métamorphoses quotidiennes des girls et leurs costumes
Il y a différentes étapes pour devenir professionnelle de la revue même si la danseuse l’était déjà antérieurement dans une autre sphère. Une fois recrutée, c’est une experte qui se glisse dans un moule et doit apprendre les contraintes de la kinesthésie propre à la revue. Celle-ci emprunte essentiellement à la danse classique dans l’allure, ce qui renvoie le regard du spectateur à une autre tradition française et parisienne, celle de l’opéra. Cependant, le placement diffère : la semi-nudité impose la mise en valeur du buste et le bassin est tenu cambré, ce qui est l’exact opposé de la danse classique. Le port du costume volumineux en taille, en particulier celui de la « gabrielle » – monture dorsale en plumes –, suppose d’apprendre à se déplacer avec l’équivalent d’une prothèse [Pérault, 2011]. Une fois ces nouvelles connaissances intégrées, doit s’opérer sans peine une métamorphose quotidienne, celle qui touche le corps, soutenu par les costumes et accessoires. Concernant leur corps, les danseuses ont des contraintes drastiques inscrites dans leur contrat, comme l’interdiction de couper leurs cheveux ou d’en changer de couleur et de prendre ou de perdre du poids (ce qui donne lieu à une pesée hebdomadaire dans certains établissements). Les répétitions, qui ont lieu au moins une fois par semaine, assurent la cohérence des tableaux et, dans la journée, un fonctionnement spécifique de l’établissement permet le bon déroulement de la représentation du soir.Les artisans qui ont participé à la création des costumes assurent le suivi de leur fabrication. En réalité, ces derniers sont soumis à rude épreuve pour plusieurs raisons : le nombre de spectacles – deux par soir – provoque une usure prématurée des matériaux. Lors de la représentation, la rapidité des changements ajoute à leur fragilité. Enfin la durée de vie d’un spectacle ne cesse d’augmenter : de tous les six mois au cours de l’âge d’or , elle est passée progressivement à tous les cinq ans dans les années 1970-1980, pour arriver aujourd’hui à une moyenne de dix ans ! Ainsi l’actuelle revue du Moulin Rouge , « Fééries », a-t-elle été inaugurée en 1999.
Source : Perault, Sylvie. « Ça c'est Paris! Le Bal du Moulin Rouge et ses girls », Ethnologie française, vol. 42, no. 3, 2012, pp. 493-501.
Outre ce que rapporte cet article sur les girls, nous apprenons que la maison Février, plumassier historique du Moulin Rouge, a été rachetée par la sarl du Moulin Rouge afin de ne pas mettre en péril son activité.
Les savoir-faire spécialisés qui disparaissent régulièrement ayant fini par mettre en danger la marche de l’établissement, la sarl Le Bal du Moulin Rouge a racheté les ateliers nécessaires à son activité. Ce fut d’abord le bottier Clairvoy puis au début 2011 le plumassier Février. Intégrés au groupe, ils continuent leur activité à l’identique mais avec une image désormais associée à celle de l’établissement. Février a déménagé pour travailler dans les locaux du Moulin Rouge. François Privat, le carcassier, a mis au point un nouveau type de « gabrielle » qui permet des réparations sur place. Les actuelles costumières apprécient les innovations : « Les systèmes ont beaucoup évolué et aujourd’hui les tiges sont amovibles, le dosseret et les bretelles en métal se dévissent. Si c’est le costume qui est trop abîmé et qu’ils voient que cela ne va pas tenir longtemps ils font entièrement refaire le costume par la couture.
Également autrice de l'article “Des trucs en plumes” publié dans « Parures », Repères, cahier de danse n° 1, 2011, Sylvie Perault en dit plus sur les gabrielles, les plumes et la maison Février :
Les gabrielles en plumes
Ces attributs sont devenus l’un des symboles de la revue. Cependant leur nom reste mouvant ; dossard, plumes, gabrielle, trucs donc, leur rôle est double : la mise en avant d’une esthétique particulière, associée à un aspect à la fois angélique et animal. Mais on ne sait pas très bien à quelle période ils ont été inventés car les premières girls, fin XIXe, n’en avaient pas. Le plus fameux atelier de plumasserie du spectacle de la capitale, la Maison Février, fondée en 1929, travaillait essentiellement pour la mode, produisant de petites garnitures pour chapeaux. Suite à la vogue lancée par Mistinguett, la maison s’est spécialisée dans la plume pour le spectacle. L’iconographie des Années folles prouve que c’est à cette période que l’usage de la plume sur scène devint incontournable. Léon Voltera, imprésario et directeur des plus grandes salles de Paris (Casino de Paris, Folies Bergère…) dans le premier quart du XXe siècle, aurait d’ailleurs résumé : « À cause de toi la Miss, la moitié des autruches d’Australie ont maintenant le c … à l’air ?». La matière (la plume d’autruche — plume naturelle, dont on ne parvient pas à reproduire l’aspect de façon industrielle) est évocatrice d’abondance, de douceur, de richesse et de volupté. On se souviendra des somptueux panaches du roi danseur Louis XIV…
L'article On vous invite dans les coulisses du Moulin Rouge, précise que
c’est en 1929, dans un climat morose suite à la crise économique que la Maison Février ouvre les portes de son atelier. Monsieur et Madame Février ont pour ambition de vivre de leur passion pour la légèreté, la couleur et la création. Les français ont besoin de raffinement , de fantaisie, de féérie… Et c’est à Mistinguett, reine et fondatrice du Music-Hall que la Maison Février devra sa renommée internationale. La miss veut des costumes à plumes, elle les aura et les fera rayonner sur la scène du Moulin Rouge où elle se produit mais également sur la scène internationale. Les artistes choisissent la Maison Février comme partenaire de leurs parures du soir et cette dernière multiplie les collaboration. En 2009, le Moulin Rouge achète la Maison Février afin de protéger ce savoir-faire rare.
Enfin, pour terminer, admirons cette "structure de plumes pour le rôle de Mistinguett" dans « De la poudre aux yeux » d’après E. Labiche, costumes de Lisèle Roos", publiée dans Des costumes cousus d’art et de rêve, Beaux-Arts magazine, accompagnée de cette invitation à rêver tout autant qu'à être réaliste :
Oiseaux du monde entier, gare à vos plumes !
Les plumes ont tant et si bien fasciné les créateurs de costumes qu’il a fallu, dans les années 1950, en protéger l’exploitation : la convention de Washington protège depuis lors les espèces d’oiseaux exotiques des pillages artistiques. Car que de plumes à Paris, sur les scènes des cabarets ! Depuis le Moyen Âge, les puissants, puis les comédiennes et les chanteuses ont eu pour fidèle ornement toutes sortes de coiffes et de costumes en plumes, dont l’éclat et les couleurs sont, il est vrai, comme sortis d’un rêve. Ainsi la salle consacrée aux plumasseries est un sublime défilé d’éclats roses, bleus et blancs, où chaque accessoire rivalise de panache. On se croirait dans une vision hallucinée du Muséum d’histoire naturelle !
Pour aller plus loin, voici une bibliographie :
Monsieur Derval : secrets et folies / Georges Touzelet
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1. Site Du temps des cerises aux feuilles mortes
2. Zizi Jeanmaire "Mon Truc En Plume" | Archive INA
Bonne journée.